ТОП просматриваемых книг сайта:
La confession d'un abbé. Louis Ulbach
Читать онлайн.Название La confession d'un abbé
Год выпуска 0
isbn 4064066086688
Автор произведения Louis Ulbach
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
Je fus charmé de cet appétit universel des sens, et de cette bonne humeur de la conscience; secrètement même j'en fus jaloux. Je me comparais et je me sentais moins homme, moins gentilhomme. J'avais le même âge. J'avais droit, sinon aux mêmes prétentions de fortune, du moins à la même fierté pour ma race. J'avais, de plus, le sentiment de mes succès universitaires, la conscience d'une valeur morale qui pouvait s'épanouir avec éclat. Si j'étais froid en apparence; si l'épiderme plus épais laissait moins venir à fleur de peau le sang qui fleurissait les joues de Gaston, j'avais peut-être un brasier plus ardent au cœur.
Pourquoi n'étais-je pas comme lui? Pourquoi, en m'habillant de même, gardais-je avec mes vêtements pareils, une sorte d'allure ecclésiastique dont il me raillait avec bienveillance, pour que je devinsse un compagnon tout à fait digne de lui et de mon nom?
Gaston n'attendit pas une intimité, qui s'affirma bien vite par le tutoiement échangé sans résistance, pour me demander des confidences, pour m'en faire.
Il parut fort surpris qu'à dix-neuf ans, je n'eusse pas de maîtresse. Il m'offrit de m'en désigner une, à prendre dans le monde. C'était si facile! Il ne comprenait pas qu'une femme bien née pût se défendre longtemps contre des beaux cavaliers de notre espèce. Quant aux maîtresses qu'on entretient et qui sont de luxe, comme l'écurie, il les prévoyait dans son budget; mais ne les admettait pas encore, par coquetterie de mondain, peut-être bien par économie; lui qui aimait tout, il aimait aussi beaucoup l'argent.
J'aurais peut-être été corrompu par ce mauvais sujet naïf dont les vices embaumaient, si je n'avais rencontré celle qui a disposé de toute ma vie.
C'était à une vente de charité, dans le faubourg Saint-Germain. J'y étais allé par déférence pour des invitations reçues; Gaston m'accompagnait, surtout pour voir des marquises et des duchesses, bourgeoisement installées devant des comptoirs. Cela lui semblait un travestissement piquant.
Nous avions parcouru divers salons et fait quelques emplettes de politesse, nous sortions, quand, à la porte d'entrée, comme un dernier piège, je vis une jeune fille, debout, à côté d'un guéridon sur lequel s'amoncelaient des roses…
Je ne me permettrai aucune comparaison poétique; je n'aurai recours à aucun agrément littéraire, pour raconter mon impression souveraine, ineffaçable, éternelle.
Tout ce qui s'est passé depuis, le drame, le deuil, la honte, le supplice de ma vie, disparaissent, quand j'évoque cette vision. Mon cœur recommence à battre, comme il a battu dans cet instant qui a embrasé tout mon être. Je ressens quelque chose de foudroyant et d'ineffable qui me mord la poitrine, qui me met un éclair au cerveau, et qui infiltre dans mes veines une langueur accablante.
Je dus pâlir. Je me souviens que je m'appuyai fortement au bras de
Gaston de Thorvilliers.
Elle était grande, mince, mais admirablement faite, avec des cheveux noirs, en bandeaux légèrement renflés, au-dessus d'un front correct, blanc, uni, qui rayonnait d'innocence simple, fière, hardie. Les yeux étaient noirs; ils cherchaient le regard, plus qu'ils ne l'attiraient; ils avaient une lumière paisible, intense, qui vivait de son foyer et ne s'attisait d'aucune coquetterie, ayant le charme suprême. Le sourire de sa bouche étonnait. On eût dit que la vendeuse de roses avait mangé une de ses fleurs, en gardant une feuille serrée et retroussée entre ses dents…
Mais voilà que je la décris et que je me complais dans cette évocation!
