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et qu'elle a lancé à Rome. Il paraît que le pape lui avait donné un approvisionnement d'absolutions; car elle en a distribué à toutes ses amies et elle a gaspillé le reste. Elle avait un fils qui, par bonheur ou par hasard, ressemblait au marquis. Il s'est honnêtement marié à une femme honnête. Voilà ce qui explique quelque chose du caractère de Reine. Ce couple vertueux est mort du choléra. La marquise, veuve déjà, a eu un peu de chagrin, car elle est bonne, au fond et à la surface. Mais elle a été bientôt ravie d'avoir une belle petite-fille à habiller, à gâter, à faire aimer. Elle s'était garée de la manie des épagneuls, du goût des cartes; elle attendait inactive qu'on remît des ailes à son pauvre cœur alourdi. Reine lui a ramené les zéphirs. Comme il avait neigé sur les roses de son teint, elle s'est barbouillée des baisers de sa petite-fille et a planté des roses vraies dans toutes ses corbeilles. La petite boutique de la vente de charité est un rêve de Watteau qu'elle a tenu à réaliser. Le monde a pardonné à cette pécheresse, poudrée de grâce maternelle. Rien d'ailleurs dans cette tutelle n'est de nature à scandaliser le monde, notre monde. La marquise fait les choses, comme il faut les faire, et toutes celles qu'il faut faire. Elle va à la messe. Elle s'y tient, comme tu l'as vue à l'instant. Je crois bien même qu'elle fait de bonne foi des minauderies au bon Dieu, et qu'elle lui brûle des petites bougies roses, pour qu'il envoie des maris à sa petite-fille. Après avoir tant fourragé le mariage, la bonne vieille ne voudrait pas s'en aller, sans avoir arrangé, béni un joli petit mariage. Voilà, mon cher, pourquoi je l'ai mise si facilement sur ce chapitre-là; pourquoi du premier coup, elle t'a reluqué, inscrit sur sa liste, et voilà pourquoi te voyant un peu ténébreux, elle t'a joué un petit air de tristesse.

      Je me souviens des paroles de Gaston comme de toutes celles qui ont pour la première fois ensemencé mon cœur. Elles pétillaient en moi. Je voulus répondre en plaisantant aussi:

      —Et toi, quel rang as-tu parmi les prétendants?

      —Moi! je suis un en-cas, mais peu sérieux. J'ai été élevé avec Reine; sa mère était une amie, un peu cousine de la mienne. Elle me connaît à fond. Nous nous sommes fièrement battus dans le château de Chavanges! Reine a gardé l'habitude de me maltraiter. Quand elle me donne une poignée de main, c'est encore une tape sur les doigts. Nous avons été si camarades que nous ne pouvons pas nous aimer; or, je suis sûr que Reine voudra aimer son mari.

      Je me mordis la lèvre, pour empêcher un spasme qui me montait de la poitrine. Gaston, comme s'il eût deviné cet espoir subit, ajouta:

      —Tu ferais bien mieux son affaire, toi… Mais je t'avertis qu'elle n'aime pas les bigots.

      —Est-ce que je le suis?

      —Peut-être pas; mais tu t'en donnes la mine. Après tout, mon cher, cela te regarde. Tu es présenté; on t'a invité; Reine, je m'y connais, t'a admis dans sa collection. Nous irons demain rendre notre visite, et quand ces dames seront à Chavanges, nous irons passer quelques jours au château.

      —Comment? Elles reçoivent des jeunes gens?

      —Et aussi quelques vieux… Mais oui, la marquise est trop grande dame pour ne pas recevoir qui elle veut. Cela ne semble pas plus extraordinaire et cela paraît aussi innocent que le reste. Quant à Reine, elle est avec les danseurs, les visiteurs, comme tu l'as vue avec les acheteurs, toujours la même, simple, ou terriblement coquette, hardie, libre, point sentimentale, positive et tiède… Entre nous, pour être franc, je t'avouerai que je ne la comprends pas tout à fait. Elle a une belle santé, un appétit de la vie qui jaillit de ses yeux, assez peu d'illusions, car sa grand'maman en les lui caressant les étouffe sous ses caresses; pourtant, par instants, on la dirait fixée, emprisonnée dans une candeur marmoréenne, comme ces statues qui ne sont des femmes que jusqu'au buste et qui finissent en termes de marbre. Tu vois comme elle a été élevée, pas bégueule, pas fière, et pourtant il serait impossible de pousser avec elle la gaminerie un peu loin. C'est bien à elle seule, ou à une influence de race honnête qui aura passé par-dessus la grand'maman, qu'elle doit ce qu'elle vaut. Si elle a des petites idées malsaines, blotties quelque part, crois bien que c'est sa grand'mère qui les a nichées ou laissées se nicher là. Te voilà mis au courant. Je résume mon opinion sur Reine de Chavanges. Belle et bonne personne, poussée droit et non maintenue droite par un tuteur, charmante à voir, à entendre, facile à fréquenter, difficile à séduire, plus difficile encore à épouser, qui redoute d'être dupe d'elle-même et dupe des autres, qui vous regarde, qui se garde, et à qui, lorsqu'on est un platonique comme toi, il faut prendre bien garde!

