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moins un grand coupable selon le morale. Le personnage, toujours mystérieux, ne perdait pas de son intérêt pour cela.

      Quel drame ou quel roman sous ces trois révélations? Un grand nom caché, une grande fortune perdue, un prêtre qui était père, dans ce pauvre homme logé en garni, aux Batignolles!

      —Monsieur, dit brusquement M. Barbier, en posant devant lui la note de la police, vous ne portez pas votre nom!

      M. Herment s'éveilla en sursaut de son rêve, darda ses yeux qui se reculèrent dans leurs orbites profondes, vit et devina sur le bureau le papier de la police, que l'enveloppe, bâillant encore après l'effraction, dénonçait.

      Il eut un plissement du front; son sourire s'aiguisa. Il répondit avec une intention de fierté:

      —Il serait plus exact de dire que je ne porte pas mon nom tout entier et que j'en ai traduit une partie en français.

      —Vous êtes étranger?

      —Non, monsieur, mon nom de famille est alsacien. Je suis le comte Louis Hermann d'Altenbourg. J'ai bien le droit, sous la République, de ne pas me targuer d'un titre, et depuis que mon pays est allemand, de traduire Hermann par Herment… Est-ce là, monsieur, tout ce que la police a découvert sur mon compte?

      —Non.

      —Ah!

      M. Barbier hésita à continuer. Cette femme de ménage, après tout, s'était peut-être trompée! Sans être ni dévot, ni catholique, ni peut-être chrétien, le sous-secrétaire d'État au ministère de la justice l'était également au ministère des cultes. Cela suffisait pour qu'il lui répugnât de trouver un prêtre réfractaire et adultère dans cet homme si grave, si digne, si émouvant.

      Pendant sa courte hésitation, et tout en remuant le papier accusateur, M. Barbier se souvint que M. Herment connaissait très bien le ministère et ses êtres. Il y était venu sans doute, comme ecclésiastique, solliciter de l'avancement, ou essayer de s'y faire défendre.

      Le sous-secrétaire d'État voulut durcir sa voix, lui donner la tonalité d'un fonctionnaire qui fonctionne; mais sa gêne persistait. Il dit:

      —La note que j'ai là me donne un renseignement que vous avez omis et qui vous embarrassait sans doute… Vous êtes un prêtre interdit?

      M. Herment s'attendait à cette question. Il resta impassible:

      —Oui, monsieur.

      Il se fit un petit silence.

      M. Barbier regardait un peu en dessous le prêtre, et celui-ci le regardait fixement, de ses yeux qui n'étaient plus tentés de pleurer.

      M. Herment ajouta simplement, gravement, lentement:

      —C'est parce que je suis frappé d'indignité, que j'ai besoin de vous, monsieur.

      —Vous ne me facilitez pas la besogne!

      —Serait-elle plus facile, si j'étais un homme marié, doublement adultère?

      La remarque était audacieuse, étrange. Elle pouvait paraître cynique, de la part de ce prêtre, en apparence si respectable; mais il avait une façon si ordinaire de dire les choses extraordinaires, qu'il fallait croire à une aberration, plutôt qu'à une émancipation brutale de sa conscience, à une illusion candide de sa tendresse paternelle, plutôt qu'à l'entêtement d'un révolté.

      —De toute façon, en effet, répliqua M. Barbier, en admettant la réalité de ce… danger pour votre enfant, nous sommes sans armes pour agir contre celui que la loi reconnaît comme père. M. le duc de Thorvilliers n'a pas, évidemment, désavoué sa…fille?

      —Non, monsieur.

      —Je crains que vous ne m'ayez fait une confidence inutile.

      M. Herment secoua la tête.

      —Vous ne savez rien encore!

