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Je fis de suite mes préparatifs pour partir; on voulait me faire remplacer; je remerciai en pleurant: «Je vous promets que je reviendrai avec un fusil d'argent, ou je serai tué!»

      Mes adieux furent tristes; je fus comblé d'égards par tout le monde, conduit un bout de chemin, et bien embrassé. Mon petit paquet sous le bras, je viens coucher à Rozoy, première étape militaire. Je fus chercher mon billet de logement que je présente à mon hôte qui ne fait pas attention à moi. Je sors et vais acheter un pot-au-feu, que le boucher me mit dans la main. Je fus blessé de voir cette viande dans le creux de ma main. Je la présente à ma bourgeoise pour qu'elle ait la complaisance de me la faire cuire et je vais lui chercher des légumes. On finit par mettre mon petit pot-au-feu; j'eus alors les bonnes grâces de mes hôtes qui voulurent bien m'adresser la parole, mais je ne leur en tins aucun compte.

      Le lendemain, j'arrive à Fontainebleau où des officiers peu ardents au service nous reçurent, et nous mirent dans une caserne en très mauvais état. Notre beau bataillon s'est formé dans la quinzaine; il était de l,800 hommes: comme il n'y avait pas de discipline, il se forma de suite une révolution, et la moitié s'en allèrent chez eux. Le chef de bataillon en fit son rapport à Paris, et il fut accordé quinze jours pour rejoindre le bataillon, sans quoi on serait porté déserteur et poursuivi comme tel.

      Le général Lefèvre fut envoyé de suite pour nous organiser. On fit former les compagnies et tirer les grenadiers; je fus du nombre de cette compagnie qui se montait à cent vingt hommes et nous fûmes habillés de suite. Nous reçûmes tout au grand complet, et de suite à l'exercice deux fois par jour!… Les retardataires furent ramenés par les gendarmes, et l'on nous mit à la raison.

      Le dimanche c'était le décadi[20] pour tout le bataillon. Il fallait chanter la victoire, et les officiers brandissaient leurs sabres; l'église en retentissait, et puis on criait: Vive la République! tous les soirs, autour de l'arbre de la liberté, qui était dans la belle rue; il fallait chanter: Les aristocrates à la lanterne! Comme c'était amusant!

      Cette vie dura à peu près deux mois lorsque la nouvelle circula, dans les journaux, que le général Bonaparte était débarqué, qu'il venait à Paris, et que c'était un grand général. Nos officiers en devenaient fous, parce que le chef de bataillon le connaissait, et ce fut une joie dans le bataillon. On nous passait des revues de propreté; on faisait porter et présenter les armes, croiser la baïonnette; on voulait nous faire soldats dans deux mois. Nous en avions des durillons dans les mains à force de taper sur la crosse de nos fusils. Toute la journée sous les armes! Nos officiers nous colletaient, ajustaient nos habillements; ils se mettaient en quatre pour que rien n'y manquât.

      Enfin, il nous arrive un courrier que Bonaparte passerait par Fontainebleau et qu'il devait passer la nuit. On nous mit sous les armes toute la journée, et rien ne venait. On ne voulait pas nous donner le temps de manger; les boulangers et les traiteurs de la grande rue firent une bonne recette. Des vedettes furent placées dans la forêt; à chaque instant on criait: Aux armes! et tout le monde au balcon, mais en pure perte, car Bonaparte n'arriva qu'à minuit.

      Dans la grande rue de Fontainebleau où il mit pied à terre, il fut enchanté de voir un si joli bataillon; il fit venir les officiers autour de lui, et leur donna l'ordre de partir le lendemain pour Courbevoie. Il remonte dans sa voiture, et nous de crier «Vive Bonaparte!», et de rentrer dans nos casernes faire nos sacs, faire lever les blanchisseuses, et payer partout.

      Nous venons coucher à Corbeil; nous y fûmes reçus en enfants du pays par tous les habitants, et le lendemain nous partîmes pour Courbevoie où nous trouvâmes une caserne dépourvue de tout le nécessaire; même pas de paille pour nous coucher! Nous fûmes obligés d'aller chercher les paisseaux dans les vignes pour nous chauffer et faire bouillir nos marmites.

      Nous ne restâmes que trois jours et nous reçûmes l'ordre de partir pour l'École militaire, où l'on nous mit dans des chambres qui ne contenaient que des paillasses, et au moins cent hommes dans chaque chambre. Puis, on nous fit la distribution de trois paquets de cartouches (de quinze par paquet); et trois jours après, l'on nous fit partir pour Saint-Cloud où nous vîmes des canons partout, des cavaliers enveloppés dans leurs manteaux.

