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      —Je ne crois pas. On m'a parlé d'une victime innocente.

      —Il n'y a pas alors de politique dans l'affaire. Est-ce un meurtre?

      —Je ne sais pas.

      —Un viol? un enlèvement? une séquestration?

      —C'est possible!

      Le préfet vida un verre de bourgogne qu'on venait de lui verser, et, d'un ton de raillerie:

      —Comment! vous ne savez rien?

      —Non, rien encore.

      —On se moque de vous.

      —Je ne crois pas.

      Le préfet écrasa sur le bord de son assiette une boulette de mie de pain qu'il avait triturée, pendant ses divers récits, et avec un sourire d'artiste qui va professer:

      —Vous le verrez! on se moque de vous. Quant à moi, si je gobais le quart des dénonciations qui m'arrivent tous les matins, je ferais, tous les soirs, arrêter cent personnes dans Paris.

      Le mot gober était permis entre deux anciens camarades du même banc, au centre gauche de la Chambre; d'ailleurs qui donc est plus à portée de puiser dans l'argot que le préfet de police? Mais le mot n'en était pas moins une moquerie. M. Barbier sourit, à son tour à cette piqûre sans venin.

      —Mon cher, je ne suis pas plus gobeur qu'un autre. Quand le dénonciateur a une apparence respectable…

      Le préfet interrompit:

      —Si les coquins n'étaient pas capables de surprendre le respect, il y aurait moins de dupes.

      —Je serais bien étonné d'avoir affaire à un coquin. Le chef de la police avança son coude sur la table, comme il eût fait à la tribune, et répliqua:

      —Les honnêtes gens ne sont pas moins sujets à caution que les coquins. Leur candeur les abuse grossièrement et leur vertu les rend infatigables à harceler la police. Vous ne savez pas à quel héroïsme d'espionnage l'honnêteté peut pousser? On se fait, en général, une très fausse idée dans le public du nombre des instruments que nous mettons en œuvre. Paris serait extraordinairement surpris d'apprendre avec combien peu d'agents embrigadés nous veillons sur lui. La plupart de nos captures importantes nous sont facilitées par des amis, pris de scrupule, qui ne veulent pas avoir sur la conscience la cachette d'un voleur ou d'un assassin, qui nous le livrent, sous la seule condition d'être tenus à l'écart de l'instruction, pour ne pas être exposés à des vengeances… Je ne vous parle pas des complices qui mangent le morceau, afin de bénéficier de cette complaisance… Voilà pour les crimes accomplis et dont nous poursuivons les auteurs. Mais les soupçons, faciles à concevoir, après une audience de cour d'assises, après la représentation d'un drame! mais les billevesées des peureux! Rappelez-vous, pendant le siège de Paris, la terreur patriotique conçue par de braves gardes nationaux, toutes les fois qu'ils voyaient une chandelle allumée, ou une lampe à abat-jour de couleurs, au cinquième étage d'une maison du boulevard Montmartre! Ils allaient dénoncer des espions, qu'on ne trouva jamais. Avant d'être préfet de police, pendant la Commune, j'ai connu un épicier, estimé, incapable de fausser la vérité, autrement qu'avec ses balances, qui a dénoncé et fait fusiller, le plus innocemment du monde, par l'armée de Versailles, le plus innocent de ses voisins, un chimiste, parce que celui-ci se livrait à des manifestations inconnues dans l'épicerie et qu'on assurait être des fabrications de fusées incendiaires! Cela m'a rendu défiant. Je reçois des lettres de femmes mariées, me demandant de faire expulser, ou de faire enrégimenter par le bureau des mœurs des demoiselles qui les font jalouses; sans compter les belles-mères qui ne se rendent pas compte des agissements de leur gendre; les concierges et les propriétaires qui veulent sauvegarder la réputation de leur immeuble, compromise par des locataires mystérieux! On méprise mes agents, sans se douter qu'ils ont des émules, plus féroces et plus crédules dans beaucoup d'honnêtes gens.

