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de chevaux; on pouvait les voir d'une demi-lieue. Enfin, le huitième jour, je vois sur le grand chemin blanc beaucoup de chevaux descendre sur le bourg. Chaque homme ne menait qu'un cheval; ils n'étaient pas encore accouplés. Il y en avait quarante-cinq, ça n'en finissait pas. Je cours de suite à la maison pour prendre ma plus jolie veste, mettre une chemise, et en mettre une dans ma poche; je vais vite à l'écurie pour seller le cheval de ces messieurs.

      Je n'ai pas sitôt fini que je vois passer tous ces beaux chevaux, tous gris-pommelés. Je n'osais parler à ces Morvandiaux; je pétillais de joie. La queue n'était pas encore passée que voilà ces messieurs qui arrivent dans la cour avec trois chevaux. «Eh bien, mon petit garçon, et notre bidet, comment va-t-il?—Il est superbe.—Mettons pied à terre, voyons cela. Comment! il est bien guéri. Il faut le remettre à notre garçon pour qu'il l'emmène, il n'est pas encore passé.»

      Et leurs chevaux défilaient toujours. Leur piqueur passe: «François, prenez votre bidet, suivez les chevaux!»

      Ma sœur paraît, ces messieurs la saluent: «Madame, combien vous est-il dû pour la nourriture de notre cheval?—Douze francs, messieurs.—Les voilà, madame.—N'oubliez pas le garçon.—Cela nous regarde.»

      Ma sœur m'aperçoit que je sortais le cheval: «Tiens, dit-elle, tu es habillé en dimanche.—Comme tu vois.—Comment! à qui parles-tu?—À toi.—Comment?—Eh! oui, à toi. Tu ne sais donc pas que ton domestique est ton frère.—Par exemple!—C'est comme cela. Tu es une mauvaise sœur. Tu nous as laissés partir moi et mon frère, et mon petit frère et ma petite sœur, mauvaise sœur que tu es. Te rappelles-tu que tu as coûté trois cents francs à ma mère pour apprendre le métier de lingère chez Mme Morin? Tu n'as pas de cœur. Ma mère qui t'aimait comme nous, et nous avoir laissés partir!»

      Voilà ma sœur à pleurer, à crier. «Eh bien, madame, c'est bien la vérité que ce jeune enfant vous dit? Si ça est, ça n'est pas beau.—Messieurs, ce n'est pas moi qui les ai perdus, c'est mon père. Ah! le malheureux, il a perdu ses quatre enfants!»

      Aux cris et lamentations de ma sœur, il arrive des voisins qui accourent de toutes parts pour me voir: «C'est un des enfants du père Coignet. En voici un de retrouvé.» Et ma sœur et moi de pleurer. Un de ces messieurs, qui me tenait par la main, dit: «Ne pleure pas, mon petit, nous ne t'abandonnerons pas, nous.»

      Mes petits camarades viennent m'embrasser. Cette scène était touchante. Mon père, qui entend ce brouhaha, accourt. On dit: «Le voilà, ce M. Coignet qui a perdu ses quatre enfants!—C'est mon père que voilà, messieurs.—Voilà un de vos enfants, monsieur, et nous l'emmenons avec nous.—Eh bien, dis-je alors, père sans cœur, qu'avez-vous fait de mes deux frères et de ma sœur? Allez donc chercher cette marâtre de belle-mère qui nous a tant battus.—C'est vrai, crie tout le monde. C'est un mauvais père, et leur belle-mère est encore plus mauvaise.»

      Enfin tout le monde était autour de moi, et ces messieurs me tenaient par le bras: «Allons, à cheval! dit M. Potier (le plus petit des deux), en voilà assez! Partons, montez sur votre bidet.»

      Et tout le monde de me suivre, criant: «Adieu, mon petit, bon voyage!» Mes petits camarades viennent m'embrasser tous, et moi, je pleurais à chaudes larmes en disant: «Adieu, mes bons amis!»

      Ces messieurs me mettent au milieu d'eux et nous traversons entre deux haies de monde, les hommes le chapeau bas. Et les femmes de faire des révérences à ces messieurs, et moi de pleurer, mon petit chapeau à la main.

      * * * * *

      «Nous montons la montagne au trot, disent ces messieurs. Rattrapons nos chevaux! Allons, mon petit, tenez-vous bien!»

      Nous dépassons les chevaux à la sortie des bois, et nous arrivons à Courson, à la grande auberge de M. Raveneau, où je visitai les écuries et fis préparer tout ce qu'il fallait pour quarante-neuf chevaux. Ces messieurs commandent le souper pour quarante-cinq hommes, non compris les maîtres.

