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La confession d'un abbé. Louis Ulbach
Читать онлайн.Название La confession d'un abbé
Год выпуска 0
isbn 4064066086688
Автор произведения Louis Ulbach
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
Mon éducation n'aida pas ma franchise à s'émanciper.
Le comte d'Altenbourg, qui se croyait athée, mais qui allait à la messe du roi Charles X, quand il faisait un voyage à Paris, me confia tout enfant à un bon prêtre, l'abbé Cabirand, excellent homme, émerveillé des évêques que l'on comptait dans ma famille et ne rêvant pas pour moi de destinée plus belle. C'était un homme pur, qui n'ignorait pas le mal chez les autres, mais qui le traitait comme un adversaire, dont il croyait triompher par des duels mystiques.
Il me trouvait l'innocence nécessaire. Quand je laissais voir un peu de fougue dans cette douceur de surface, il pensait que la prière et la méditation achèveraient de parfumer pour le ciel ce cœur où le feu était prédestiné à consumer l'encens.
Comme j'avais douze ans, mon père, dont la fortune mal administrée se trouvait réduite, vendit ses terres et vint se fixer à Paris. L'abbé Cabirand fut congédié. Il me quitta avec douleur, me fit promettre de lui écrire, me fit jurer de rester à Paris un bon chrétien, et fut nommé deux mois après notre départ d'Alsace, professeur de rhétorique au séminaire de Strasbourg.
Je fus mis dans une grande institution du faubourg Saint-Germain.
Ma candeur y fut scandalisée; ma dévotion persista d'autant plus. J'eus des succès, et, comme dans ce temps-là les élèves étaient très fiers de la gloire de leurs camarades, mes couronnes du grand concours me donnaient une considération qui compensait l'estime insuffisante que l'on avait pour mon caractère.
Je souffrais beaucoup d'être, non pas méconnu, mais inconnu de mes jeunes contemporains. Je faisais de mon mieux pour être à leur niveau; mais, ne m'ayant jamais tout à fait comme complice, et m'ayant souvent comme censeur, ils se faisaient de ma connivence passagère une arme pour attaquer mon rigorisme de béat.
A mesure que je montai en âge, en grade, en succès, je souffris de ce malentendu. Je m'entêtais, par probité de croyant, à protester contre des exemples qui suscitaient en moi des colères très sincères, et pourtant qui remuaient aussi d'effroyables tentations…
J'abrège autant que je le peux ces préliminaires. Ce n'est pas pour me raconter, c'est pour me confesser mieux, que je dis tout cela.
La sève montait et m'étourdissait. A dix-huit ans, j'avais une chasteté relative qui ne me faisait grâce d'aucun mauvais rêve. Peut-être n'étais-je que timide!
A l'âge des premières escapades viriles et des débauches qui émancipent fièrement les écoliers, j'écoutais, avec un demi-sourire, les confidences, les vanteries de mes camarades. Je me repaissais de ces confessions; mais quand je voulais à mon tour me débaucher; quand j'avais promis ma part de ce que je croyais une orgie; à la première sortie, j'hésitais, j'avais peur. J'essayais de pactiser avec ma honte. Je voulais parfois me hasarder tout seul, mystérieusement, dans une aventure que je poétisais d'avance; mais un dégoût subit, invincible, m'assaillait et me faisait reculer dès les premiers pas. Je fuyais, je me sentais souillé par mes désirs; je courais dans une église; je me prosternais, et, dans des invocations éplorées à un amour surhumain, je dépensais, je fatiguais une énergie, haletante sous une pudeur réelle, qui voulait être surprise et ne voulait pas se rendre.
On épouse son âme, comme on épouse une femme. Je ne voulais pas violer la mienne; je désirais un hymen impossible de ma chair et de mon esprit.
J'étais grand, fort, de bonne santé. La lutte n'en était que plus rude, et l'énigme ne paraissait que plus invraisemblable. On m'appelait Tartufe; je haussais les épaules, et me consolais par des vers.
