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Les cahiers du Capitaine Coignet. Jean-Roch Coignet
Читать онлайн.Название Les cahiers du Capitaine Coignet
Год выпуска 0
isbn 4064066081782
Автор произведения Jean-Roch Coignet
Жанр Документальная литература
Издательство Bookwire
Comme je l'ai dévoré à mon aise, du pain blanc comme la neige!
À neuf heures il vient une grosse fille faire mon lit dans l'écurie. J'étais bien couché: un lit de plumes, un matelas, des draps bien blancs. Je me trouvais heureux.
Le matin, mon grand camarade me mène à la salle à manger pour déjeuner, avec ma demi-bouteille et du fromage. Dieu! quel fromage[16]! comme de la crème! et du pain de Gonesse, avec le vin du pays. Je lui demandai ce que je ferais. «Il faut attendre que madame soit levée, elle vous le dira.—Eh bien, je vais panser mon bidet et le faire boire, et nettoyer l'écurie.»
Je pétillais du désir de travailler. Le garçon d'écurie était parti à la ville; je profite de cette occasion pour nettoyer toutes les écuries. Madame arrive et me trouve habit bas, le balai à la main: «Qui vous a dit de faire cela?—Personne, madame.—Eh bien, ce n'est pas votre ouvrage, venez avec moi. Chacun fait son ouvrage dans notre maison; mais vous avez bien fait. Quand mon mari sera venu, il vous dira ce que vous devrez faire. Allons au jardin, prenez ce panier, nous rapporterons des légumes. Savez-vous bêcher?—Oui, madame.—Ah! tant mieux. Je vous ferai travailler quelquefois dans notre jardin, car chez nous chacun fait son ouvrage, personne ne s'en dérange.»
Je rentre à la maison, et vais visiter les moulins à Chamois. De retour à la maison, quelle est ma surprise de voir mes deux maîtres qui cherchaient madame! «Te voilà, mon ami», dit Mme Potier à son vilain mari, car c'était bien celui auquel je désirais le moins appartenir (et c'était l'homme par excellence, tant par le cœur que par la fortune). M. Huzé salue et se retire. On me fait venir: «Ma femme, dit mon maître, voilà un enfant que je t'amène de la Bourgogne; c'est un bon sujet, je te le recommande; je te conterai son histoire plus tard.»
Et moi qui étais là, bien timide!
«Eh bien, dit-il, vous êtes-vous ennuyé, mon garçon? Allons voir nos chevaux!» Et le voilà à me faire voir toutes les écuries, les moulins. Et les domestiques de saluer leur maître; ce n'était pas un maître, c'était un père pour tout le monde; jamais il ne lui échappait une expression déplacée. Il me dit: «Demain, nous monterons à cheval pour vous faire voir mes laboureurs et mes terres. Il faut que vous soyez à même de connaître tous les morceaux qui m'appartiennent.»
Je me disais: «Que va-t-il faire de moi?»
Il parle à ses laboureurs et à ses autres ouvriers toujours avec un ton affable. Puis il dit: «Allons voir mes prés! (Et toujours il me parlait avec bonté.) Faites attention à tout ce que je vous montre, et les limites, car je pourrai vous envoyer faire une tournée quelquefois pour voir mes laboureurs et mes autres ouvriers, pour me rendre compte de ce qui est fait.—Soyez tranquille, je rendrai un fidèle compte de tout ce que vous me direz.—Il faut que je vous mette au fait de tout. Vous prendrez toujours votre bidet, car les routes sont longues.»
Nous fûmes bien trois heures dehors. «Allons, me dit-il, rentrons à la maison! demain nous irons ailleurs.»
Enfin il me mit au courant de tous les détails de la manutention du dehors. Huit jours se passent ainsi en tournées de part et d'autre; le neuvième jour, il vient un orage épouvantable. Voilà les eaux qui inondent la maison, arrivent de toutes parts; tout le monde était bloqué. Il se trouvait encore des chevaux à l'écurie. Ni maître ni garde-moulin ne pouvaient sortir, et moi de courir d'une écurie à l'autre, car l'eau montait à vue d'œil. Enfin, je barbotais comme un canard, les chevaux en avaient au-dessus des jarrets, mais l'eau n'a pas pénétré dans la maison.
Il y avait trois étables où les porcs couraient grand risque d'être noyés, vu qu'ils étaient sous voûte. M. Potier me fait venir et me donne une pince du moulin, et me dit: «Tâchez de délivrer les cochons.—Soyez tranquille, je vais de suite.» Et me voilà dans l'eau. Je ne croyais pas pouvoir arriver, mais enfin parvenu à la première porte, je fais une percée et l'eau m'aide à ouvrir. Voilà mes six gaillards sortis, et nageant comme des canards. Je vais en faire autant aux deux autres étables; mes dix-huit cochons étaient sauvés. Et tout le monde de la maison de me regarder par les croisées.
