Скачать книгу

le quatrième jour, qu’il écrivait sur le granit de son pylone ces litanies du soleil levant, du resplendissant Ra, debout au seuil de sa cabine sur la barque mystique:

      «Fort est Ra; faible, l’impie!

      «Haut est Ra; foulé, l’impie!

      «Vivant est Ra; mort l’impie!

      «Rassasié est Ra; affamé, l’impie!

      «Lumineux est Ra; terne, l’impie!

      «Bon est Ra; mauvais, l’impie!

      «Puissant est Ra; nul, l’impie!

      «Ra existe; Apap est anéanti!

      Pahétar souhaitait naturellement à l’infâme prêtre de Thot toutes les disgrâces qui atteignent l’Impie, et il demandait ardemment à tous les dieux (Thot excepté, car le protecteur des Arts et des Lettres s’était bien mal acquitté de sa tâche en cette occasion), d’anéantir son ennemi comme le fut Apap, le ténébreux Apap.

      Le cinquième jour, une joie délicieuse coula, –tel un filet d’eau glacée dans le gosier d’un voyageur qui marche au soleil,–dans le cœur de Pahétar.

      Le cynocéphale, plein de confiance, les bajoues flottantes au vent, l’air plus avisé que jamais, pénétra de nouveau dans la maison du sculpteur d’hiéroglyphes.

      Il n’en ressortit pas.

      Du haut de son pylone, Pahétar constata ce fait charmant, et il s’écria:

      –Haut est Ra; foulé l’impie!

      Sans attendre davantage, il quitta son atelier volant, et retourna chez lui.

      Le singe s’était pris au trébuchet, et derrière les forts barreaux de sa prison, il grommelait avec une fureur concentrée en découvrant ses gencives roses, hérissées de crocs formidables.

      Pahétar se coucha tranquillement, après avoir soupé de grand appétit en présence du voleur, auquel il n’offrit même pas une tasse d’eau.

      Le lendemain matin, l’animal implora de son geôlier, en tendant la patte d’un air attristé, un morceau de n’importe quoi arrosé d’une goutte d’un liquide quelconque.

      Pahétar, inflexible, mit devant la cage, mais à une distance que le bras du cynocéphale ne pouvait franchir, une gargoulette ruisselante et une galette de mil noir. Le singe fit de suprêmes efforts pour les atteindre.

      Puis il passa dans une autre chambre et endossa un vêtement complet de prêtre de Thot, –robe de lin, sandales de papyrus, poitrinal à sept rangs de grains de pâte verte et jaune– qu’il avait confectionnés après avoir construit la cage.

      A l’aide d’une vessie de porc dont il couvrit ses beaux cheveux, il se fit la tête rasée d’un serviteur des dieux. En outre, en quelques coups de pastels, il donna à ses traits l’air bénin, mystérieux et fatigué d’un pastophore.

      Ainsi déguisé, il reparut devant le singe, tout à coup. Celui-ci grogna de satisfaction. Evidemment, il croyait reconnaître son maître. Ayant grogné, il tendit la main d’une façon très significative vers l’eau et le pain mis hors de sa portée.

      Mais alors, gravement, le pseudo-prêtre de Thot, prit les objets ardemment convoités par le cynocéphale mourant de faim et de soif, les lui montra de loin, et les emporta impitoyablement dans la pièce voisine.

      Le singe poussa des cris horribles.

      Pahétar se débarrassa vivement de son costume, et retourna de nouveau vers son captif, auquel il accorda, en souriant, avec d’aimables paroles, un petit morceau de pain et un petit vase plein d’eau.

      Le cynocéphale eut comme des larmes de reconnaissance dans ses yeux injectés de sang, en recevant ces maigres dons de la main de l’artiste. Il but avidement.

