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recettes se trouvaient toutes faites le jeudi et employées à des placements considérables. «C'est, dit mon maître, que vous me portez bonheur. Voilà un voyage complet. Faisons nos emplettes, nous partirons demain matin.»

      Nous arrivons à cinq heures. Quelle joie pour madame de nous voir arriver de bonne heure! Le lendemain, à cinq heures, cabriolets et carrioles arrivaient de tous les côtés, je ne savais auquel entendre: «Jean, allez à la ville chercher M. et Mme Brodart et sa demoiselle!… Jean, repartez de suite chercher mon gendre et ma fille!» Et je faisais ronfler la voiture, toujours au galop. «Jean, il faut servir à table!» Et le pauvre Jean se multipliait.

      La soirée fut magnifique, et ma part de friandises fut mise de côté par madame. À onze heures, on me dit de me tenir prêt pour reconduire tout le monde. À minuit je commence: je fis trois voyages qui me valurent dix-huit francs. Mon maître et madame me firent appeler pour me rafraîchir. «Prenez un bon verre de vin de votre pays et un morceau de brioche; nous sommes contents de vous!—Ah! j'ai mis sa petite part de côté», dit madame.

      Le lendemain, je reçus mes petites provisions que je partage avec mes camarades, et je repris le boisseau avec le garde-moulin, pour ensacher de la farine pour Paris, pendant huit jours. Enfin j'étais de tous les métiers.

      Madame me prie de donner tous mes soins à son jardin. Je lui fis d'abord un joli berceau au fond, en face de la porte, et je tirai au cordeau deux belles plates-bandes. Je creusai l'allée de quatre pouces pour relever mes deux plates-bandes; et je remplaçais la terre enlevée avec du sable. Mon maître et madame viennent me voir. «Eh bien, Jean, dit monsieur, vous nous allez donc faire une route dans notre jardin.—Non, monsieur, mais une belle allée.—Vous ne pouvez pas faire cela tout seul, je vais faire venir le jardinier.—Monsieur, le plus difficile est fait.—Comment l'entendez-vous?—Voyez mes trois lignes faites, mes piquets plantés; voilà le milieu de mon allée.—Vous avez donc pris tous les cordeaux de mes charretiers?—Je ne pouvais pas tirer ma ligne sans cela.—C'est juste.—Mon dernier piquet, vers le berceau, c'est pour faire une corbeille pour madame.—Ah! c'est bien pensé, Jean. Vous avez une bonne idée de me faire une jolie corbeille.—Il me faut du buis pour faire une belle allée, et beaucoup de sable, et des planches pour faire des bancs dans le berceau de madame.—Et pour votre maître, que faites-vous?—Le maître reste à côté de madame.—À la bonne heure! Mais, Jean, où prendrez-vous le sable?—Monsieur, je l'ai trouvé.—Et où?—Sous le petit pont près de l'abreuvoir. Je l'ai visité tout à l'heure; j'en ai trouvé trois pieds de hauteur.—Il faudra le faire tirer.—Non, monsieur, on le chargera sous le pont cet été; vous savez que toute la fausse rivière est à sec, et nous sortirons par l'abreuvoir.—C'est cela!—Il nous en faut bien vingt tombereaux; vous savez que l'allée a huit pieds de large.—Ma femme, dit mon maître, fais venir ton jardinier, car Jean va nous faire une route dans notre jardin.—Je prie madame de faire venir du buis et des rosiers pour planter le long de l'allée.»

      Le jardinier arrive le soir, et madame le mène de suite au jardin, disant: «Jean, venez faire voir votre ouvrage?»

      Le jardinier fut surpris. «Eh bien! dit-elle, que dites-vous de la folie de Jean?—Mais, madame, c'est superbe pour le tracé. Vous pourrez vous promener quatre de front, et, comme vous avez des enfants, ils ne gâteront pas votre jardin.—C'est vrai, dit-elle. Eh bien! il faut venir demain, car il se tuerait, il a mis cela dans sa tête pour me faire plaisir.—Madame, il a du goût; il s'y est bien pris. Nous vous ferons un beau jardin; il nous faut quarante rosiers à hautes tiges et du bois pour l'allée et la corbeille. Il faut quinze jours pour mettre votre jardin en état. Le sable est à votre portée.—Surtout ne laissez pas Jean tout seul; il se dépêche trop, il tomberait malade.—Je le connais; je le ménagerai.—Et vous ferez bien. Je l'ai trouvé avec sa chemise toute trempée.»

      Madame part, le jardinier me dit: «Je vous sais bon gré du commencement de votre travail. Nous lui ferons une petite surprise devant son berceau; nous ferons quatre pans coupés, et nous mettrons quatre lilas de Perse, et du chèvrefeuille autour, et nous peindrons les bancs en vert. Ça sera joli. Il faut prier madame de ne pas venir de huit jours voir son jardin.»

