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La confession d'un abbé. Louis Ulbach
Читать онлайн.Название La confession d'un abbé
Год выпуска 0
isbn 4064066086688
Автор произведения Louis Ulbach
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
J'entendais par instants, au loin, au-dessous de moi, dans un silence relatif qui s'établissait au salon, Reine, chantant ou jouant, puis des applaudissements. Je prenais une sorte de plaisir cruel à humer, à travers les murs, cette vie qui coulait en moi comme une sève nouvelle dont mon être s'enivrait et s'exaltait.
Je me défendais de descendre. J'aurais été, ce jour-là, plus maladroit que d'habitude, plus ridicule, plus triste dans cette gaieté, triste comme le temps dont on se moquait. Il pleuvait dans mon cœur, comme dans le ciel. J'avais de grosses larmes aux yeux et je les laissais tomber sur le papier. Je n'aurais pu les retenir devant elle; peut-être bien qu'elle eût ri, pour amuser ses hôtes.
Ah! si j'écrivais pour le public, comme j'aurais plaisir à retracer cette phase délicieuse d'un amour ardent et innocent, ce bonheur des larmes, qui est la rosée des illusions printanières et qui garde le secret du rajeunissement, quand plus tard, homme vieilli, on se sent suffoquer.
Mais, encore une fois, je ne fais pas un livre.
Peu à peu, le travail auquel je me livrais, cette gymnastique de la versification qui n'éteint pas l'enthousiasme, qui le rythme dans l'esprit, en même temps qu'il le rythme prosodiquement, m'avait absorbé. Je percevais encore un bourdonnement vague; je ne l'écoutais plus.
Il y avait bien deux heures que j'étais là, la tête soutenue par une main et penchée sur le papier. Je n'entendis pas ouvrir la porte; je n'entendis pas quelqu'un s'avancer. Tout à coup, une voix qui me fit tressaillir, me dit:
—Aurez-vous bientôt fini d'écrire?
Je levai la tête, et instinctivement, comme lorsque j'étais écolier et que j'avais peur de laisser surprendre mes manuscrits, je croisai mes mains sur mon papier.
Reine se mit à rire:
—Oh! n'ayez pas peur! je ne veux pas lire vos lettres!
Elle rayonnait de gentillesse, de malice, de bonté, et tout en disant qu'elle ne voulait pas lire, elle se tenait légèrement penchée sur la table, pour s'y accouder.
Je la vois… je me souviens de la couleur, des plis de sa robe qui se creusait sur la poitrine dans ce mouvement en avant.
La table était large; sans cela, j'aurais eu le souffle de sa bouche sur la mienne, le rayon de ses yeux dans les miens. Mais il s'exhalait de cette jolie tête lumineuse, tout ensemble un arôme et une clarté qui m'enivraient. J'écartai doucement les mains et laissai voir les lignes inégales que j'avais écrites.
—Ce n'est pas une lettre! répondis-je avec un sourire suppliant, subitement décidé à tout dire.
Je souriais; mais elle devait voir que j'avais pleuré.
Elle le vit, en effet, mais, chose singulière, cette sincérité la fâcha, au lieu de l'attendrir. Elle se redressa un peu, se renversa en arrière; son corsage se tendit et la tentation de sa beauté se faisait plus réelle, en même temps que sa figure prenait un air plus sérieux.
—Ah! c'est vrai! murmura-t-elle, vous faites des vers!
Je ne répliquai pas. J'avançai doucement les feuilles griffonnées. Mais Reine se reculait, avec un dédain visible. Elle était debout. La compassion se mêla sur sa bouche à l'ironie qui la plissait.
—Vous avez donc du chagrin?
—Non.
—Si je vous demandais de nous lire vos vers?
Je m'effrayai:
—A tout le monde?
Elle rougit légèrement:
—Sans doute… dans le salon.
—C'est que je ne les ai pas faits pour qu'ils fussent lus devant tout le monde.
—Ah! pour vous seul alors?
Je sentis que ma bouche blêmissait et tremblait.
—Vous les destiniez à quelqu'un? ajouta Reine de Chavanges.
—Oui.
Il y eut un silence de quelques secondes, silence terrible. Je devais être bien pâle; tout mon être frémissait. Mon regard était suspendu à celui de Reine. Je voyais le sien s'allonger, s'approcher, se lier au mien. Nous allions lire l'un dans l'autre. L'amour descendait entre nous, comme Dieu descend dans la communion. Cette gravité, que Reine avait reprise, vibrait, pour ainsi dire, comme une nuée légère traversée par l'aiguillon du soleil. Elle étendit la main vers le manuscrit.
—C'est pour moi? me dit-elle, avec une grâce simple et fière.
Je balbutiai oui, et me levant à mon tour, je lui tendis mes vers.
Elle hésita, baissa la tête, la releva.
Que vit-elle en moi qui éteignit son beau sourire, qui dissipa la nuée lumineuse, qui rendit son visage froid, presque dur? Pouvait-elle se méprendre?
—Je ne me connais pas en vers, reprit-elle d'un autre accent.
Je voulais croire qu'elle disait cela par modestie. Les feuilles remuaient dans ma main. Son visage devint de marbre.
—Je n'aime que la prose, ajouta-t-elle. Vous voilà prévenu. Ne perdez plus votre temps!
Pourquoi cette dureté subite, cette méchanceté?
Elle eut comme la conscience de cette cruauté inouïe; elle voulut l'adoucir.
—Excusez-moi, monsieur d'Altenbourg. Je ne croyais pas vous surprendre, vous déranger dans un moment d'inspiration. Sans cela, je ne serais pas entrée. Continuez.
Elle salua de la tête, s'éloigna. Elle allait sortir par la porte qui donnait sur l'escalier et par laquelle elle était entrée. Elle n'était donc pas montée, pour aller dans sa chambre.
Craignit-elle que je fisse la remarque qu'elle était venue pour moi?
Elle se retourna légèrement, mais soudainement, elle me dit:
—Ces messieurs: proposaient de jouer ce soir une charade. Je venais vous demander de nous faire un petit scénario. Si j'avais su!… Voulez-vous venir en causer?… C'est mauvais de rester seul. Vous avez l'air de nous bouder.
Elle sortit. La lumière qui emplissait la bibliothèque disparut avec elle.
Je retombai dans le grand fauteuil de cuir que j'avais pris, rompu par une immense lassitude. Quelle créature compliquée, trop naïve ou trop corrompue pour moi, était-elle donc? Je faisais appel à mon courage, à ma psychologie, à mon amour? Lui seul me répondait et me forçait à l'aimer toujours, davantage encore, pour cette bizarrerie, pour cette énigme.
Je ramassai mes vers, et, sans hésiter, je les déchirai en petits morceaux; puis comme j'étais embarrassé de ces débris que je ne pouvais laisser sur la table ou sur le parquet, je les jetai dans la grande cheminée vide, où rien n'était disposé pour faire du feu. Je les fis flamber avec une allumette de fumeur, et je les regardai brûler, en pensant assez singulièrement, par une vanité de poète qui essayait de panser mes déchirures d'amoureux:
—Cela fera un peu de cendre qui s'éparpillera au moindre souffle dans la salle. Peut-être, en passant, verra-t-elle que je les ai brûlés, et aura-t-elle des remords!
Je n'eus pas besoin de compter longtemps sur ce hasard.
Le soir même, en sortant de table, pouvant me parier sans être entendue, dans un brouhaha universel, elle me dit, en se penchant à mon oreille:
—J'ai voulu tantôt ménager votre amour-propre de calligraphe. Votre manuscrit me