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Les cahiers du Capitaine Coignet. Jean-Roch Coignet
Читать онлайн.Название Les cahiers du Capitaine Coignet
Год выпуска 0
isbn 4064066081782
Автор произведения Jean-Roch Coignet
Жанр Документальная литература
Издательство Bookwire
Je me fortifiai dans l'agriculture où je devins très fort, et je fus reconnu tel; à vingt et un ans, je pouvais me passer de maître pour mener la charrue, et conduire un chariot à huit chevaux.
Les ordres arrivèrent de Paris et il fallut partir de suite pour nous rendre à l'École militaire, où nous trouvâmes un général et les officiers de hussards et de chasseurs. Mon maître fut reçu par le général pour passer les chevaux en revue; on lui remet sa nomination d'inspecteur de la remonte. Le lendemain, les chevaux étaient amenés dans le Champ de Mars, au nombre de cinquante chevaux. J'avais acheté une culotte de peau de daim et une ceinture large pour me soutenir les reins; cela me coûtait trente francs.
Mon maître se promenait avec le général qui me fit appeler: «C'est vous, me dit-il, qui êtes désigné pour monter ces chevaux, nous allons voir cela. Je suis difficile.—Soyez tranquille, général, lui dit M. Potier, il connaît son affaire.—Eh bien, à cheval! les chevaux de chasseurs les premiers!—Laissez-le faire, vous serez content de lui: il est timide.—Eh bien! laissons-le, commençons par la droite, et ainsi de suite.»
Je monte le premier; personne n'eut le temps de me voir monter. Ce cheval veut faire quelques écarts; je lui allonge deux coups de cravache sous le poitrail, et lui fais faire une pirouette sous lui, et le rends docile. Je le mène au trot, je reviens au galop; je recommence au pas, c'est la marche essentielle pour la cavalerie… Je mets pied à terre, je dis à l'officier: «Marquez ce cheval numéro 1; il est bon.» Je dis au vétérinaire: «Voyez la bouche de tous les chevaux, et surtout les dents, je les visiterai après.»
Je continue, je fais trois lots et les fais marquer par le capitaine de chasseurs. Arrivé au trentième, je demande un verre de vin que le général me fait apporter, disant: «Je vous laisse faire, jeune homme! Dites-moi, pourquoi ces trois lots?—Le premier pour vos officiers, le deuxième pour vos chasseurs, et le troisième, réformé.—Comment réformé?—Eh bien! général, je vais me faire comprendre. Les quatre chevaux du troisième lot sont des chevaux refaits qui ne peuvent être acceptés sans une visite des experts. Voilà la sévérité que j'y mets. Cela vous regarde. Maintenant faut-il que je continue de faire mon devoir?—Oui, je vous approuve: sévère et juste.»
Je continuai toute la journée… J'avais monté cinquante chevaux; six du premier lot et quatre du second étaient mauvais; il en restait quarante pour les chasseurs. Lorsque les officiers connurent mon opération, ils me prirent la main: «Vous savez faire votre devoir, nous ne serons pas trompés.—Vous avez, dis-je, six chevaux parfaits, ils peuvent monter des officiers.»
Le général me fit venir près de lui, il était près de M. Potier avec son aide de camp: «Vous avez bien opéré, je vous ai suivi de l'œil, je suis content de vous. Continuez… Vous devez être fatigué, demain nous prendrons les chevaux de hussards, vous opérerez de même. À onze heures!—Ça suffit, général.—Savez-vous écrire?—Non, général.—J'en suis fâché, je vous aurais pris avec moi.—Je vous remercie; je ne quitte pas mon maître; c'est lui qui m'a élevé.—Vous êtes un fidèle garçon.»
Il fit appeler les officiers, et leur dit: «Vous allez vous emparer de ce jeune homme. Faites-le dîner avec vous; il travaille dans vos intérêts. Que les fournisseurs ne lui parlent pas! Vous le ramènerez chez moi à neuf heures. Monsieur l'inspecteur vient dîner avec moi.»
