Скачать книгу

Quel linge a-t-il?

      —Ah! parbleu, vous m'en demandez trop. Il faisait presque nuit. Mais vous voyez qu'il a les mains propres, puisque sa carte est immaculée.

      Le dîner était fini. Le ministre se levait de table.

      La conversation en resta là. Mais elle se renoua pour une seconde, quand, d'assez bonne heure, avant tous les convives, après avoir pris congé du garde des sceaux, d'une façon ostensible, pour être, remarqué, le préfet de police se retira.

      C'est la coquetterie d'un fonctionnaire de cet ordre de paraître pressé de partir, comme si Paris brûlait, s'insurgeait ou s'égorgeait, pendant chaque minute perdue dans le monde.

      M. Barbier, qui semblait le guetter, le retint à la porte du salon principal, et le reconduisant jusqu'à, l'antichambre, avec l'aisance d'un homme qui est presque chez lui:

      —J'ai oublié de vous demander un renseignement, mon cher préfet. Je ne sais pas ce que M. Herment doit me raconter; mais dans le cas où ce brave homme—car je m'en tiens à ma première impression—me dénoncerait réellement un crime, une machination contre quelqu'un; bien que je sois décidé à rester dans une grande réserve, je voudrais cependant savoir quels sont les moyens préventifs que possède la police.

      —Elle n'en a qu'un, l'intimidation. Cela réussit auprès des malheureux, des jeunes gens, mineurs ou majeurs, qui ont l'instinct du salut, sans en avoir la force, auprès des déclassés, des gens nerveux. C'est notre plus beau rôle; mais c'est le moins justifié par la loi. Nous rendons, sous ce rapport, à bien des familles, des services qui nous seraient interdits, si les gens que nous faisons venir osaient invoquer la légalité. Mais ils l'ignorent, ou ils n'osent pas, et c'est tant mieux pour la morale. On connaît si peu la loi en France, et on croit la liberté individuelle si mal garantie! Le code est si souvent une arme excellente pour les coquins et les mauvais sujets, qu'il faut bien excuser un peu d'arbitraire, au profit des honnêtes gens qui se défendent. Si vous saviez combien de pères de famille, combien de mères elles-mêmes viennent nous demander naïvement des lettres de cachet!

      —Et vous en donnez?

      —En général, nous n'arrêtons personne, arbitrairement. Mais notre triomphe est de faire croire que nous pouvons arrêter tout le monde.

      —Qui donc peut croire cela?

      —Qui? Les malheureux, je vous l'ai dit, les jeunes gens; mais encore faut-il qu'ils soient d'une certaine catégorie sociale. Les gens du monde sont difficiles à intimider, autrement que par la peur du scandale. Quant aux gens du grand, grand monde, ils nous échappent avant le crime; c'est bien assez de les attraper quelquefois après… Voilà, mon cher collaborateur, ce que je mets à votre disposition… Comme il est probable qu'il ne s'agit pas d'une affaire du grand monde, nous pourrons toujours dire à Croquemitaine de faire du bruit dans la coulisse…

      —Je vous remercie, dit M. Barbier. Ce n'est pas grand'chose que

       Croquemitaine: il n'y a plus d'enfants!

      —Plus d'enfants? Mais il n'y a que cela!

      —Taisez-vous! Si le ministre vous entendait!

      —Croit-il donc avoir affaire à des hommes?

      —Chut! mauvaise langue.

      —Mon cher, dans un gouvernement démocratique il faut toujours se maintenir en verve d'ironie; on peut retourner si vite à l'opposition!… Au revoir, à demain!

      —A demain!

       Table des matières

      Le lendemain, M. Barbier arrivait au ministère de la justice avant dix heures.

      Il avait surpris le garçon en train d'épousseter d'un regard lent et habitué les lettres éparses sur le bureau. Ce vieil employé fut tenté de croire à un coup d'État: car depuis le 2 décembre 1851, jamais un ministre, ou son clair de lune, n'avait lui de si bon matin.

