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La confession d'un abbé. Louis Ulbach
Читать онлайн.Название La confession d'un abbé
Год выпуска 0
isbn 4064066086688
Автор произведения Louis Ulbach
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
Celui-ci devinait bien la surprise qu'il provoquait. D'une voix vibrante, fermant à demi les yeux pour ne pas voir les paroles qui allaient effleurer ses lèvres, il continua:
—J'espère que vous comprendrez bientôt. Est-ce qu'il y a un plus grand crime, par exemple, que de sacrifier une enfant à la plus effroyable ambition, à la plus basse vengeance?… que de marier une jeune fille chaste, d'une admirable candeur, à un débauché, perdu d'honneur, perdu de vices, perdu de santé?
M. Herment avait parlé avec véhémence; il laissa cependant tomber les derniers mots, hésitant à les prononcer.
M. Barbier craignait d'être déçu. Le crime ne lui apparaissait pas nettement; il n'en mesurait pas la profondeur. Sa déception se compliquait d'un prodigieux effarement. Qu'est-ce que M. Herment, cet habitant du boulevard des Batignolles, pouvait avoir à démêler avec ce projet de mariage aristocratique? Une jeune fille mariée par ambition; n'était-ce pas le drame vulgaire?
Il se taisait et réfléchissait; M. Herment reprit vivement, en se redressant sur son fauteuil:
—Oui, le prince de Lévigny n'est pas seulement un niais, incapable de comprendre l'âme de celle qu'on prétend lui donner; ce n'est pas seulement un joueur éhonté, qui serait ruiné, s'il n'était pas trop riche pour être jamais au bout de sa fortune et des héritages qu'il n'attendra pas; car avant six mois il sera mort; c'est encore, je vous le répète, monsieur, le rebut des boudoirs de la prostitution… Il a une maîtresse qu'il gardera après son mariage, car elle a le secret de toutes ses infamies, mais qui n'est que l'infirmière de ce gangrené. Je le sais… J'ai acheté à cette femme la preuve, les prescriptions des spécialistes, et c'est à ce cadavre que le duc de Thorvilliers, méchamment, scélératement, dans un but que vous saurez, veut lier cette jeune fille charmante, pure. Il sait la vérité sur ce gendre honteux; mais il en a besoin pour son orgueil et pour sa vengeance. Voyez-vous le crime, monsieur? Flétrir, empoisonner sciemment une enfant sans défense… Voilà ce qu'il faut empêcher, au nom de la morale, au nom de la pitié… Voilà ce que je ne veux pas… Ce que je viens vous dénoncer.
M. Herment frappait de sa main large et blanche le bras de son fauteuil; il ne baissait plus les yeux. Il regardait le sous-secrétaire d'État en face, essayant de le magnétiser de la flamme de ses prunelles, de le convaincre par le frissonnement de sa bouche.
M. Barbier soutint le choc de cette éloquence électrique. Il comprenait un peu, mais pas assez.
—Décidément, se disait-il, pour s'excuser d'être ému et pour s'en venger, c'est un ancien avocat général ou un président. Mais de quoi se mêle-t-il?
—Avant tout, monsieur, reprit-il d'un ton de condescendance, je vous demanderai à quel titre vous voulez intervenir dans ce drame de famille.
—A quel titre?
M. Herment se troubla, rougit; mais sa pâleur reprit le dessus, et aussi son courage:
—Ne vous suffit-il pas de savoir que le fait est vrai? Ne vous suffit-il pas que je vous en donne la preuve? que vous puissiez l'acquérir vous-même? Qu'importe qui je suis! Un vieillard qui connaît, depuis sa naissance, cette jeune fille, cette orpheline, car sa mère est morte, et M. le duc de Thorvilliers ne compte pas pour l'amour paternel… Je suis le premier venu, mis au courant d'une atrocité… Je viens vous la dénoncer, crier au meurtre!
—Mais il n'y a pas de meurtre, répliqua M. Barbier.
—Il y a pis que cela; il y a le supplice de l'innocence.
—En tout cas, ce cri de détresse ne vous est pas permis, si vous n'êtes ni le tuteur, ni le parent, à un degré quelconque.
