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La confession d'un abbé. Louis Ulbach
Читать онлайн.Название La confession d'un abbé
Год выпуска 0
isbn 4064066086688
Автор произведения Louis Ulbach
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
A plusieurs reprises dans la journée et dans la soirée, Gaston me reparla de Reine de Chavanges. Y mettait-il de la raillerie? Se doutait-il de cette possession qui commençait? Étais-je plus pâle que d'habitude, ou bien étais-je trahi par ma rougeur? Une joie qui bouillonnait en moi me rendait-elle, par crainte, plus triste d'apparence, ou bien laissais-je voir que j'étais jeune aussi, et plus amoureux que tous mes camarades?
VII
J'allai avec Gaston, et je retournai seul, chez la marquise de
Chavanges.
J'acquis par moi-même la preuve de ce que mon ami m'avait affirmé.
La grand'mère avait augmenté d'un nom la liste des prétendants, et Reine acceptait, avec son indifférence habituelle, ce soupirant de plus à écouter, à éconduire.
Avec indifférence? non. Avec curiosité? à coup sûr. Avec dédain? peut-être.
En effet, les regards de la jeune fille, vagues et d'une politesse égale pour tout le monde, se concentraient et se durcissaient, quand je la saluais.
Elle ne me disait rien de désagréable; au contraire; sa façon de parler, rieuse, étourdie, libre, se calmait, se contraignait, pour m'interroger ou me répondre. Il y avait dans ses moindres mots une bonne volonté polie; mais le regard trahissait la méfiance.
Je tirais de cette attitude une raison d'espérer, autant qu'une raison de craindre. Ce qui se montrait de sérieux et de grave m'enchantait et prouvait bien que cette jeune fille pouvait devenir une femme sérieuse. Mais ce qui se laissait voir de gracieux en elle n'était que l'effort de sa pitié pour mieux voiler son dédain, son antipathie…
Ah! c'était bien l'amour qui était entré en moi, puisque la douleur y était entrée aussitôt. J'aimais cette douleur et j'attisais cet amour lointain, immense, jaloux, muet…
Ces dames quittèrent Paris pour le château de Chavanges, un mois après notre première rencontre. On ne m'invita pas directement à une visite; mais Gaston, vers l'époque des chasses, ayant reçu un petit mot de la marquise, me le montra. J'étais, en post-scriptum, prié d'accompagner mon ami.
—L'idée de m'avoir pour tuer son gibier vient de la marquise, me dit
Gaston; l'idée de te voir à Chavanges vient de Reine, j'en suis sûr.
C'est elle qui a dicté le post-scriptum.
Le cœur me battit bien fort à cette remarque. Quand mon ami me donnait une espérance, je le croyais sincère. Peut-être se moquait-il de moi, cependant. Mais je pensais que l'ironie est, pour certaines natures, une façon involontaire de céder à la vérité…
Je partis avec Gaston.
Nous n'étions pas les seuls hôtes de Chavanges. La marquise, moins par sentiment de convenance que pour avoir plus de bruit autour d'elle, invitait des amis de tous les âges. Seulement, elle n'acceptait que des vieilles femmes de son caractère, voulant que Reine exerçât sans lutte et despotiquement, tout son pouvoir.
Le château de la marquise, situé dans les Ardennes, en avant d'une belle forêt, et en amphithéâtre au-dessus de la Meuse, était très gai, de face, quand on y arrivait par une belle avenue; quand on voyait rire le soleil dans les grandes fenêtres à petites vitres et étinceler les toits en ardoises. Mais il était sévère et un peu triste, quand on sortait par l'autre côté, pour entrer dans le parc qui montait vers la forêt. Une vaste pièce d'eau, carrée, s'encadrant comme un miroir dans une pelouse assombrie par l'ombre projetée de la maison, rappelait la pièce d'eau du château paternel. C'était une cause de plus d'attendrissement. Seulement, comme cette pièce d'eau était plus élevée que la cour d'honneur, dépavée et plantée de massifs, située entre la façade et la grille d'entrée, elle alimentait un jet d'eau, figuré par un grand cygne battant de l'aile et tendant le cou au ciel, au milieu d'un bassin.
