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un caractère pour un autre et de faire de grotesques contre sens dans la traduction des cartouches sculptés.

      C’est pourquoi,–histoire de rire un peu de la postérité–Pahétar se complaisait malicieusement à créer des difficultés inextricables pour l’esprit des savants de l’avenir, lorsqu’ils chercheraient à déchiffrer les inscriptions murales de Memphis, ou les stèles de sa nécropole.

      C’est à ce facétieux jeune homme, évidemment, que sont dûs les labyrinthes philologiques et paléographiques où, à moitié fous, ont erré pendant près d’un siècle les égyptologues européens, depuis le père Kircher jusqu’aux émules laborieux et sagaces du courageux Champollion.

      Quand le gai et beau Pahétar,–car il était beau et gai, quoique ruiné, le jeune fils du noble Autef,–ne burinait pas sur les murs des édifices publics des cartouches guerriers ou religieux, au milieu des allées et venues bruyantes des colombes et des cigognes, il gravait, dans son propre domicile, sur le ventre de scarabées de pierre dure ou de métaux précieux, les sceaux qui servaient de chatons aux bagues des riches habitants de Memphis.

      Le soir, après le travail, il grignotait ses grains de lotus, croquait une galette de dourah et s’abreuvait de l’eau du Nil.

      Il aurait pu se nourrir plus convenablement, s’il l’avait voulu, mais, pour mettre de côté l’argent destiné à l’achat de Taéï et à l’accomplissement d’un devoir plus impérieux encore, et que nous dirons dans un instant, il se privait même d’un humble plat de lentilles ou d’une figue fraîche.

      Cet impérieux devoir, ce motif puissant d’une abstinence héroïque chez un ami du vin de palmier et de la bonne chère, c’était le paiement d’une dette sacrée.

      Au crépuscule de sa joyeuse vie, Pahétar avait emprunté sur la momie de son père, Autef, le noble chef.

      Un usurier du quartier Ankhataoui, le quartier des joailliers, des courtisanes et des marchands étrangers, le quartier dont on parlait le soir, avec enthousiasme, dans les haltes des caravanes, lui avait avancé une forte somme sur ce gage, qui laisserait très froids sans doute les marchands d’argent d’aujourd’hui.

      Mais alors l’emprunt sur momie paternelle était parfaitement admis et légal.

      Le taux de l’intérêt variait seul à la fantaisie ou selon la rapacité du prêteur. Celui qui obligea Pahétar en cette occasion, l’avait fait assez généreusement.

      L’imprévoyant Pahétar avait dissipé le produit de cette importante affaire en peu de semaines, aidé par les joueuses de harpes à hanches étroites, aux cheveux tressés en franges de tapis, dont il a été fait mention déjà; or le moment de restituer le capital mangé, avec les intérêts, s’approchait avec la vitesse du vent du sud, et cette pensée brûlait l’âme du malheureux jeune homme comme le vent ci-dessus nommé brûle les papyrus dans les marais.

      Pahétar savait que la loi du prêt sur momie, œuvre du pharaon Aseskaw, V.S.F. (ne l’oublions pas), ne plaisantait pas avec les débiteurs de son genre singulier, lorsqu’ils laissaient protester leur sceau apposé sur un papyrus de premier choix, solide à durer des milliers d’années.

      Aussi travaillait il comme un esclave, se serrant le ventre comme un avare, pour arriver à s’acquitter au temps fixé, dut-il perdre à jamais l’espoir d’obtenir Taéï pour épouse, en l’achetant à beaux sekels comptants.

      La loi du prêt sur momie,–(que les incrédules consultent à ce sujet Hérodote et Diodore, l’un d’Halicarnasse et l’autre de Sicile, mais tous deux très «amusants» à lire)–«autorisait tout particulier à mettre en gage la momie paternelle, mais elle permettait au prêteur de disposer du tombeau de l’emprunteur.»