      M. Barbier lui-même fut très étonné, après coup, d'avoir été si matinal. Il sourit en remarquant que la pendule officielle n'était pas plus en avance que sa montre; c'était sa curiosité seule qui l'avait trompé.

      Il s'occupa de quelques affaires; mais elles furent examinées en cinq minutes et il eut le loisir d'un peu d'ennui.

      A dix heures un quart, on venait le prévenir que M. Louis Herment était là.

      Avant de le faire introduire, le sous-secrétaire d'État s'assura qu'il n'était venu, ni pour lui, ni adressé directement au ministre, aucun message de la préfecture de police.

      Le mystère n'était pas si facile à pénétrer! C'était une première manche gagnée dans la partie engagée avec le préfet de police. Mais le sous-secrétaire d'État fut moins frappé que dépité de ce succès négatif. Il donna l'ordre de faire entrer M. Herment.

      En le revoyant, au jour clair et matinal, M. Barbier le trouva moins vieux que la veille, mais aussi imposant, aussi attirant.

      Le visage, qui gardait la même pâleur, avait cependant une translucidité plus facile. On sentait qu'un feu intérieur pouvait, au moindre souffle, s'y répandre et le colorer. Les yeux brillaient d'une angoisse contenue et aussi d'une espérance forcée. La bouche était comme préparée à l'éloquence, tant elle s'ouvrit vite à un sourire de courtoisie, de remerciement et de supplication, qui était charmant dans ce masque sévère et qui, pourtant, n'avait rien de contraint.

      —Décidément, c'est un ancien magistrat, pensa M. Barbier.

      Il montra un fauteuil, placé près de son bureau qui lui permettait de bien voir son visiteur, en ayant l'air de lui permettre seulement de le bien écouter.

      M. Herment, en s'asseyant, éloigna un peu le fauteuil. Il n'avait pas l'habitude de parler de si près. Sa voix, son émotion, sa conviction avaient assez de portée. Il plaça presque familièrement son chapeau sur le bord du bureau plat, justifiant cette prise de possession par un rouleau de papier qu'il déposa dans le chapeau; puis il remercia, en quelques mots, polis sans obséquiosité, le haut fonctionnaire qui lui avait réservé cette audience.

      —On ne nous dérangera pas, dit obligeamment M. Barbier.

      —Je vous ai prévenu, monsieur, reprit d'une voix grave M. Herment, que j'avais à vous dénoncer un crime. Je ne crois pas qu'il puisse s'en commettre un plus grand…

      Il s'arrêta, respira; son inquiétude l'oppressait. Après deux secondes de repos, il continua:

      —Vous savez sans doute, monsieur, tous les journaux en parlent, qu'on doit célébrer dans trois semaines, à l'église de la Madeleine, le mariage de mademoiselle Marie-Louise de Thorvilliers avec le prince de Lévigny.

      M. Barbier ignorait absolument l'annonce de ce mariage. Ce n'était pas sur les faits-divers de cette nature, qu'il recevait tous les jours, un rapport du bureau chargé de lire, de contrôler et d'analyser les journaux; mais il n'ignorait pas que le duc de Thorvilliers portait un des plus grands noms du faubourg Saint-Germain, et que le prince de Lévigny était, par sa fortune, par ses alliances, un des partis les plus considérables du même quartier.

      Le sous-secrétaire d'État fit un signe de tête, comme s'il était très informé de cet événement mondain, et demanda avec un étonnement légèrement ironique:

      —C'est à propos de ce mariage que vous avez une communication à me faire?

      —Oui, monsieur.

      —Je vous écoute.

      —Ce mariage serait un crime. Il faut, à tout prix, l'empêcher.

      M. Barbier eut un petit bondissement de surprise sur son siège.

      —Un crime! Un

Скачать книгу