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La confession d'un abbé. Louis Ulbach
Читать онлайн.Название La confession d'un abbé
Год выпуска 0
isbn 4064066086688
Автор произведения Louis Ulbach
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
Ce fut au tour du sous-secrétaire d'État à rougir. Cet étranger lui donnait une leçon. Il repartit très poliment:
—M. le ministre ne pourrait vous recevoir, ni ce soir, ni demain; je suis prêt à vous écouter.
—C'est que… vous n'aviez que cinq minutes à m'accorder, et en voilà une ou deux…
—De perdues? voulez-vous dire, interrompit courtoisement M. Barbier. Si vous le pouvez et si vous le voulez, monsieur, si l'affaire très grave, à ce qu'il paraît, dont vous avez à m'entretenir, ne doit pas s'aggraver pour un retard de quelques heures, je me tiendrai demain, pendant toute la matinée, à votre disposition. Ce soir, il est vrai, je suis un peu pressé… Cependant si vous voulez me dire sommairement ce dont il s'agit…
—Sommairement!
Ce mot avait presque blessé le vieillard. Il eut un sourire qui ne voilait rien de sa tristesse.
—Sommairement! répéta-t-il, ce serait m'exposer encore au soupçon de folie. Je tiens à vous persuader que j'ai toute ma raison. Mais, pour me croire, il faut entendre des explications qui ne peuvent être sommaires. Vous le savez, monsieur, quand on porte longtemps en soi une idée, on l'a roulée si souvent qu'on l'a resserrée, qu'on en a fait une balle; on la croit irrésistible. Mais le jour de frapper, on s'aperçoit que le plomb gagne à s'émietter. Il ne s'agit plus de trouer la conviction, il faut l'envelopper, la pénétrer.
L'inconnu s'arrêta, comme scandalisé de l'image dont il se servait, honteux de sa rhétorique, un reste de vieille habitude oratoire que l'émotion ravivait.
Il craignit de gâter l'opinion favorable qu'il voyait naître malgré tout, et alors, simplement, avec une bonhomie d'homme supérieur, en même temps qu'avec une aisance d'homme du monde, il dit au sous-secrétaire d'État:
—Vous l'avez très justement remarqué, monsieur; s'il ne s'agissait que d'un crime vulgaire, banal, bien qu'il n'y ait encore que le flagrant délit de la préméditation et que l'acte infâme ne soit pas accompli, je devrais m'adresser au parquet, à la police, au commissaire, aux gendarmes; mais ce crime est d'une nature si spéciale, les coupables sont d'un rang qui les met si sûrement au-dessus des intimidations ordinaires, que j'ai besoin d'un secours, délicat autant que tout-puissant… que je m'adresse à la justice, en dehors des juges qui punissent les crimes bien avérés, palpables, mais qui ne les empêchent pas, et qui, d'ailleurs, ne punissent pas toujours.
—Vous excitez ma curiosité! ne put s'empêcher d'avouer le sous-secrétaire d'État.
—C'est un augure que j'emporte. Puisse-t-il me valoir votre pitié!
—Pour vous, monsieur?
—Oh! moi, il ne faut pas me plaindre. Ce n'est pas pour moi que je suis ici. Je ne peux plus être ni sauvé, ni perdu. J'ai ma croix; je la porte, et je veux la porter seul. C'est pour un être innocent, que j'ai recours à vous.
La voix du vieillard, toujours basse, sonore, s'était mouillée d'une larme cachée.
Il leva les yeux au plafond, et avant que M. Barbier, intimidé, attiré de plus en plus par le charme de ce désespoir austère, fût intervenu de nouveau, l'homme continua avec une politesse extrême:
—Je vous suis profondément reconnaissant, monsieur, de l'audience que vous m'accordez pour demain; à quelle heure?
—Je suis à mon bureau à dix heures.
—A dix heures, soit.
L'inconnu saluait pour se retirer.