Ces vers, que je faisais avec sincérité, me paraissaient très bons; mes camarades s'en moquaient, et fortifiaient ainsi, avec ma prétendue vocation, un goût héroïque pour supporter l'injustice. N'osant me proclamer martyr de mes tentations, je me posais en martyr de la poésie.
Je n'en veux pas à ces chers tyrans de ma jeunesse. Comment m'eussent-ils compris, moi qui me perdais à me chercher? Je les trouvais logiques dans leurs injustices, et me voyant sans rancune sous leurs sarcasmes, comme j'étais sans orgueil sous mes couronnes universitaires, ils avaient des trêves d'indulgence et de pitié, qui me réconfortaient et me donnaient des rayonnements d'esprit et de gaieté.
Mon père s'occupait fort peu de moi, et, quand il mourut, je pus porter au dehors le deuil que je portais au dedans. Ce fut le seul changement sérieux de mon existence.
V
J'avais dix-neuf ans; je venais d'être reçu bachelier. J'étais hésitant au seuil du monde. Rien ne m'y appelait; rien ne m'en détournait. La société que mon père fréquentait, sans s'épurer, avait vieilli, et j'avais ainsi deux raisons, au lieu d'une, pour ne point la rechercher.
Mes camarades allaient à leur ambition, à leurs affaires, à leurs plaisirs. Moi, je n'avais pas de but, et je n'osais prendre pour un appel de la vie ecclésiastique cet ennui qui m'enchaînait devant la vie grande ouverte, et m'effrayait, quand je voulais la contempler.
J'étais resté en correspondance avec mon maître, l'abbé Cabirand. Il me donnait d'excellents conseils; mais il était plutôt guidé par l'instinct droit de son cœur que par l'expérience. Loin de m'encourager à embrasser la même carrière que lui, il me répétait que mon nom, ma fortune m'obligeaient à un rôle actif. Je servirais mieux l'Église, en restant chrétien dans le monde. Ces raisons-là ne répondaient à aucune des inquiétudes de mon esprit; mais je les acceptais, par le besoin que j'avais de me soumettre à un avis.
Il me restait assez de fortune pour être indépendant et pour choisir librement un état. Lequel prendre? Je me fis inscrire à l'école de droit; mais je suivis les cours du collège de France. Parler, instruire, du haut d'une tribune, répandre sur une foule ce que je sentais bouillonner en moi, c'était la seule chose qui me parût tentante…
Je griffonnais toujours des vers; j'essayais de la prose; je ne redoutais plus les indiscrétions de mes camarades; mais cette sécurité ne suppléait pas à mon peu de talent.
Je me disposais à voyager, quand, soudainement, dans cette brume, je crus voir une étoile. Je rencontrai ma muse.
M. le duc de Thorvilliers, le père du duc actuel, un peu parent de ma mère, m'avait été donné comme tuteur.
Il ne prit guère au sérieux une tutelle qui s'exerçait, si tard pour lui qui était vieux et goutteux, si tard pour moi, qui étais en âge d'être émancipé.
J'aurais pu réclamer cette émancipation. Je la méritais. A quoi bon? J'avais plutôt peur qu'envie de cette nouvelle indépendance, succédant à celle que l'insouciance paternelle m'avait laissée.
Par politesse, pour aider à l'effusion de cette paternité passagère, gracieusement acceptée, je devins un convive régulier du duc, et l'ami de son fils.
Gaston de Thorvilliers avait été élevé chez son père. Je ne l'avais rencontré que rarement. C'était alors un beau jeune homme, au regard rayonnant, aux joues pleines et roses, aux cheveux noirs, épais, faciles à boucler, à la prestance fière, un de ceux qui naissent et vivent cambrés, busqués.
N'ayant jamais eu besoin de se soumettre à un règlement, à une discipline, à un pauvre devenu un maître, de compter avec des condisciples plus forts ou plus habiles que lui; n'ayant subi aucun contact qui eût émoussé son caractère; n'ayant pas eu de rivaux qui stimulassent son goût capricieux pour l'étude, il était resté, et avait fleuri