      En arrivant, on forme les chevaux par quatre pour les accoupler le lendemain, et on les attache à deux longes. C'est la première fois que ces chevaux se trouvaient à côté l'un de l'autre; il était temps que le foin et l'avoine fussent servis à ces gaillards, je crois que nous n'aurions pu les contenir; c'étaient comme des furibonds qui se cabraient. Et moi de taper dessus; je ne les quittais pas d'un instant, et les maîtres de rire en me voyant frapper de l'un à l'autre. À sept heures, ces messieurs viennent faire la visite et font souper tous leurs hommes qui étaient quarante-cinq; ils payent leur journée, et retiennent les hommes qu'il fallait pour le lendemain. Ils commandent des gardes d'écurie pour la nuit, et m'emmènent. «Allons souper, dirent-ils, venez avec nous, mon garçon, nous reviendrons après les voir.»

      Quelle surprise de voir une table servie comme pour des princes: la soupe, le bouilli, un canard aux navets, un poulet, une salade, du dessert, du vin cacheté!

      «Mettez-vous là, entre nous deux, et mangez comme vous êtes courageux!»

      Le roi n'était pas plus content que moi.

      «Ah çà! dit M. Potier, il faut mettre une cuisse de poulet dans du papier avec du pain pour le manger le long de la route parce qu'on ne s'arrête qu'à la couchée. Vous trouverez des garçons d'auberge qui vous attendront avec des grands verres de vin qu'ils donneront à chaque homme en passant, sans s'arrêter, et tout sera payé. Vous vous tiendrez derrière autant que possible.»

      Le matin, on met les chevaux par quatre, avec des torches et des quenouilles, liens garnis de paille pour maintenir tous ces chevaux (cela a demandé du temps); et puis en route!

      Tous les jours j'étais traité de la même manière que le premier jour. Quel changement dans ma position!… Comme je me trouvais heureux de coucher dans un bon lit! Ce pauvre orphelin ne couchait plus sur la paille. Enfin tous les soirs, j'avais à souper. Je considérais ces messieurs comme des envoyés de Dieu à mon secours.

      Nous arrivâmes à Nangis-en-Brie le huitième jour avant la foire, et j'eus tout le temps de connaître mes deux maîtres. L'un se nommait M. Potier, et l'autre M. Huzé. Celui-ci était aimable, spirituel et poli; M. Potier était petit et laid. Je me disais: «Si je pouvais être chez M. Huzé!» Pas du tout, c'est chez M. Potier que l'heureux sort m'attendait.

      Je pars donc de Nangis le vendredi pour Coulommiers; j'arrive à trois heures dans une grande cour, à cheval, comme un pacha à trois queues, monté sur mon joli bidet. Voilà madame qui paraît. «Eh bien, mon garçon, et votre maître ne vient pas ce soir?—Non, madame, il ne viendra que demain.—Que l'on mette le cheval à l'écurie! venez avec moi.»

      Comme je marchais à côté de madame, me voilà assailli par quatre grosses filles de la maison qui se mettent à crier: «Ah! le voilà! le petit Morvandiau!»

      Combien ce nom me faisait de peine! Mon petit chapeau à la main, je suivais madame. «Allons, dit-elle, laissez cet enfant, allez à votre ouvrage. Venez, mon petit!»

      Comme elle était belle, Mme Potier! car c'était bien la femme du petit que je redoutais. Je ne l'appris que le lendemain. Quelle surprise pour moi de voir une si belle femme et un si vilain mari! «Allons, continue-t-elle, il faut manger un morceau et boire un coup, car on ne soupe qu'à sept heures.»

      Et voilà madame qui me fait parler de notre voyage, et je lui dis: «Madame, tous les chevaux sont vendus.—Êtes-vous content de votre maître?—Oh! madame, je suis enchanté.—Ah! c'est très bien ce que vous dites là. Aussi mon mari m'a écrit que vous étiez un bon sujet.—Je vous remercie, madame.»

      Le soir, à sept heures, on soupe (c'était le vendredi). Je vois une table servie comme pour un grand repas, tout en argenterie, timbales d'argent, deux paniers de bouteilles. On me fait appeler pour me mettre à table. Quelle est ma surprise de voir douze domestiques: garde-moulin, charretiers, laboureur, fille de laiterie, femme de chambre, boulangère et femme de peine. Le tout formait dix-huit. Les six autres étaient à Paris avec des chariots qui menaient les farines pour les boulangers de Paris; ils faisaient le voyage toutes les semaines (il y a quinze lieues de

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