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Je répondis que partout l'on avait voulu me faire rafraîchir, que je n'avais rien pris; je vois tous les domestiques qui me regardent.

      Le premier laboureur dit à table: «Jean, si vous voulez, je vous mènerai avec moi demain; je vous ferai faire un sillon avec ma charrue.—Ah! vous me faites bien plaisir, mon père Pron (c'était le nom de ce brave homme); si monsieur le permet, je partirai avec vous.—Non, dit M. Potier, nous irons ensemble.»

      En route, monsieur me dit que ce brave homme s'était offert de me montrer de tenir la charrue et il ajoutait: «Il faut en profiter, car c'est le plus fort de notre pays.»

      Une fois arrivés: «Voilà votre élève, dit monsieur, tâchez d'en faire un bon laboureur.—Je m'en charge, monsieur.—Voyons, faites-lui faire un enrayage.

      Voilà le père Pron qui dresse sa charrue et place ses trois chevaux sur une ligne droite, et me fait prendre des points de vue très loin, et des points intermédiaires de place en place. Il me dit: «Regardez entre les deux oreilles de votre cheval de devant les points que je vous montre, ne faites pas attention à votre charrue, tenez vos guides et fixez bien vos trois points. Aussitôt que le premier sera dépassé, vous en ressaisirez un autre.»

      De suite, j'arrive au bout de mon rayage, je regarde ma première raie; elle était droite. «C'est bien, me dit M. Potier, ça n'est pas tremblé. Je suis content; ça va bien; continuez.»

      Il eut la complaisance de rester deux heures et il me ramena à la maison, où madame l'attendait. «Eh bien! lui dit-elle, et la charrue, comment s'en est-il tiré?—Très bien. Je t'assure que Pron est content de lui; ça fera un bon laboureur.—Ah! tant mieux; ce pauvre enfant. Pron a eu une bonne idée de se charger de lui montrer à tenir la charrue. Je veux qu'il apprenne à semer; il commencera par semer des vesces, et puis du blé.»

      Le lendemain, je m'aperçus que tous les domestiques me faisaient une mine gracieuse. Je ne savais ce que cela voulait dire. C'étaient monsieur et madame qui leur avaient conté mon histoire. Enfin je fus l'ami de tout le monde. M. Potier avait sept enfants; c'est moi qui allais les chercher dans les pensions et les ramenais. C'étaient des fêtes pour eux et pour moi. J'étais de toutes les parties, à pied et en voiture. C'est moi qui réglais tous les petits différends entre les demoiselles et leurs frères.

      M. Potier me dit: «Nous partirons demain pour la foire de Reims, il me faut des chevaux pour Paris, il m'en faut qui soient bien appareillés, c'est pour des pairs de France[18]; ils les veulent tout dressés et de quatre à cinq ans. Vous aurez le temps de vous exercer.»

      Il fait appeler son garçon marchand de chevaux: «Je vous emmène avec nous à cinq heures demain matin, à cheval, pour la foire de Reims. Il nous faut cinquante chevaux, voilà les tailles et les couleurs. Je n'ai pas besoin de vous en dire davantage; vous connaissez votre affaire. Partez ce soir.»

      On fait prévenir M. Huzé de venir s'entendre pour le départ et de prendre un domestique avec lui pour mener le cheval qui portait les valises. Nous voilà partis à midi, nous arrivâmes à Reims trois jours avant la foire. Le vieux piqueur de M. Potier eut tout le temps de parcourir toutes les campagnes pour signaler tous les chevaux qui nous convenaient, et il revient avec le signalement de trente, et des arrhes avaient été données. Le vieux piqueur dit: «Je crois avoir fait une bonne affaire. J'ai une liste de cent chevaux que j'ai tenus; j'ai tous les noms des particuliers.»

      La foire fut terminée en trois jours; le total fut de cinquante-huit chevaux. Nous eûmes le bouquet de la foire; ces messieurs étaient contents de leur voyage, et tout fut réglé dans deux jours. Et en route pour Coulommiers, où nous arrivâmes sans accidents.

      C'est là que je fus mis à l'épreuve pour dresser tant de chevaux. Au bout de deux jours on les met au manège: vingt par jour avec des caparaçons sur le nez. Comme ils faisaient des sauts! on finit par les réduire et les rendre dociles. Pas un jour de repos, pendant un mois de manège. Et puis, au char à bancs, au cabriolet, à la selle. Comme ils s'allongeaient sur la paille! ils dormaient comme un pauvre qui a sa besace pleine de pain. Nous les menions dans les plaines, et ils étaient sots dans les terres labourées; je montais sur l'un, sur l'autre; je tenais la discipline sévère avec tous ces gaillards-là. Je corrigeais les mutins et flattais les dociles. Cette manœuvre dura deux mois sans relâche; j'étais fatigué, j'avais la poitrine brisée, j'en crachais le sang, mais j'en vins à bout à mon honneur.

