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Les cahiers du Capitaine Coignet. Jean-Roch Coignet
Читать онлайн.Название Les cahiers du Capitaine Coignet
Год выпуска 0
isbn 4064066081782
Автор произведения Jean-Roch Coignet
Жанр Документальная литература
Издательство Bookwire
Tous les domestiques étant réunis, M. Potier leur dit: «Je nomme ce jeune homme pour vous transmettre mes ordres. Je lui confie les clés du foin et de l'avoine, c'est lui qui fera la distribution à tous les attelages.»
Tout le monde me regarde, et moi qui ne savais rien du tout de cet arrangement, j'étais tout confus, je n'osais lever la tête. Enfin mon maître me dit: «Vous allez venir avec moi à la ville.» J'étais content d'être hors de table.
M. Potier me donne des clés et me dit: «Partons! nous allons voir des greniers de blé considérables. Eh bien! êtes-vous content de moi? Ma femme aura soin de vous.—Monsieur, je ferai tout mon possible pour que vous soyez content de moi.»
Aussi, je me multipliais: le soir, le dernier couché; le matin, le premier levé.
Le lendemain, la sonnette m'appelle pour me donner l'ordre que je transmis à tous les domestiques. Le plus grand me dit: «Monsieur, que dites-vous?—Je ne suis pas monsieur, je suis votre bon camarade, dites-le à tout le monde. Je suis aux gages comme vous; je ferai mon service; je n'abuserai jamais de la confiance de monsieur et de madame, j'ai besoin de vos conseils.—Comme je suis le plus ancien de la maison, vous pouvez compter sur moi», dit-il.
Je peux dire que tout le monde me fit bonne mine. Comme c'était moi qui faisais la distribution du son, de l'avoine et du foin, on me faisait la cour pour avoir la bonne mesure. M. Potier me grondait quand il trouvait du son dans les auges. «Mes chevaux sont trop gras, je vais y veiller pour que cela n'arrive plus; il ne faut pas leur faire la ration aussi forte.—Donnez-moi la mesure du son et de l'avoine, je m'y conformerai; ils prennent des corbeilles et vont au moulin les remplir. Maintenant ils n'y mettront pas les pieds, toutes les distributions seront à leur place.—C'est très bien», dit mon maître.
Voilà tous les charretiers et laboureurs rentrés; se voyant servir, ils me disent: «On nous fait donc notre part?—Vous m'avez fait gronder, c'est monsieur qui a mesuré le son et l'avoine, et m'a dit: ne tolérez personne, je veillerai à tout cela, soyez-en sûr.»
Le lendemain, il arrive deux gros fermiers qui déjeunent. M. Potier me sonne et dit: «Passez dans mon cabinet. Vous m'apporterez dix sacs.»
Je les apporte. Dieu! que de piles d'écus dans ces sacs! Je reste chapeau à la main: «Jean, dit-il, faites seller nos bidets et nous partirons avec ces messieurs.» Madame me dit: «Habillez-vous proprement. Voilà un mouchoir et une cravate. Elle a la bonté de m'arranger.» «Allez, mon petit garçon, vous voilà propre!»
Comme j'étais fier! je présentai le cheval à mon maître, et je tins l'étrier. (Cela l'a flatté beaucoup devant ces messieurs, car il me l'a dit depuis.) Les voilà tous trois à cheval. Je suivais en arrière, plongé dans mes petites réflexions. Arrivés à une belle ferme, on met nos chevaux à l'écurie, et moi je me tiens dans la cour à voir ces belles meules de blé et de foin; un domestique vient me chercher pour me faire mettre à table. Je refusai, disant: «Je vous remercie.» Le maître de la maison me prend par le bras et dit à mon maître: «Faites-le mettre à table près de vous.»
Je n'étais pas à mon aise; enfin je mangeai du premier plat servi, et je me levai de table. «Où allez-vous? me dit le maître de la maison.—M. Potier m'a permis de me retirer.—C'est différent.»
J'étais flatté de me voir à une table servie comme celle-là. Je me la rappelle toujours. Mme la fermière, après le dîner, m'invite à voir sa laiterie. Je n'ai jamais rien vu de si propre: des robinets partout. «Tous les quinze jours, me dit-elle, je vends une voiture de fromages. J'ai quatre-vingts vaches!»