      On nous dit que c'étaient des gros talons[21], que c'était la foudre quand ils chargeaient sur l'ennemi, qu'ils étaient couverts de fer. Tout cela n'était pas; ils avaient seulement de vilains chapeaux à trois cornes et deux plaques de fer en croix sur la forme de leurs chapeaux. Ces hommes ressemblaient à de gros paysans, avec des chevaux gros, pesants à faire trembler la terre, et des sabres de quatre pieds. Voilà les hommes de notre grosse cavalerie qui furent plus tard nos beaux cuirassiers qui se nommèrent les gilets de fer. Enfin, ce régiment était à Saint-Cloud. Les grenadiers du Directoire et des Cinq-Cents dans la première cour formaient la haie; une demi-brigade d'infanterie était près de la grande grille, et quatre compagnies de grenadiers, derrière la garde du Directoire.

      On entend crier: «Vive Bonaparte!» de tous les côtés, et il paraît. Les tambours battent aux champs: il passe devant le beau corps de grenadiers, salue tout le monde, nous fait mettre en bataille, et parle aux chefs. Il était à pied, il avait un petit chapeau et une petite épée; il monte les degrés seul.

      Tout à coup nous entendons des cris, et Bonaparte de sortir et de tirer sa petite épée, et de remonter avec un peloton de grenadiers de la garde. Et puis on crie encore plus fort; les grenadiers étaient sur le perron et dans l'entrée. Et puis nous voyons de gros monsieurs[22] qui passaient par les croisées; les manteaux, les beaux bonnets et les plumes tombaient par terre; les grenadiers arrachaient les galons de ces beaux manteaux[23].

      Bonaparte rappelle son frère Lucien qui était le président, et lui dit de se placer dans le beau fauteuil, avec Cambacérès à sa droite et Lebrun à sa gauche. Et les voilà installés.

      À trois heures, on nous donne l'ordre de partir pour Paris, mais les grenadiers ne partirent pas avec nous. Nous mourions de faim; en arrivant on fit la distribution d'eau-de-vie. Les Parisiens nous serraient de tous les côtés pour savoir des nouvelles de Saint-Cloud: nous ne pouvions pas passer dans les rues pour arriver au Luxembourg où l'on nous mit dans une chapelle, en entrant dans le jardin (il fallait monter des marches). Et puis à gauche, c'était une grande pièce voûtée que l'on nous dit être la sacristie, où l'on nous fit établir des grandes marmites pour quatre cents grenadiers. Devant le corps de bâtiment, il y avait de beaux tilleuls, mais cette belle place devant le palais, ce n'étaient que des masures démolies. Il n'existait dans ce beau jardin que les vieux marronniers qui y sont encore, et une sortie derrière, au bout de notre chapelle. C'était pitié de voir ce beau jardin avec des démolitions.

      Voilà qu'il nous arrive un beau grenadier qui se présente avec le chef de bataillon qui fait prendre les armes pour recevoir M. Thomas (ou Thomé) pour lieutenant dans la 96e demi-brigade; et là sur-le-champ, il nous dit: «C'est moi qui ai sauvé la vie avec mon camarade à Bonaparte. La première fois qu'il est entré dans la salle, deux ont foncé sur lui avec des poignards et c'est moi et mon camarade qui avons paré les coups. Et puis il est sorti; ils lui criaient: hors la loi! C'est là qu'il a tiré son épée et nous a fait croiser la baïonnette, et leur a crié: hors la salle! en appelant son frère. Tous les pigeons battus se sont sauvés par les croisées, et nous avons été maîtres de la salle.»

      Il nous dit encore que Joséphine lui avait donné une bague qui valait bien quinze mille francs, avec défense de la vendre, disant qu'elle pourvoirait à tous ses besoins.

      Tout notre beau bataillon fut définitivement incorporé dans la 96e demi-brigade de ligne, vieux soldats à l'épreuve qui avaient des officiers distingués qui nous menaient ferme. Notre colonel se nommait M. Lepreux, natif de Paris, bon soldat et doux à ses officiers. Notre capitaine se nommait Merle, il possédait tous les talents militaires: sévère, juste, toujours avec ses grenadiers aux distributions, à l'exercice deux fois par jour, sévère pour la discipline; il assistait aux repas; il nous faisait apprendre à tirer des armes. Tout notre temps se trouvait employé; dans trois mois, nos compagnies pouvaient manœuvrer devant le premier Consul.

      Je devins très

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