      M. Potier écrivit à ces gros matadors de Paris que ses chevaux étaient prêts. Au lieu de répondre, ils arrivent avec de belles calèches et des domestiques tout galonnés. «On met leurs chevaux à l'écurie; M. Potier, le chapeau bas, les conduit au salon et madame paraît. Comme elle avait un port majestueux!

      Ces gros ventres se lèvent pour la saluer; elle se retire et fait apporter des rafraîchissements; elle fait demander si ces messieurs lui feraient l'honneur d'accepter son dîner: ils répondirent qu'ils acceptaient avec plaisir. Le dîner fut magnifique.—M. Potier me fit appeler: «Dites à tous les palefreniers de tenir les chevaux prêts; je vais mener ces messieurs visiter les chevaux.»

      Je donne les ordres et tout fut prêt. Ces messieurs voulurent voir l'établissement, dont ils furent enchantés, et passèrent aux écuries pour visiter les chevaux et les faire sortir. «Les voilà tous par ordre, leur dit M. Potier. Faites-les sortir.»

      On demande le numéro 1 avec bridon et couverture. On me présente le cheval, je le fais trotter. Monsieur me dit: «Montez-le!» Je le fais marcher au pas en tenant mon bridon, et là la main bien placée, je saute; ils n'eurent pas le temps de me voir monter. Je le fais trotter et le présente devant ces messieurs qui le flattent en disant: «C'est bien!»

      «Numéro 2», dit mon maître. On me présente le cheval: «Montez-le, disent ces messieurs. Au pas!… au trot!… Ça suffit. À un autre!»

      Et ainsi de suite, jusqu'à douze. On me demande alors: «Sont-ils tous dressés comme ces douze-là?—Je vous l'assure.—Ça suffit. Ce petit jeune homme monte bien un cheval.—Il est bien hardi, dit mon maître.—Demain nous les mettrons au char à bancs. Vous avez des harnais pour cela?—Tout est prêt.—En voilà assez pour aujourd'hui; nous voudrions voir la ville.—Voulez vous que l'on mette les chevaux à votre voiture?—Ça serait mieux. Nous vous demanderons la permission de vous amener deux convives.—Tout ce qui peut vous être agréable. Jean, fais mettre les chevaux à la calèche!»

      Et les voilà partis. Mon maître était content. «Jean, me dit-il, nous ferons une bonne journée, ça va bien; vous vous en êtes bien tiré. C'est vous qui servirez à table, faites un peu de toilette. Voyez ma femme, il faut aller à la ville faire apporter ce que j'ai commandé et vous faire donner un coup de peigne, et vous mettre en dimanche.»

      Me voilà de retour, bien poudré. Madame me met au courant de mes fonctions, et, la table servie, elle va faire une toilette magnifique. Comme elle était belle!

      Ces messieurs arrivent à six heures; ils étaient six. Monsieur va les recevoir, le chapeau à la main. «Eh bien! monsieur, nous sommes de parole, nous vous amenons deux convives.—Soyez les bienvenus.»

      Monsieur reconnaît le sous-préfet et le procureur de la République; on se met à table; madame fit les honneurs; rien n'y manquait, ni moi, la serviette sur le bras, ni les laquais des messieurs qui étaient derrière leurs maîtres. Tous mangeaient sans parler au premier service; l'un des laquais était découpeur et présentait les morceaux tout coupés que nous présentions à ces messieurs, qui en refusaient souvent. Au second service, paraît un brochet monstre et des écrevisses superbes. «Ah! madame, dit un convive, voilà une pièce rare.—C'est vrai», disent-ils tous. Mais le sous-préfet ajoute: «M. Potier a un réservoir superbe, il prend des anguilles magnifiques.»

      Enfin les louanges pleuvent de toutes parts; le champagne arrive, voilà tout le monde en gaieté! Monsieur leur dit: «J'ai passé par Épernay, et j'en ai fait une petite provision.—Il est parfait», dit le sous-préfet.

      Le dessert servi, on nous fit retirer, et madame demande la permission de s'absenter pour un moment. On lui répond: «Toute liberté,

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