—Vous donnerez votre nom à l'huissier, dit M. Barbier, sans trop de malice, avertissant ce visiteur qu'il ne s'était pas nommé.
—Mon nom!
Le vieillard s'arrêta, surpris, fit un léger mouvement en arrière; mais reprenant aussitôt son attitude digne et simple:
—C'est juste!… Mon nom vous ne l'avez pas; voici ma carte.
Dans l'obscurité croissante du cabinet, le sous-secrétaire d'État prit la carte et la glissa dans une des poches de son gilet; puis, respectueusement, il reconduisit, comme il eût reconduit un procureur général, ou un conseiller à la cour de cassation, cet étranger qu'on n'avait pas voulu introduire.
En traversant le grand salon d'attente, sans doute un peu confus d'être escorté, l'étranger jeta un regard aux portraits des chanceliers, dont l'hermine se distinguait dans le crépuscule d'une soirée de mars, et parut les saluer, en les invoquant. On eût dit qu'il les connaissait de vue.
La politesse de M. Barbier n'était pas due tout entière à la fascination. Instinctivement, le sous-secrétaire d'État voulait reprendre sur l'huissier la supériorité que celui-ci avait prétendu s'attribuer en renvoyant un importun, et, dans le vestibule, saluant une dernière fois l'inconnu:
—C'est convenu; à dix heures; je vous attendrai. On vous indiquera mon bureau.
—Je le connais, dit l'homme mystérieux, en répondant au salut et en sortant.
L'huissier tenait ouverte la porte extérieure.
Il se crut obligé de saluer plus bas que ne l'avait fait M. Barbier, ce solliciteur soudainement réhabilité et transfiguré, qui connaissait les êtres du ministère, qui était venu souvent sans doute, autrefois, au bon temps, quand les huissiers étaient considérés et habillés plus souvent à neuf, à l'époque des belles livrées, sous l'empire.
II
Le sous-secrétaire d'État fit son entrée dans le salon de M. le garde des sceaux, au moment où celui-ci regardait sa pendule, les sourcils froncés, et où la pendule sonnait la demie.
Le ministre salua d'un hochement de tête son jeune collaborateur; mais ne lui fit, ni compliment d'arriver à l'heure exacte, ni reproche d'avoir failli se faire attendre. Cette ponctualité était d'un zèle suffisant.
Les dîners ministériels, surtout quand ils sont nombreux, paraissent les repas de corps des croque-morts de l'esprit. On y célèbre l'enterrement du défunt, mais sans que rien le rappelle.
Les dimensions de la table, la diversité et l'importance des convives, la peur d'être pris au mot, quand on n'est pas sûr d'en dire plus d'un par quart d'heure, la présence des domestiques, qui peuvent comparer les ministres en exercice aux ministres passés, et souvent dénoncer à ceux-ci les prétentions de ceux-là, l'embarras d'une argenterie d'apparat, entremêlée de fleurs traditionnelles et qui isole les vis-à-vis, plus encore que la distance, tout paralyse la conversation générale et ne permet, tout au plus, que les dialogues entre voisins.
Le sous-secrétaire d'État se trouvait placé à côté du préfet de police.
Tous deux étaient jeunes, tous deux nouveaux en fonction. La lune de miel des fonctionnaires leur suggère des intempérances de tendresse et des indiscrétions de bonheur. Tous sont bavards, au début de leur importance. Leur première fatuité se décèle par la confidence de leurs bonnes fortunes administratives.
Le préfet égaya le sous-secrétaire d'État par quelques révélations malicieuses.
La police est un confessionnal et un dispensaire, et, comme les pénitents ou les malades n'y vont pas offrir leurs confessions, le secret n'est pas rendu absolument obligatoire par la confiance.
Tout à coup, M. Barbier, qui n'avait à opposer que des cancans administratifs aux racontars de la police secrète, fit un petit bond sur sa chaise, et, interrompant son voisin:
—Je vais probablement empiéter sur vos attributions,