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de printemps.

      Gaston s'inclina avec courtoisie:

      —Vous allez bien, marquise? Excusez-moi de ne pas vous avoir devinée, derrière ces fleurs de vos jardins.

      —Je vais aussi bien que vous, mauvais sujet. Qu'avez-vous à dire contre ma petite-fille?

      —Qu'elle se moque toujours du monde.

      —C'est son droit.

      —Dans une vente de charité, ce n'est pas son devoir.

      —Avec vous? Si, vraiment!

      —Ah! marquise, elle est bien votre petite-fille! Mais nous verrons, quand elle sera ma femme!

      La grand'mère et la jeune fille partirent ensemble du même éclat de rire, qui me rassura.

      La note ailée, aérienne, d'une moquerie innocente, palpitait sur les lèvres roses; la note basse, chevrotante, frissonna gaiement sur les lèvres décolorées de la douairière.

      —Toi, mon mari? s'écria mademoiselle Reine.

      —Je l'ai été!

      —Oh! il y a si longtemps de cela! Tu étais encore en robe, et l'on me portait!

      —C'est égal, c'est un titre.

      —Il est avec mes vieux joujoux.

      —Avisez-vous donc de me la demander! dit à son tour la marquise.

      —Ne m'en défiez pas.

      Malgré son ton inoffensif, ce verbiage commençait à me déplaire.

      Reine, au lieu de continuer cette dispute, se tourna vers moi et me prenant à témoin, avec une moue de grande enfant.

      —Quel fou!

      —Ah! si tu me calomnies auprès de mon ami, dit Gaston en plantant les roses dans sa boutonnière, je me fâcherai!

      Puis, se souvenant qu'il ne m'avait pas présenté, il répara son oubli, et gracieusement, avec une sorte de solennité, jouée et enjouée:

      —Madame la marquise, je vous présente M. Louis d'Altenbourg, le pupille de mon père. Mademoiselle Reine de Chavanges, je vous présente mon frère, votre futur beau-frère.

      Je m'inclinai. Mademoiselle de Chavanges, tout en me faisant la révérence, dit à Gaston, d'un air plus sérieux et d'un ton plus net:

      —Mon cher, tu en veux trop pour ton argent. Moi, ta femme! j'aimerais mieux vendre des roses, pour deux sous, dans Paris.

      Gaston était, après tout, un jeune homme du monde. Il n'était sot que par une sorte de débraillé de son esprit. Il comprit que la plaisanterie avait assez duré. D'un geste vague il indiqua qu'il n'insistait plus et que la taquinerie était remise à une autre rencontre.

      Pendant ce temps-là, la marquise me disait avec une nuance de mélancolie, un peu banale:

      —J'ai beaucoup connu votre père. C'était un homme charmant! Vous lui ressemblez…

      Le compliment, dans un autre moment, m'eût choqué. Par quel éveil de fatuité honteuse et sournoise me donna-t-il de l'orgueil?

      Je crus que mademoiselle Reine, redevenant sérieuse, me regardait cependant avec indulgence.

      La marquise ajouta en continuant de me regarder:

      —Oui, oui, vous ressemblez fort à votre père. Je n'ai pas connu votre mère.

      Elle prit sa petite-fille à témoin:

      —Reinette, voilà un orphelin comme toi; mais il n'a pas, comme toi, une grand'maman qui vit par miracle, pour l'aimer, et pour ne pas le laisser seul.

      Elle joua l'attendrissement; c'est-à-dire qu'elle fit claquer ses lèvres comme pour avaler un soupir, et que sa voix avait eu un trémolo discret.

      Reine ouvrit tout grands ses yeux noirs, et m'enveloppa d'un regard profond, curieux, sans émotion apparente.

      Je me sentis brûlé par ce regard froid au dehors.

      Cette conversation courte, subitement tournée au grave, me paraissait aussi étrange que quand elle était gaie. On avait plaisanté avec étourderie sur les fiançailles enfantines de Gaston et de mademoiselle Reine. Voilà que tout à coup, à première vue, la marquise de Chavanges avait l'air de vouloir me fiancer à sa petite-fille, moi qu'elle n'avait jamais vu, qui passais!

      J'avais le cœur gonflé. Mademoiselle Reine me regardait toujours. Elle avait pris une rose et, machinalement, par la tige, la faisait tourner entre ses doigts. Si elle me l'avait offerte, j'aurais cru qu'elle m'acceptait pour mari.

      Je remerciai la marquise. Je promis d'aller la voir. Pendant que je la saluais, mademoiselle Reine, elle, fermait à demi les yeux, pour continuer à m'observer, avec attention, sans baisser son regard.

      Je ne sais trop ce que dit Gaston. Je remarquai seulement qu'il ne donna pas la main à mademoiselle Reine. Celle-ci, d'ailleurs, avait les deux mains occupées par la rose qu'elle faisait tourner. Ils se dirent adieu avec un petit rire de camarades qui ne m'offensa plus, et nous partîmes…

       Table des matières

      Dans la rue de Grenelle,—je vois encore l'endroit où commença cet entretien qui enchaîna ma vie; c'était devant une haute porte, un lion tenant dans sa gueule un serpent enroulé servait de marteau,—Gaston, sans attendre une question, passa son bras sous le mien et me dit gaiement:

      —Te voilà sur la liste des prétendants!

      —Quels prétendants?

      —Hypocrite! Tu n'as pas entendu la marquise?

      —Elle a été aimable, gracieuse.

      —Oui, mais elle t'a étiqueté! C'est son idée fixe, à la pauvre femme! Voilà pourquoi je me suis amusé à la taquiner. Je savais bien qu'au fond je flattais sa manie. Moi, je n'ai pas assez de vocation.

      Je répliquai assez vivement:

      —Il est assez naturel qu'elle veuille marier sa petite-fille et qu'elle soit inquiète…

      —Elle, inquiète! de quoi donc? de la mort? Elle n'y croit que tout juste pour donner, à l'occasion, à sa voix, toujours un peu criarde, un son plus doux. De la jeunesse de sa petite-fille? Elle la respire comme un bouquet qui ne doit jamais se faner. De ce que Reine pourrait demeurer seule au monde? Elle ne peut pas croire cela. Si elle songeait à son départ, ce serait pour regretter de ne pas voir, le lendemain, les princes de féerie qui viendront faire cortège à sa petite-fille. Non, elle racole des soupirants, par tradition, pour se dédommager de n'en plus voir à ses genoux et pour se venger des airs dédaigneux de Reine. Ne te laisse pas prendre à cette sentimentalité ridicule… La marquise est la plus grande marieuse du faubourg Saint-Germain. Voilà ce que c'est que d'avoir été la plus enragée démarieuse de son temps.

      Je regardai Gaston, sans comprendre.

      —Ah ça! tu ne connais donc rien? Ton père, qui était un homme aimable, ne t'a donc jamais parlé, de la marquise de Chavanges?

      —Jamais.

      —Eh bien, on a respecté ton innocence. Cette vénérable dame a été la plus folle, la plus étourdie des coquettes. On assure que le pauvre marquis, son mari, n'osait plus courir les cerfs, de peur de mettre trop de dépit dans la poursuite, et tant ses oreilles tintaient d'un hallali perpétuel. La marquise s'est mariée à dix-huit ans. Reine en a plus de dix-sept, et elle trouve que Reine est en retard. A vingt-deux ans, elle s'est fait enlever par le chevalier de Mettrais. A trente-cinq ans, elle a enlevé, à son tour, un pianiste (c'était la mode), mais elle l'a lâché sur la

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