L'architecture du château était double et l'édifice avait deux masques. Le visage qui faisait accueil aux arrivants était une sorte de corps avancé, construit, enjolivé et signé par le dix-huitième siècle. Il s'adossait à une bâtisse du temps de Louis XIII dont la face avait disparu, et dont le péristyle servait de décor à un vestibule intérieur traversant le château dans sa largeur.
La marquise habitait naturellement la partie ensoleillée du dix-huitième siècle; les hôtes avaient pour horizon la forêt à l'arrière-plan, un bout de parc sévère au-dessous de leurs fenêtres, et des roses à droite et à gauche. Reine était logée de ce côté, dans la partie pompadour encore, mais qui rejoignait celle du dix-septième siècle. Une haute bibliothèque, boisée comme une sacristie, salle de dessin, de musique, ayant, parmi trois portes, une qui communiquait avec l'appartement de Reine, servait de transition et de transaction entre les deux époques.
Quand j'eus pris mes habitudes dans le château, cette pièce douce et fraîche m'attirait souvent.
Puisque la chasse était le prétexte de ces invitations, on faisait, bon gré, mal gré, de grandes parties en forêt.
La marquise avait une espèce de meute. Elle avait soin surtout d'utiliser les chasseurs des environs. Elle invitait les chevaux en même temps que les cavaliers. Nous étions venus de Paris, Gaston et moi, chacun avec notre cheval.
Mais si j'aimais à Paris une promenade matinale, solitaire, au bois de Boulogne, je n'aimais guère à Chavanges ces courses furieuses qui secouaient la pensée, la torturaient, sans l'empêcher d'agir.
Quand Reine n'était pas de la chasse, je n'en étais pas longtemps. Je désertais, d'abord avec timidité, puis au bout de quinze jours avec audace; je revenais hardiment au château, espérant la rencontrer seule, la voir, m'enhardir à lui parler simplement, sans les éclats de rire qui entrecoupaient toujours les conversations, aux heures où tous les invités étaient réunis, à établir entre nous une intimité d'amis, qui résistait à mon grand désir et qui me semblait, tour à tour, souhaitée ou redoutée par elle.
Mais toute ma hardiesse consistait dans cette désertion de la chasse. Arrivé au château, si je la rencontrais, je cherchais des excuses, sans donner la raison vraie de mon retour.
Elle paraissait étonnée de ma désertion, m'en raillait, se refusait à empêcher le repos que j'étais venu chercher, ne me laissait pas bénéficier une minute du tête-à-tête paisible que je m'étais ménagé, ou bien, paraissant tout à coup me deviner, me donnait, en riant, un rendez-vous pour le lendemain, à la chasse, où elle irait, afin de m'empêcher de m'y ennuyer.
Ces jours-là, elle affectait de me retenir auprès d'elle; mais c'était pour m'emmener, au grand galop, à travers la forêt, ne me laissant pas le temps de lui dire un mot dans les haltes rapides que nous faisions, se fatiguant avec une sorte de colère contre elle-même; puis, au plus beau moment de son exaltation d'écuyère, tournant bride, cherchant à rejoindre les chasseurs, les dissuadant de continuer, proposant une course à fond de train jusqu'au château et galopant à la tête de cette meute d'hommes déchaînés qui criaient, hurlaient, jouaient des fanfares et faisaient se pâmer d'aise la vieille marquise, assise sur le perron du château, du côté Louis XIII, et souriant au seul tapage qu'elle pût encore provoquer.
Au retour, après un baiser qui effleurait les rides de sa grand'mère, Reine allait s'enfermer dans sa chambre, en traversant la bibliothèque; souvent, quelques instants après elle, j'y allais prendre un livre que je ne lisais pas, mais pour m'accouder à l'angle d'une table et regarder sur le parquet la petite trace, l'esquisse des contours, que son pied nerveux faisait avec la poussière de la forêt, en marchant vivement, nerveusement, en frappant le plancher.
Elle ne sortait de chez elle qu'à l'heure du dîner, fatiguée de