Je fus fêté de tous les officiers: le dîner fut très gai. À neuf heures, nous arrivâmes chez le général, et le café fut servi, je reçus l'accueil le plus aimable de la part du général: «Demain nous visiterons les chevaux que vous devez monter, et je vous ferai seconder par un maréchal des logis qui monte bien, cela vous avancera.—Je lui ferai monter les juments.—Pourquoi cela?—Général, la jument est meilleure que le cheval hongre; elle résiste mieux à la fatigue; je l'examinerai avant de faire monter.—Ah! pour le coup, je suis content de votre observation. Je l'approuve.—Si votre militaire est content de sa jument, il la mettra au premier lot, et ainsi de suite; moi, de même.—Eh bien, messieurs! que dites-vous de cela? Nous sommes bien tombés. On ne nous donnera plus de ces mauvais chevaux qui ne durent pas six mois.—Je puis me tromper, mais je ferai de mon mieux.—Allons, messieurs, à demain onze heures précises!»
Nous prîmes congé du général; mon maître me mit en voiture pour gagner notre hôtel. «Jean, le général est content de vous; il est enchanté. Tâchons de faire une bonne journée demain; il faudrait pouvoir recevoir cent chevaux. Comme vous serez deux, ça nous avancerait beaucoup.—Je ferai mon possible.»
Le lendemain, à dix heures, nous reçûmes la visite du capitaine de hussards; mon maître lui dit: «Faites-moi l'amitié d'accepter une côtelette et une tasse de café. Nous partons de suite. Le fiacre est prêt.—Dépêchons-nous! Le général ne plaisante pas.»
À dix heures et demie, nous étions près du Champ de Mars à voir les chevaux; mon maître dit: «Préparez encore cinquante chevaux.»
À onze heures, le général arrive; nous passons les chevaux en revue, et nous montâmes à cheval deux à la fois. Ces chevaux étaient charmants; je fus content; je le dis au général qui fut content aussi. Il n'en fut réformé que deux sur cent. Ces pauvres marchands de chevaux n'étaient plus si chagrins que la veille. Enfin, nous reçûmes cent chevaux par jour, et tout fut terminé dans neuf jours. Je fus bien remercié de tous les officiers et du général qui me fit remettre trente francs pour les dix chevaux réformés. Je fus avec mon maître remercier le général qui nous dit: «J'ai fait mon rapport du soin que vous avez mis dans le choix des chevaux pour les officiers et la réforme que vous avez faite, c'est ce qui a fait donner trente francs de récompense à votre jeune homme.»
Je remercie et nous allâmes finir nos affaires; mon maître toucha dix-huit cents francs pour son voyage, et nous partîmes le lendemain pour Coulommiers. Mon maître me dit: «Nous avons mené notre affaire grand train et tout le monde est content.»
Je lui dis: «Si jamais je suis soldat, je ferai mon possible pour être dans les hussards, ils sont trop beaux.—Il ne faut pas penser à cela; nous verrons plus tard; ce sera mon affaire: le métier de soldat n'est pas tout rose, je vous en préviens.—Je le crois; aussi je ne suis pas parti; il faudrait que je fusse forcé de partir pour vous quitter.—Eh bien! je suis content de votre réponse.»
Nous arrivâmes à la maison le samedi, et le dimanche fut une fête pour tout le monde; monsieur ne tarissait pas sur mon compte. Je me remis à mes occupations habituelles, mais un jour je fus invité à passer à la mairie. Là, on me demande mes nom et prénoms, ma profession, mon âge.
«Je me nomme Jean-Roch Coignet, né à Druyes-les-Belles-Fontaines, département de l'Yonne.—Quel âge avez-vous?—Je suis né le 16 août 1776.—Vous pouvez vous retirer.»
Que diable me veulent-ils? Ça me mit martel en tête. «Je n'ai pourtant rien fait», me disais-je. Je dis cela de suite à mes maîtres qui me disent: «C'est pour vous enregistrer pour la conscription.—Je vais donc être soldat.—Pas encore, mais c'est une mesure qu'ils prennent. Si vous voulez, nous vous achèterons un homme.—Je vous remercie; nous verrons cela plus tard.»
Je me trouvais accablé de cette nouvelle; j'aurais voulu être parti de suite, mais cela se prolongea jusqu'au mois d'août où j'eus tout le temps de faire toutes mes réflexions. Ma tête travaillait nuit et jour, je me voyais sur le point de quitter cette maison où j'avais passé des jours si heureux, avec de si bons maîtres et de bons camarades.
Je termine la première partie de mon ouvrage pour ne pas faire trop de répétitions qui pourraient ennuyer. Je vais commencer mon état militaire, et j'ai fini la première partie de mes peines.—Celles-là ne sont que des roses.
DEUXIÈME CAHIER
DÉPART POUR L'ARMÉE.—MA VIE MILITAIRE JUSQU'À LA BATAILLE