      —Et les honnêtes gens ne vous donnent jamais un bon avis?

      —Jamais c'est trop dire. Si; quelquefois.

      —Vous voyez donc bien!

      —Mais ils se trompent quatre-vingt-quinze fois sur cent.

      —Vous avez plus confiance dans les coquins que vous exploitez et qui vous exploitent?

      —Non, pas plus, mais tout autant. Les naïfs se trompent; les coquins veulent nous tromper. Il n'y a pas de catégorie pour la vérité.

      —C'est égal, reprit M. Barbier, en insinuant deux doigts dans la poche de son gilet, vous avez beau dire, j'ai bonne opinion de l'homme que j'ai reçu ce soir.

      —Ah! il vous a remis un premier rapport?

      —Non. Je l'attends demain.

      —Je suis à vos ordres, si vous croyez qu'il vous indique une piste à suivre.

      M. Barbier se mit à rire.

      —Je tâcherai de me passer de vous.

      —Je vous en défie!

      —Vous m'en défiez?

      —Sans doute; et si vous y tenez, je prends même l'engagement de savoir, une heure après vous, ce dont il s'agit et d'aviser, deux heures avant vous, à ce qu'il faudra faire.

      Le sous-secrétaire d'État promena les yeux autour de lui:

      —Est-ce que vous auriez des agents ici?

      Le préfet s'amusa à passer rapidement la revue des domestiques en livrée, qui servaient à table.

      —Peut-être! En tout cas, il ne m'est pas difficile, vous le comprenez, de mettre quelques-uns de mes gens, en observation sur la place Vendôme; d'avoir les noms, les adresses, de toutes les personnes qui sortiront d'ici, après une audience…

      —C'est vrai, répliqua le sous-secrétaire d'État, qui avait pris du bout des doigts la carte de son visiteur, et la remuait dans son gousset. Vous pouvez filer tout le monde. Faisons mieux, voulez-vous? Collaborons… Pouvez-vous, d'ici demain matin dix heures, savoir quel est le personnage qui m'a remis sa carte… que je n'ai pas encore lue?

      M. Barbier tira de sa poche le petit carton sur lequel un nom était écrit à la plume et non imprimé. Il lut:

      LOUIS HERMENT Boulevard des Batignolles, 20

      Il passa la carte à son voisin.

      Le préfet la reçut, comme un expert reçoit une pièce à juger; il l'examina, et dit ensuite:

      —Votre visiteur ne rend guère de visites. Je gagerais que cet autographe est le seul de son espèce. Votre homme a prévu qu'il serait obligé de vous donner son nom et son adresse. Il a confectionné ceci à votre seule intention. Le carton a été découpé par un canif et une règle, ce matin; l'écriture est toute fraîche; quant au nom, il est tracé avec une application qu'on n'a pas d'ordinaire, en reproduisant sa signature. Aucun trait n'échappe à la volonté de bien écrire. Voulez-vous mon sentiment? C'est là un faux nom.

      —Pourquoi, alors, aurait-il ajouté son adresse?

      —Si le nom est faux, l'adresse est fausse. Il s'agissait uniquement de vous inspirer une demi-heure de confiance. L'homme ne prévoyait pas que vous me rencontreriez et que j'enverrais un agent à son prétendu domicile.

      —De sorte que, demain matin, à dix heures, vous pourriez me donner des renseignements sur cet individu?

      —A dix heures, soit. Je ne vous garantis pas, pour une heure si matinale, toute la vérité, ni même la vérité vraie; mais nous aurons des vraisemblances, des conjectures, et, pour un commencement d'enquête, cela suffit… Tenez! Je vois déjà que ce M. Herment est un homme déchu.

      —A quoi voyez-vous cela?

      —A la petite prétention de la carte, et à l'adresse. Nous

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