      Je lui dis le soir: «Madame, le jardinier m'a prié de vous dire de ne pas venir voir votre jardin de huit jours.—Eh bien! dit M. Potier, je vais aller à Paris placer de la farine et voir nos enfants.—Ah! c'est bien aimable de ta part.—Je serai de retour samedi; et je verrai la folie de Jean et du jardinier, après avoir vu si mon gros représentant est content de ses chevaux.»

      Il revient satisfait de la réception du représentant qui lui a dit: «Je compte vous voir au printemps avec mon épouse; je lui ai parlé de votre dame, et elle désire la connaître.—Je vous prie de m'en donner avis.—C'est juste, il ne faut pas surprendre madame, qui fait si bien les honneurs de chez elle.»

      Monsieur et madame viennent nous retrouver, et sont surpris de voir la grande allée terminée: «Ah! c'est joli; je suis content, c'est bien travaillé. Tu pourras te promener et t'asseoir, voilà de beaux bancs. Jean va nous ruiner avec ses folies.—Ne te dérange pas de huit jours pour qu'il finisse mon jardin. Je t'en prie. Je voudrais que ça soit sablé.—Eh bien! je vais surprendre Jean; nous allons faire détourner l'eau qui passe sous le petit pont, et il pourra prendre du sable à son aise, il ne sera pas toujours le plus fin.—Il va rire», dit madame.

      Les huit jours suffirent pour finir tout le jardin, et je vins annoncer: Monsieur et madame, votre jardin est fini. Vous pouvez venir le voir. Ah! si j'avais du sable, ça serait joli.—Eh bien! Jean, vous en aurez demain; mon mari a mis le sable à sec, et a fait passer l'eau de l'autre côté du pont. Et demain vous aurez deux tombereaux et des hommes pour charger; vous n'aurez qu'à le rentrer.—Ah! madame, nous sommes sauvés. Dans quatre jours, tout sera fini.»

      Monsieur et madame nous regardaient de leurs croisées sans venir nous voir. Le jardinier va leur dire: «Tout est terminé.—Voyons cela, ma femme.»

      Me voilà le râteau sur l'épaule, à côté de la porte, le chapeau à la main. M. Potier me prit par le bras et me frappa sur l'épaule: «Jean, me dit-il, vous rendez votre maîtresse heureuse et moi content; c'est plus joli que l'herbe qui était dans le jardin.—C'est charmant, dit madame, si ton monde de Paris vient te voir, tu pourras les promener à présent.—Vous ne verrez plus d'herbe pousser dans vos allées.»

      Je me remis au moulin, à la charrue et à tout faire, surtout à dresser des chevaux. Monsieur reçoit une lettre de Paris pour se rendre de suite au Luxembourg, chez son représentant, pour affaires. «Jean, mon garçon, il faut partir demain matin pour Paris. Je crois que c'est des chevaux que l'on demande.—Si cela est, ils payeront votre folie de jardin.»

      Nous partîmes à cinq heures; à onze heures, nous étions à Paris. Mon maître se présente à l'adresse indiquée; le chef du Directoire[19] lui dit: «Il nous faut vingt chevaux de première taille, tout noirs, sans aucune tache; les prix sont de quarante-cinq louis. Où les prenez-vous?—Monseigneur, dans le pays de Caux et à la foire de Beaucaire. C'est là que je trouverai ces tailles-là.—Cela suffit. Partez de suite! À quelle époque livrez-vous?—Il me faut trois mois et je ne réponds pas d'être prêt à cette époque; ces tailles sont difficiles à trouver.»

      Le voilà de retour à Coulommiers: «Allons, dit-il, partons pour la Normandie, et nous reviendrons par la foire de Beaucaire. Je vais faire venir François de suite, lui donner mes ordres et faire part de notre voyage à ma femme.»

      Nous arrivons à Caen; on nous indique quelques chevaux. Dans tous les environs, nous trouvons quatre chevaux, on en voulait cinquante louis. «Eh bien! vous les mènerez à la foire, nous verrons cela!»

      Nous visitons tout le pays de Caux; nous trouvons des fermes magnifiques et de beaux élèves; nous pûmes en choisir quatre très beaux. La foire de Caen fut bonne pour nous. Mon maître en acheta six superbes; il nous en fallait encore dix. Quant au peuple du pays de Caux, il est magnifique, les femmes surtout, avec leur coiffure belle, haute, large. Les petites femmes paraissent grandes, car leur bonnet a bien un pied de haut! ça leur fait paraître la figure petite. Le monde et les bestiaux, tout est magnifique.

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