—C'est vrai! dit tristement le vieillard. Voilà pourquoi, au lieu de m'adresser à la police, je m'adresse à vous. Non, je le sais, on me fermerait la bouche, si je dénonçais publiquement cet attentat; on me traiterait de calomniateur; on me condamnerait; on m'enfermerait. Je n'ai aucun droit, que celui de l'intérêt que je porte depuis vingt ans à cette enfant. Cela ne suffit pas pour une action publique; mais cela doit suffire pour une action… discrète; car enfin, il y a la loi morale au-dessus de la loi étroite… Ah! si vous pouviez pénétrer toute l'horreur de ce crime!
M. Herment éleva les bras, par un geste, si solennellement tragique, qu'il étonna plus qu'il n'émut M. Barbier.
On eût dit un acteur, jouant avec génie une scène, mais la jouant au naturel, ou un procureur fulminant un réquisitoire, en tout cas, un orateur que l'art transfigurait dans son explosion la plus élevée, la plus sincère.
M. Barbier, intrigué par ce mélange de passion et de suprême habileté, ne fut que plus curieux de connaître son visiteur.
—Vous ne m'avez pas répondu, monsieur, reprit-il d'un ton presque caressant. Je ne doute pas de votre parole, mais encore faut-il que je sache…
—J'ai été le premier maître… plus que cela, le premier ami, de cette jeune fille, répondit M. Herment avec une précipitation singulière, en coupant la parole à M. Barbier.
—Son professeur? demanda le sous-secrétaire d'État, de plus en surpris.
—Oui, monsieur.
En disant cela, M. Herment rougissait.
—Est-ce M. le duc de Thorvilliers qui vous avait donné cette fonction auprès de sa fille?
M. Barbier faisait cette question, faute d'en trouver une autre.
Ce singulier professeur confondait toutes ses idées.
Sa question cingla le cœur de M. Herment qui se souleva de son fauteuil, en s'appuyant sur les bras, et, avec un étincellement des yeux, presque farouche:
—Non, balbutia-t-il, ce n'est pas le duc qui m'avait chargé de ce devoir.
—Alors, veuillez m'expliquer…
M. Herment retomba dans son fauteuil, baissa la tête, et, la relevant presque aussitôt, avec décision:
—Il faut bien que vous sachiez tout… je suis résolu à tout dire: je ne suis pas seulement le premier maître de cette jeune fille… je suis son père.
La confidence devenait fort intéressante.
M. Barbier, accoudé sur son bureau, caressait lentement sa bouche de son doigt, pour y attirer des paroles sages; il réfléchissait.
A ce moment, on frappa légèrement à la porte, et un huissier apporta une lettre qu'il tendit silencieusement au sous-secrétaire d'État.
C'était le rapport attendu. Le préfet de police s'excusait d'être un peu en retard; mais les renseignements avaient été difficiles à prendre, tant M. Herment vivait entouré de précautions et enveloppé de silence.
On avait pu faire causer une femme qui s'occupait de son ménage, et voici ce qu'on avait recueilli.
«Herment n'est pas son nom. Il cache son nom véritable. Il reçoit peu de visites. Il sort souvent, surtout depuis un mois. Il lui est arrivé de rentrer fort tard, et quelquefois de ne rentrer que le matin. Les voisines prétendent qu'il assiste à des conciliabules légitimistes. Il occupe une petite chambre, au troisième, dans une maison meublée. Quelques bijoux de famille font supposer qu'il avait autrefois une grande fortune. Il a sur un cachet et sur une bague des armoiries. La propriétaire est persuadée que c'est un grand seigneur qui se cache. Sa femme de ménage a découvert, pendant la visite qu'un chanoine de Notre-Dame a rendu un jour au prétendu M. Herment, qu'il est un prêtre interdit; ce qui alarme sa conscience de dévote… On le saura tantôt.»
M. Barbier laissa tomber le rapport devant lui.
Pendant qu'il lisait, M. Herment, les mains jointes et pressées sur sa poitrine pour y faire rentrer le secret de tendresse qui s'en était échappé, avait une attitude ecclésiastique, dans une sorte de contemplation paternelle, qui achevait la révélation.
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