M. Potier, qui ne me perdait pas de vue, me guidait: «La petite porte de la cour est-elle fermée?—Non, monsieur.—Les cochons vont sortir, ils suivront le cours de l'eau!»
Je me suis mis à traverser la cour, dans l'eau qui était maîtresse de mes forces; je n'arrive pas assez à temps. Voilà un des cochons qui enfile la porte, et suit le courant. M. Potier qui s'aperçoit que j'ai un déserteur de parti, court à l'angle de sa maison, me crie: «Prenez votre bidet et tâchez de gagner le devant.» Je cours à l'écurie, mets le bridon à mon bidet, et fais jaillir l'eau pour rattraper mon déserteur. M. Potier me crie: «Doucement! appuyez à droite.»
Ses paroles se perdent. Je prends trop à gauche; je me plonge dans un trou où l'on avait amorti de la chaux. Du même bond, mon cheval me sort du trou. Je ne voyais plus. Comme je tenais mon cheval ferme de la main droite, je m'essuyai la figure et poursuivis ma bête, qui filait dans les prés. Enfin, en luttant contre l'eau, je gagne le devant de mon cochon; lorsqu'il eut le nez tourné du côté de la maison, il revient comme je le désirais. Arrivé dans la cour, je lâche mon bidet, bien transi de froid. Mes maîtres m'attendaient sur le perron, et les grosses filles de regarder ce pauvre petit orphelin trempé, pâle comme la mort, mais j'avais sauvé le cochon de mon maître.
«Venez, mon ami, me disent monsieur et madame, venez vous changer.» Ils me mènent dans leur belle chambre où un bon feu était allumé, et les voilà à me déshabiller tout nu comme je suis venu au monde. «Buvez, disent-ils, ce verre de vin chaud!»
Les voilà qui m'essuient comme leur propre enfant, et m'enveloppent dans un drap. M. Potier dit à son épouse: «Ma chère amie, si tu lui donnais une de mes chemises neuves, il pourrait bien l'essayer.—Tu as raison, ce pauvre petit n'en a que deux.—Eh bien! il faut lui donner la demi-douzaine. Tiens! il faut lui payer sa bonne action: je vais lui faire cadeau du pantalon et du gilet rond que tu m'as fait faire; il sera habillé tout à neuf.—Bien, mon ami, tu me fais plaisir.»
M. Potier me dit: «Vous gagnerez dix-huit francs par mois et les profits: trois francs par cheval.—Monsieur et madame, combien je vous remercie!—Si vous vous étiez noyé en sauvant notre cochon! Vous avez mérité cette récompense.»
Je me vois habillé comme le maître de la maison. Dieu! que j'étais fier!
Je n'étais plus le petit Morvandiau.
Comme ils se prêtaient à m'habiller, je dis: «Mais, monsieur, il ne faut pas m'habiller. Et les chevaux! et les cochons! Il faut je retourne à mon poste, mes habits seraient perdus.—Tu as raison, mon enfant.»
Ils vont chercher des vêtements à leur neveu et me voilà en petite tenue. Je me trouvais seul, le garçon d'écurie était à la ville et les garde-moulins ne voulaient pas se mettre les pieds à l'eau. On me donne un grand verre de vin de Bourgogne bien sucré, et je me remets à l'eau. Je donne le foin aux chevaux. Je bloque mes dix-huit cochons dans une écurie qui était vide. Pour cela je prends une grande perche et poursuis tous mes gaillards devant moi, et finis par être le maître. Je peux dire que j'ai barboté deux heures ce jour-là. Le soir, l'eau avait disparu et les charretiers arrivent de toutes parts. Et moi de rentrer à la maison, de changer de tout et de me coucher de suite. Le vin sucré me fit dormir; le lendemain je n'y pensais plus.
Monsieur et madame me firent demander de venir et m'emmenèrent dans leur chambre; ils m'habillèrent tout à neuf. Après le déjeuner, M. Potier dit au garçon d'écurie: «Selle nos bidets!» Et nous voilà partis pour voir des gros fermiers et acheter des blés. Mon maître fit des affaires pour dix mille francs, et nous fûmes traités en amis. Sans doute que M. Potier avait parlé à ces gros fermiers; on me fit beaucoup d'amitiés, et je fus mis à table près de mon maître.
Il