Je la vis, je l'aimai, et ce fut tout.
Avec une grâce sans minauderie, avec une hardiesse d'ingénue qui se sait comprise d'avance, et qui n'a pas de précautions à prendre, elle fit un pas vers moi, m'offrit une rose et me dit:
—Pour les pauvres!
Je pris la fleur, je saluai, je me prosternai en intention, et me tenant toujours au bras de Gaston, je voulus l'entraîner; je ne voulais pas contempler cette apparition.
—Eh bien! tu ne paies pas? me dit Gaston, en riant.
C'était vrai. Je ne songeais pas que cette fleur dût être payée.
La jeune fille, à peine étonnée, souriait. Je tirai un louis; je le déposai dans la main blanche qu'on me tendait, au nom des pauvres et je balbutiai un mot d'excuse.
Gaston riait toujours.
—Bonjour, Reine, dit-il familièrement à ma vision.
Je fus choqué, comme je l'aurais été depuis, quand je fus prêtre, si un sacrilège m'avait arraché des mains l'hostie que j'allais consacrer. Je me retournai vers mon ami.
—Bonjour, Gaston, répondit mademoiselle Reine d'une voix mélodieuse que j'entends encore, que j'entendrai toujours.
Ils se mirent à causer de choses simples, de la recette que la jeune fille avait faite comme marchande, de celle qu'elle espérait encore. Ils s'étaient pris, serré, et abandonné les mains. J'écoutais avidement.
Je crois que j'aurais poussé un cri de fureur et de haine, si le moindre mot, non de galanterie, mais seulement de politesse affectueuse eût été prononcé entre Gaston et la jeune fille. Ils se parlaient en camarades, presque en bons garçons.
—Tu ne m'achètes rien? demanda-t-elle.
—Tu ne vends pas de cigares? répliqua Gaston.
—Si tu veux, j'en emprunterai à la boutique de madame de
Ville-sur-Terre. C'est cinq louis le paquet.
—Merci, j'aime mieux une rose.
—Tiens! en voilà deux.
—Combien?
—Cinq louis, comme le paquet de cigares.
—Pourquoi me les fais-tu payer plus cher, à moi qu'à lui?
—Parce que tu marchandes.
—Je ne marchande pas; je proteste.
—Gros avare!
—Je ne suis pas avare; je ne veux pas être dupe.
La jeune fille n'insista pas; un mouvement de tête, légèrement hautain et dédaigneux, exprima sa pensée.
Gaston était sensible au reproche.
—Tu vois comme ces dames nous exploitent! me dit-il assez niaisement.
Il s'exécuta toutefois et tira de son portefeuille en cuir de Russie un billet de cent francs qu'il agita triomphalement dans ses doigts.
La jeune fille enleva prestement l'offrande pour empêcher l'avaricieux de se raviser, et d'une voix moqueuse, qui érailla comme d'une pointe de diamant le cristal derrière lequel elle m'était apparue:
—Ah! si l'on ne t'exploite jamais autrement!…
Je regardai alors fixement mademoiselle Reine, croyant que j'allais la trouver moins belle. Ses yeux noirs s'étaient illuminés de malice. Je ne cessai pas de la trouver adorable; mais je souffris de la soupçonner maligne. Cette plaisanterie, dont je m'exagérai l'importance, me paraissait une déchéance; l'ange était une demoiselle mondaine habile à la réplique. Elle n'avait ni pâli, ni rougi. Elle avait dit cela, tout uniment, en remettant de l'ordre dans son joli étalage, en passant ses doigts effilés sur les roses qu'elle redressait et qu'elle faisait refleurir.
—Je me plaindrai à ta grand'mère! riposta Gaston du ton d'un écolier.
—Plains-toi tout de suite… Tu entends! bonne maman.
Elle se haussa, se pencha par-dessus ses roses, et je vis alors que derrière le guéridon une dame, très âgée, était assise sur une chaise basse, gardant