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      J’en trouve la preuve dans cette lettre, traduite récemment, qu’un chef de tribu égyptienne des frontières menacé d’être attaqué par un chef voisin, écrivait à un autre chef, son ami, pour lui demander du secours.

      Dans cette lettre, le chef en péril implore l’aide de son allié de la façon la plus pressante, attendu, ajoute-t-il, que «mon ennemi veut m’enlever mes tentes, mes bestiaux, mes femmes et mes chats.»

      Cependant, Pahétar, à mesure qu’il s’avançait dans le quartier silencieux et comme frappé d’un fléaux, faisait cette remarque que personne, parmi les passants, n’avait les sourcils fraîchement rasés.

      Or, se raser les sourcils était la marque officielle de tristesse et de regrets accordée au trépas d’un chat.

      Pour le décès d’un chien, on se rasait les cheveux et la barbe entièrement.

      –Si personne n’a les sourcils fraîchement rasés, se dit Pahétar, c’est que nos chats bienaimés se portent à merveille. La désolation générale a donc une autre cause.

      Cette cause, elle lui fut bientôt révélée par un bonhomme en larmes, auquel il adressa la parole à ce sujet.

      Il apprit que la veille, pendant la fête, un vénérable serviteur des dieux, le très saint Patkesch, prêtre interné de quatrième classe, pastophore de la chapelle de Thot, le dieu à tête d’ibis, protecteur des Lettres et des Arts, avait été assailli par un des cynocéphales adorateurs du Soleil-Levant, et traité d’une façon épouvantable. Le singe, armé d’un bâton, était entré dans la chapelle au moment où le pastophore offrait solennellement des pains et des fruits au dieu caché derrière le rideau de pourpre, et il s’était précipité avec une fureur inconcevable sur le digne confident du ciel.

      On avait eu toute les peines du monde à l’arracher vivant des mains de l’animal sacré qui semblait frappé de démence.

      Pahétar ne se lassait pas de se faire répéter les détails de l’événement qui avait plongé le quartier dans une sorte de désespoir. Mais pendant que sa figure exprimait la plus violente surprise et le regret le plus indigné, son cœur nageait dans les flots de lait de la satisfaction la plus vive.

      Le vénérable Patkecsh, roué de coups, avait été transporté dans son domicile.

      Quant au singe, on avait dû respectueusement l’enchaîner.

      Ces renseignements entendus, Pahétar se rendit d’un pas alègre, l’âme imbibée d’une joie exquise, dans le quartier où demeurait le vieil Akki, l’usurier.

      Une nouvelle surprise l’attendait dans l’Ankhataouï. Le viel Akki n’était pas venu à ce que les modernes Français appelleraient: son cabinet d’affaires, et les modernes Américains: «son office.» On ne savait ce qu’il était devenu.

      Le lendemain Pahétar se rendit dans l’Ankhataouï. Il trouva la porte du vieil Akki close comme la veille.

      Pahétar n’eut pas une chance meilleure les jours suivants. Il vint avec probité frapper au seuil de l’usurier, mais l’usurier continua de ne pas donner signe de vie.

      –Serait-il mort? Se demanda le jeune homme.

      Et il aimait à supposer que le prêteur sur gages, momies comprises, avait peut être expiré, après avoir généreusement brûlé les créances dont il était possesseur.

      Si cela était, soupirait Pahétar, le poids écrasant de l’anxiété serait enfin enlevé de dessus mon cœur; et je n’aurais plus, certain d’être inhumé convenablement, qu’à peiner de nouveau pour trouver la somme que demandent les parents de Taéï.

      –Bon Akki, sois béni dans le noir passage, s’écriait-il.

      Il se plaisait alors à se représenter l’Ame du vieil Akki, abandonnée par l’Intelligence et allégée de son corps, en train de comparaître devant le tribunal où siège Osiris-Khent-Ament, entouré des quarante-deux membres du jury infernal.

      Il la voyait pâle et courbée, cette âme d’usurier, se traîner au pied du Justicier suprême, accablée sous les témoignages portés contre elle par sa Conscience et par sa Vie, pendant qu’on pèse toutes ses actions dans la Balance infaillible de l’équité divine.

      Elle allait être condamnée aux châtiments les plus rudes. Quand, tout à coup, le poids de la dernière action de la vie du vieil Akki–l’incinération généreuse des créances en circulation –faisait pencher l’opinion des juges en faveur de l’accusée.

      Onl’absolvait pour ce fait unique et si extraordinaire, et elle allait, après les épreuves obligatoires, se livrer dans les demeures célestes aux opérations du labourage mystique, en attendant la suprême félicité, la fusion dans la lumière de la vérité unique et l’adoration de l’Être parfait.

      Hélas! tout cela n’était que le rêve d’un faiseur d’hiéroglyphes naïf et doux. Le vieil Akki, incapable d’anéantir aucune espèce de papyrus scellé pouvant lui rapporter une obole, n’était malheureusement pas mort.

      Pahétar en eut la preuve la sixième fois qu’il vint heurter à l’huis du redoutable usurier.

      Car ce fut ce personnage en personne qui vint lui ouvrir la porte.

      Nous renonçons à peindre le désappointement amer du visiteur. Il avait fini par être fermement persuadé du trépas du vieil Akki, et il avait même fait part de cette agréable nouvelle à Taéï, qui en avait battu de plaisir ses mains élégantes.

      Douleur et misère! Akki se portait comme un cèdre, bien qu’il fût d’une pâleur extrême sous ses longs cheveux roux, tressés en écaille de caïman, à la vieille mode.

      Il apprit à son débiteur navré qu’il avait été récemment très malade, à la suite d’un accident de chasse, l’attaque d’un animal sauvage, mais que sa santé était fort bonne pour l’instant.

      Pahétar raconta à son créancier qu’il avait été victime d’un vol, sans lui en expliquer les circonstances, et lui demanda de reculer de quelques mois la date du remboursement du prêt fait sur la momie paternelle.

      Akki se déclara touché du fait, mais il refusa obstinément le délai demandé par le jeune homme avec une éloquence digne d’un meilleur accueil.

      Pahétar se retira, le cœur brisé, en annonçant qu’il allait faire de nouvelles tentatives auprès des amis de ses jours de richesse, et qu’il viendrait le lendemain en annoncer le résultat au vieil usurier dont la créance, du reste, ne devait échoir que trois jours plus tard.

      Le soir de ce jour si triste, Pahétar put échanger quelques mots avec Taéï et lui apprit dans quel abîme de désolation il allait tomber.

      Ce soir-là, les deux amants ne pensèrent pas beaucoup à la chasse des jolis oiseaux du pays de Pount, et ils pleurèrent’ de compagnie. Ils se séparèrent enfin, très tristes tous deux, mais en se jurant de s’aimer toujours, malgré tout, jusqu’à la mort.

      Taéï promit solennellement de ne jamais appartenir au porte-ombrelle du roi, quelle que fût la somme qu’il offrît à ses parents.

      Pahétar la quitta un peu consolé par cette promesse, et passa le restant de la nuit, dans sa pauvre maison, à se rappeler les services dont il pourrait discrètement se prévaloir auprès de ses anciens amis pour leur demander de lui venir en aide dans cette occasion de la plus haute gravité.

      Les courses qu’il fit dans ce but, tout le jour suivant, furent stériles. Ceux de ses anciens amis qu’il put découvrir et qui consentirent à le recevoir, l’écoutèrent avec une bienveillante impatience, et lui opposèrent des fins de non-recevoir très détaillées.

      La nuit tombait, quand le malheureux Pahétar, les mains vides, arriva en vue de la maison de

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