      M. Barbier eut un mouvement. Le récit promettait d'être intéressant, mais le tête-à-tête pouvait être long.

      M. Herment se hâta d'ajouter:

      —Ne craignez rien, monsieur, je n'abuserai pas de la faveur que vous m'avez faite ce matin. J'ai préparé, pour le jour où je rencontrerais un homme de cœur, de bonne volonté, qui pût m'aider, une confession écrite, que je me permets de vous laisser. Ce sera, si je meurs désespéré, mon testament moral. En tout cas, monsieur, je le jure devant Dieu, en qui je crois encore, c'est l'exacte vérité. J'ai voulu de très bonne foi me juger… Vous ne pourrez pas être plus sévère pour moi que je ne l'ai été moi-même, et cette sévérité-là m'a fait supporter le mépris de mes supérieurs… En me faisant descendre de la chaire où j'ai prêché, il y a vingt ans, avec succès, on m'a affranchi de l'obligation d'un mensonge qui m'eût accablé… C'était, bien assez du deuil effroyable que je portais… Vous verrez pourquoi je traite de deuil ce que d'autres appelleraient le remords; mais le repentir est-il autre chose que le regret d'une vertu flétrie, d'une illusion morte dans l'âme?… Voici, monsieur, ce manuscrit… Je voudrais qu'il fût plus court; mais j'ai tenu à expliquer tout… Je l'ai écrit sans vanité littéraire; lisez-le sans méfiance. Laissez-moi vous dire, en toute franchise, que je ne doute pas de vous; je veux que vous ne doutiez pas de moi. Cette confiance réciproque nous donnera une force et une inspiration qui n'auraient pu se dégager de relations vagues. Remarquez, monsieur, que je ne prétends pas usurper sur votre conscience. Ce n'est pas moi qui ai franchi le premier les limites d'une audience officielle. En demandant si vite à la préfecture de police ces renseignements sur moi, en manifestant une curiosité, dont je vous remercie, vous avez engagé un peu de votre cœur. Vous aviez la volonté de ne pas me traiter comme un importun et vous ne comprenez pas encore quel crime je vous dénonce. Vous ne me considérez plus comme un fou, de vous l'avoir dénoncé. C'est quelque chose. Ma démarche vous surprend; mais ma figure ne vous a pas donné l'indice d'un malhonnête homme. Je comprends la surprise; je suis touché de la présomption favorable. Ma situation de déclassé vous a causé un certain effroi. Bien qu'il ne s'agisse pas d'une protection publique, ni d'une protestation contre la sentence qui m'a frappé, vous vous demandez s'il n'y a pas une antithèse trop forte, trop brutale, entre le sous-secrétaire d'État au ministère des cultes et le prêtre interdit. J'espère, monsieur, que ces hésitations de votre part disparaîtront à la lecture de ces pages. J'en attends, non pas plus d'estime pour moi, mais plus de pitié pour mon malheur… Je suis bien malheureux! Nul homme ne peut l'être autant que moi!… Il y a un mot qui m'est interdit; car en quittant par force le costume de prêtre, je n'ai pas abjuré toute ma foi, c'est le mot de fatalité… Si je croyais que mon malheur fût fatal, je fléchirais sous le fardeau; mais je le subis comme une épreuve. Je me crois le droit de lutter, comme une créature punie, mais soumise au châtiment, en ne voulant pas que la méchanceté des hommes s'étende à une créature innocente. Sauvez ma fille; je vous en conjure, puisqu'elle va payer pour un coupable… Je reviendrai, monsieur, quand votre conviction sera faite, et elle se fera… Je vous renouvelle mes remerciements, de votre accueil, de votre enquête. J'en aurai d'autres à vous offrir, j'en suis sûr.

      M. Herment laissa tomber sa voix, alourdie par des larmes retenues, sur ces derniers mots.

      Peu à peu, en parlant, il s'était soulevé, il s'était levé. Ce fut debout et en tendant le manuscrit au sous-secrétaire d'État qu'il acheva ce petit discours.

      M. Barbier l'avait écouté avec émotion, avec ce battement de cœur, tout à la fois égoïste et généreux, qui tient à la recherche d'un secret dramatique et au désir de se mêler d'une grande infortune à corriger.

      M. Herment grandissait, au lieu de se diminuer, par ses fautes mêmes; il se redressait sans audace, mais noblement, pour laisser voir toutes les brûlures de la foudre, et, maintenant que le secret de son état se trouvait divulgué, il n'avait plus à prendre ces précautions qui lui donnaient des façons indécises.

      Tout s'expliquait dans son aspect extérieur, son attitude, son geste, sa parole, par ses antécédents, par ses habitudes

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