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effet bien vaguement: 1o Le lacis des ruelles étroites, bordées de lignes continues de petites maisons basses en briques crues, recouvertes d’un toit plat herbeux, et cernées à leur pied d’un mince filet d’ombre; 2o les obélisques roses dressant dans l’azur vif leur pyramidion scintillant; 3o les cours intérieures trouées de citernes rondes qui semblent des paillons d’étain cerclés d’un ruban vert; 4o les grandes voies poudreuses, les places inondées de soleil, où se meuvent des centaines de points noirs; 5o les temples innombrables et les chapelles émergéant de la masse rousse des blocs de maisons; 6o les bouquets de palmiers immobiles et de sycomores poussiéreux; 7o les rangées d’ibis sur le rebord des terrasses blanches; 8o les vergers roussis; 9o au delà des murailles de la ville, les ondulations des collines lybiques et arabiques; 10o ..... mais en voilà assez déjà.

      Ce que le jeune artiste distinguait surtout dans l’agglomération des masures groupées autour des temples, sur lesquelles il planait, ce qu’il couvait d’un œil attendri, c’était, imperceptible et perdue dans la masse générale, l’humble bâtisse cuite et recuite par le soleil où, dans l’ombre de sa chambre de jeune fille, la belle Taéï lissait sans doute ses admirables cheveux noirs, en agaçant de son peigne, avec gaieté, de temps à autre, un chat roide et pensif, juché sur un coffre et s’imprégnant de la chaleur ambiante avec gravité ainsi qu’il sied à un animal vénéré.

      Parfois, Pahétar regardait immédiatement au dessous de lui, sa propre petite maison où dormait, dans un joli coffret finement décoré d’émaux bleus, oranges et verts, la somme lentement amassée à la suite de longs mois de travail et de privations, et dont le total suffisait presque déjà au rachat de sa créance et à l’achat de Taéï.

      Tout à coup, il songea avec une inquiétude vive, qu’il était parti le matin sans avoir refermé le précieux coffret après en avoir compté et recompté le contenu.

      Comme il faisait cette réflexion désagréable, il aperçut un grand singe cynocéphale qui escaladait les murs de séparation des jardins et des cours, s’arrêtant pour extraire de sa toison quelque indiscret parasite, puis reprenant le cours de ses exercices gymnastiques.

      Pahétar respectait infiniment les faits et gestes des singes sacrés. Leurs excursions autour des temples où ils adoraient le soleil levant,–à ce qu’assuraient du moins les prêtres qui en pre– naient soin,–trouvaient en lui un censeur indulgent. Il éprouvait même une certaine sympathie à l’égard de ces fantaisistes velus, et quand il avait à sculpter leur profil d’un sérieux comique sur la paroi de quelque édifice, il le faisait avec infiniment de plaisir.

      Cependant il trouvait parfois que les cynocéphales de son quartier se permettaient bien des choses, notamment de gâter les provisions de bouche du pauvre monde, et d’en voler les meilleurs morceaux, à commencer par les œufs des oies dont ils laissaient la coquille parfaitement vide dans les basses-cours.

      Le cynocéphale dont les sauts et les gambades avaient attiré soudain l’attention de Pahétar, prenait des précautions quasi humaines pour s’assurer s’il n’était point observé, avant de se glisser furtivement dans l’intérieur des maisons. On l’ n voyait ensuite sortir avec précipitation et s’entuir à grands pas, les bajoues gonflées.

      Ces allures de voleur faisaient sourire Pahétar.

      Il pensait que les fruits de ses voisins devaient subir de terribles assauts.

      Quand il vit l’animal entrer dans sa propre maison, il eut l’âme fort égayée.

      –Ce larron à quatre mains va être volé à son tour, se dit-il. Mon buffet est vide!

      Pourtant quand le singe reparut sur le seuil de la maison de Pahétar, celui-ci constata que les bajoues de l’animal étaient distendues d’une façon absolument insolite.