      Gaston continua à me donner sur la famille de Chavanges, sur sa fortune, plus de détails que je ne lui en demandais. Sur la fortune surtout, il était exactement informé. Si la jolie marchande de roses avait un peu exagéré, en reprochant à mon ami son avarice, il n'en était pas moins vrai que Gaston aimait l'argent, les belles propriétés, les gros revenus. Il en parlait volontiers. Il supputait sur le bout du doigt les dots qui méritaient d'être considérées dans le faubourg Saint-Germain, et même ailleurs. Il les énumérait avec le plaisir d'un musicien qui se chante des airs de musique.

      Je l'écoutais mal. Il me plaisait qu'il fît à côté de moi un bruit dans lequel le nom de Reine de Chavanges tintait avec sonorité. Cela me suffisait pour rêver; je ne l'interrompais plus; je n'avais plus besoin de l'interroger.

      Je suis de ceux qui croient au chemin de Damas. Je le cherchais; je l'avais rencontré.

      Je devais revoir mademoiselle de Chavanges; je pouvais concevoir l'espérance d'en être aimé, d'en être choisi. J'étais de son monde. J'ignorais au juste ce que la succession paternelle, liquidée, me laisserait de fortune; mais, je ne voyais pas là d'obstacle; au surplus, je ne voulais pas en voir.

      Je sentais sourdre une volonté, une vocation. Il s'y mêlait, à coup sûr, une ivresse physique; mais, par pudeur, je n'en rêvais que plus vivement la possession d'une âme fière, indépendante, retenue, froissée dans un milieu qui l'alarmait.

      Je serais pour elle un mari honnête, comme l'avait été son père. Je lui apporterais un amour fidèle qui avait manqué à ma mère. Je m'imaginais qu'en me faisant connaître, qu'en amenant la confiance entre mademoiselle Reine et moi, je dégagerais sa pensée hésitante qui cherchait, sans doute, comme la mienne, à s'affranchir de certains souvenirs de famille.

      Ce que j'avais retenu avec un empressement jaloux, c'était cet hommage sincère rendu par Gaston à la pureté de cette pupille d'une vieille femme légère. J'y croyais avec extase. Les antécédents mythologiques de son aïeule la maintenaient chaste, comme les gaîtés de mon père m'avaient rendu triste. Nos consciences d'orphelins étaient fraternelles.

      Pauvre enfant! je la devinais, je la lisais dans mon cœur. Je l'aiderais à rentrer en possession de la belle vie régulière, dans un devoir doux et partagé, à laquelle, sans s'en douter, peut-être, elle aspirait comme moi.

      Elle semblait coquette à un être frivole comme Gaston; mais sa coquetterie était la bravoure de sa mélancolie. Elle se défendait contre les convoitises banales, par ses beaux éclats de rire. Quel homme heureux serait celui qui amènerait des larmes dans ces yeux noirs, et qui, s'agenouillant quand elle pleurerait, lui prendrait les mains et lui dirait doucement:—Ma chère femme!—provoquant ainsi le sourire immuable des amours profondes et vraies!…

      Je remuais confusément ces idées, en revenant à l'hôtel de Thorvilliers.

      Une lumière attendue, espérée, mais inconnue pourtant, descendait en moi et me révélait à moi-même.

      Mes dispositions mystiques, poétiques, n'étaient que l'aurore brumeuse de cette vocation conjugale qui m'apparaissait un apostolat. Mari! père! Ces deux idées jaillissaient avant toutes les autres, purifiant la voie sur laquelle d'autres rêves profanes viendraient ensuite…

      Encore une fois, je n'écris pas un roman; je ne veux pas non plus me défendre. J'explique comment j'aurais été un chef de famille, aussi ardent que j'ai été depuis un missionnaire célèbre; comment cette timidité, que mes camarades calomniaient, était sincère; comment, avec une prédisposition à recevoir les coups du ciel, je ne

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