      «Au cas où la dette n’était pas payée, le débiteur ne pouvait obtenir sépulture pour lui ou pour aucun des siens dans la tombe paternelle ni dans aucune autre tombe.»

      Son corps était abandonné en pâture aux gypaëtes et aux chacals.

      Pour un Egyptien pieux,–et tous l’étaient –l’idée de ne pouvoir soustraire l’enveloppe de son âme, pendant ses migrations d’outre-tombe, à la corruption et aux bêtes sauvages, constituait un infernal supplice, une épouvantable damnation.

      Aussi le prêt sur momie était-il toujours religieusement remboursé à l’échéance.

      Jamais aucun des engagements de cette nature, qui vraisemblablement devaient se négocier et se passer à l’ordre d’autrui, comme les autres valeurs, ne fut protesté.

      Il était toujours payé à présentation, à moins qu’il n’eût été renouvelé, bien entendu. Mais un effet de cette espèce funèbre était-il renouvelable? Mystère!

      Aucun détail là-dessus n’a été fourni par les Livres des Morts, dont chaque momie avait un exemplaire sur la poitrine, et qui ont été retrouvés en si grand nombre dans les hypogées d’Égypte.

      Hérodote lui-même, si bavard, bavard vénérable du reste, sur tous les autres détails de la législation égyptienne, reste muet sur le cas en question.

      Entre parenthèses, ce brave Hérodote est véritablement un bavard extraordinaire. Il entass renseignements sur renseignements à propos de tout, mais, sur de certains sujets, les dieux étrangers par exemple, dont il semble avoir très peur, il a des pudeurs et des hésitations des plus comiques. A chaque instant, près de nommer une divinité, il s’arrête, semble baisser les yeux, et murmure:–«Tout le monde comprendra ma réserve»; ou bien: «Il me serait pénible de le dire»; ou bien: «On me saura gré de garder le silence»; ou: «Qu’on me permette de me taire»; ou encore: «Il serait peu convenable de le rapporter.»

      Ah! ce n’est pas un naturaliste (côté des romanciers) qui imiterait la discrétion du vieil historien; il dirait tout, et même autre chose encore!

      Mais revenons à Pahétar.

      Le pauvre garçon se tuait à la tâche comme un condamné éthiopien pour se libérer envers son créancier funéraire et pour amasser la rançon nuptiale de Taéï.

      Taéï, chère fille, pour lui donner du courage, chantait chaque soir, en se promenant dans son petit jardin, une vieille chanson d’amour que son amant entendait avec délices, car il rôdait pendant la nuit autour de la demeure de sa bien-aimée.

      Voici cette chanson dont trois mille années n’ont pas altéré la grâce tendre:

      –«Tous les oiseaux de Pount (l’Arabie heureuse)

      « Ils s’abattent sur l’Egypte,

      «Enduits de parfums.

      «Celui qui vient en tête, il saisit mon ver (l’appât),

      «Apportant de Pount l’odeur qu’il exhale,

      «Et les pattes pleines de gommes (aromatiques).

      «Je désire que tu nous les fasses prendre ensemble,

      «Moi, seule avec toi!»

      Oh! comme Pahétar, en revenant à son modeste logis, après avoir entendu la symbolique invitation de Taéï, était plein du désir de chasser, seul avec elle, les jolis oiseaux du pays de Pount!

      Un jour qu’il venait de graver sur un pylone, suspendu entre le ciel et la terre, quelques-uns des différents noms qualificatifs du Nil:–Seigneur des poissons,–créateur du blé,–ami des pains,–irrigateur des vergers,–porteur de barques pleines de bonnes choses,–il consacra l’instant de repos qu’il s’accordait après son rude travail à l’examen des maisons, entourées de maigres jardins, de la portion du quartier du Mur-Blanc qui, tel un plan en relief, s’étalait au-dessous de lui.

      Ici, on en conviendra, on pourrait placer une forte description du quartier du Mur-Blanc, vu du sommet d’un polygone. Elle ne

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