      –Qu’a-t-il donc pu me dérober? se demanda-t-il, en regardant le cynocéphale qui escaladait de nouveaux murs et toits et galopait de terrasse en terrasse en toute hâte.

      Comme il se faisait cette question, il perdit de vue le singe qui disparut derrière les murailles d’une chapelle consacrée au dieu Thot, protecteur des arts et des lettres, dont le fronton se dressait, au loin, au-dessus des plates-formes gazonnées d’un tas pressé de cabanes populaires.

      Un soupçon cruel traversa l’esprit du jeune homme en ce moment.

      Il se rappela son coffret laissé entr’ouvert, et frissonna d’angoisse tout d’abord.

      Puis il rit largement, se moquant de sa peur, en murmurant:

      –Les singes préfèrent les dattes aux sekels d’or. Que je suis sot!

      Néanmoins il descendit rapidement de son échafaudage et retourna chez lui d’un pas pressé.

      Il constata d’un coup d’œil, en arrivant dans le réduit où gisait son trésor, que le singe, à défaut de dattes, avait enlevé le contenu de la boîte précieuse.

      Il vit alors clairement qu’il était la victime, ainsi que plusieurs de ses voisins sans doute, de l’habileté d’un singe dressé à voler les objets d’or et d’argent par quelque misérable prêtre des environs, probablement par l’unique pastoph ore de la chapelle de Thot, vers laquelle le singe, ses exploits accomplis, s’était dirigé avec tant de vitesse.

      Pahétar entra dans une colère désespérée et attesta les dieux qu’il tirerait une vengeance éclatante du misérable prêtre.

      Il se sentait perdu. Il lui devenait impossible de rembourser à temps le prêt fait sur la momie paternelle, et c’était de la folie de songer maintenant à acquérir la main de Taéï!

      Il gémit douloureusement, affaissé sur son lit.

      Il s’écriait, les larmes aux yeux:

      –Mon corps sera dévoré par les animaux sauvages dans les sables, et mon âme ne fera point partie des âmes bienheureuses qui, tour à tour, rament sur la barque de Ra, au lever de l’aurore!

      Il disait encore:

      –Adieu, Taéï! Tu seras bientôt la femme de ce riche porte-ombrelle du roi, qui te poursuit de ses vœux en même temps que moi, et comme je ne puis plus à présent apaiser la soif d’or de tes parents, ils te vendront sans doute à ce vaniteux porte-ombrelle qui a déjà fait orgueilleusement graver sur le premier registre de sa future stèle funéraire «qu’il a été honoré de la faveur royale dès sa sortie du sein de sa mère!»

      Ainsi s’exclamait le malheureux jeune homme, et il ajoutait mille autres paroles touchantes sur l’ignominie de sa sépulture et sur le renversement affreux de ses espérances d’amour.

      Mais il songeait aussi qu’il lui serait bien difficile, à lui chétif, de traîner devant la Justice un prêtre de Thot, un homme vénérable, puissant, protégé par cent lois redoutables, et que, d’ailleurs, le seul témoin qu’il pût invoquer, en cette affaire, était un singe intelligent, mais privé de la parole.

      Après avoir bien pesé le pour et le contre, il prit la résolution de chercher à punir le pieux malfaiteur d’une façon adroite, impunément, secrètement, mais en renonçant à lui faire restituer la somme volée, hélas!

      Il s’y prit de la façon suivante pour arriver à ses agréables fins.

      Le soir même, sans perdre le temps en lamentations vaines, il construisit dans une des chambres de sa maison une vaste cage ou plutôt un grand et solide trébuchet. Au lieu de grains, comme l’oiseau qu’il voulait y prendre était un singe, et un singe filou, il mit en guise d’appât les quelques petits lingots d’or oubliés dans le coffret par l’ami et pourvoyeur du détestable prêtre de Thot, protecteur des lettres et des arts.

      Puis, son ouvrage achevé, il retourna à ses sculptures comme si le cours de sa vie avait continué d’être le même pour lui. Il

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