Elle me ramène au réfectoire pour me faire voir sa batterie de cuisine; tout était reluisant de propreté. La table, les bancs, tout était ciré. Ne sachant que dire à cette aimable dame, je lui dis: «Je conterai tout ce que j'ai vu à Mme Potier.—Nous y allons trois fois l'hiver dîner et passer la soirée. Comme l'on est bien reçu chez M. et Mme Potier!»
Ces messieurs arrivent. Je me retire. M. Potier me fait signe et me met vingt-quatre sous dans la main. «Vous donnerez cela au garçon d'écurie: faites brider, nous partirons.»
On amène nos deux bidets, la belle fermière dit à M. Potier: «Le bidet de votre domestique est charmant, il me conviendrait. Si mon mari était galant, il me l'achèterait, car le mien est bien vieux.—Eh bien! voyons cela, dit celui-ci, veux-tu l'essayer? Fais mettre ta selle, et monte-le. Tu verras comme il va.»
On apporte la selle de côté. Je lui dis: «Madame, il est très doux, vous pouvez le monter sans crainte.»
Voilà madame à cheval et qui part au trot, va en tous sens à droite et à gauche, disant: «Il a le trot très doux. Je t'en prie, mon mari, fais-moi cadeau de ce bidet.—Eh bien! monsieur Potier, il faut le lui laisser, dit le mari. Nous nous arrangerons. Combien me le vendrez-vous?—Trois cents francs.—Ça suffit, te voilà contente. Maintenant, c'est toi qui donneras le pourboire au garçon.—Oh! de suite, venez! me dit-elle.
Elle me met six francs dans la main et me fait seller son vieux cheval.
Et nous voilà partis au bon trot. «Quelle bonne journée pour moi!… M.
Potier me dit: «Je suis content de vous.—Je vous remercie, monsieur.
Cette dame m'a fait voir la laiterie et sa batterie de cuisine. Que tout
cela est beau! Ce sont de vrais amis, madame n'est pas fière.»
Le lendemain, on vient chercher le vieux bidet, et M. Potier me dit: «Vous prendrez celui que nous avons amené de votre pays. Demain nous allons ensacher de la farine: il nous en faut cent sacs pour Paris, c'est vous qui prendrez le boisseau, je vous montrerai cela. Demain vous boirez un coup à sec, il faut que vous appreniez à tout faire. Chez nous, vous n'aurez jamais d'ouvrage comme les autres; je vous mettrai au courant de bien des ouvrages; il faut que vous sachiez tout faire.»
Le lendemain matin, il me présente au garde-moulin, et lui dit: «Baptiste, voilà Jean que je vous amène, il faut lui montrer à manier le boisseau, il sera à votre disposition toutes les fois que vous en aurez besoin, il est rempli de bonne volonté.—Mais, monsieur, sera-t-il assez fort pour manier le boisseau avec moi?—Soyez tranquille, je vais présider à tout cela.»
Voilà M. Potier qui prend le boisseau, et me montre: «Faites comme cela.» Je voulais lui prendre la mesure des mains. «Non, me dit-il, laissez-moi finir ce sac!»
Je m'empare du boisseau et je le manie comme une plume. À mon premier sac, Baptiste dit à M. Potier: «Nous en ferons un homme.»—Je vais rester près de vous, dit mon maître.—C'est inutile, dit Baptiste, nous nous tirerons d'affaire tous les deux.»
Enfin je m'en acquittai de mon mieux, avec cet homme un peu dur. Cela dura toute la journée. Comme j'avais mal aux reins! Nous n'en avions fait que cinquante baches, il fallut recommencer le lendemain. Enfin, j'en vins à bout à mon honneur.
Monsieur et madame s'aperçurent d'une petite pointe de jalousie de la part des domestiques à mon sujet, et ils profitèrent du moment de mon absence pour leur conter mes malheurs. Ils leur dirent que je n'étais pas destiné à faire un domestique, que mon père avait beaucoup de bien et qu'il avait perdu ses quatre enfants. «C'est moi, dit M. Potier, qui ai retrouvé celui-ci, les autres sont perdus; je veux qu'il sache tout faire.—Je lui montrerai à tenir la charrue, lui dit le premier laboureur.—Ah! c'est bien, je vous reconnais là.—Je le mènerai avec moi quand vous voudrez.—Eh bien! prenez-le sous votre protection, je vous le confie; ne le fatiguez pas, car il est plein de courage.—Soyez tranquille, je lui montrerai à semer, je lui donnerai