      Le cœur de Pahétar souffrait. Il aimait les animaux. En outre, il était fort pieux. Il regrettait donc doublement d’être obligé de faire subir au cynocéphale sacré une épreuve aussi cruelle. Mais il avait à cœur de punir le prêtre de Thot, qui l’avait mis dans un embarras mortel. Aussi, pendant cinq jours, soir et matin, il renouvela la scène que nous avons esquissée.

      Sous ses traits ordinaires, il se montrait d’une bonté providentielle, quoique très parcimonieuse, envers le pauvre singe; mais en costume de pastophore de Thot, il semblait un échappé des lieux infernaux aux yeux effrayants du cynocéphale exaspéré.

      Aussitôt que le farouche animal apercevait le pan de la robe blanche et la tête rasée de celui qui lui arrachait sa nourriture et sa boisson, il entrait dans une rage inexprimable. Il s’élançait sur les barreaux de sa cage, les empoignait avec violence, les secouait avec furie, grinçant des dents, bavant une salive rougeâtre.

      S’il avait tenu son tortionnaire entre ses doigts noirs, il l’aurait étranglé, en un instant.

      Pahétar qui sculptait parfois gentiment en ronde bosse comme en bas-relief, confectionna une tête de prêtre rasé, au vilain teint jaune, qu’il plaça devant la cage du singe. Il arma en même temps celui-ci d’un bâton solide sur lequel il grava en relief fort saillant, une série de caractères sacrés, ignorés du vulgaire, et signifiant:–Voleur,–Infâme,–Débauché,– Maudit,–Misérable.

      Le singe prit un plaisir féroce, avec son arme, à assommer autant que le lui permettait la distance à laquelle Pahétar l’avait solidement établie, la tête qui lui rappelait vaguement son bourreau quotidien.

      C’était même sa seule consolation entre les maigres repas qu’il devait à la générosité de l’artiste.

      Quand Pahétar jugea l’éducation affreuse de l’animal suffisamment complète, il redoubla,– sous son déguisement sacerdotal,–de mauvais traitements envers son prisonnier.

      Puis, un matin, et c’était le jour de la grande Panégyrie du Mur-Blanc, fête solennelle des offrandes aux temples et des distributions royales au peuple, il ouvrit,–sous les traits du bon artiste,–la cage du prisonnier et lui confia le terrible gourdin sculpté par ses mains habiles.

      Le cynocéphale, sans dire merci, sans jeter un regard en arrière, s’élança comme un fou hors de son cachot, franchit d’un bond la porte de la maison, et disparut en quelques secondes aux yeux de Pahétar qui, pensif, murmura:

      –Et maintenant, il s’agit d’attendrir le vieil Akki, le prêteur sur momie du quartier Ankhataouï; j’irai demain lui demander un délai.

      Cette décision arrêtée, Pahétar mit ses habits de fête et se rendit pieusement dans les Temples, en bon Égyptien qu’il était.

      Seulement, il fit ses dévotions ce jour-là dans les Temples du quartier Ankhataouï où, d’ailleurs, le bruit des chants sacrés, le son des trompettes et des sistres des innombrables servants, des innombrables dieux locaux et de leurs hôtes, non moins innombrables, retentissaient, assourdissants, comme dans le quartier du Mur-Blanc.

      Le lendemain, avant d’aller chez le vieil Akki, dont c’était le jour de réception d’intérêts et d’audiences pour affaires, Pahétar s’aventura du côté de la chapelle de Thot de son quartier.

      Il fut frappé de l’aspect désolé des figures qu’il rencontra dans les rues. On eût dit ce coin de la ville en deuil. Un profond silence y régnait. Les passants avaient l’air de marcher sur la pointe des sandales, comme des parents autour du lit d’un malade.

      Pahétar pensa avec chagrin, en présence de ces preuves d’une affliction générale, qu’elle était peut-être causée par la mort de quelques-uns des’ chats du quartier, frappés par une épidémie soudaine.

      En effet, la mort de ces animaux chers à tous était, dans toutes les villes de l’Égypte, un motif suffisant de douleur publique.

      La

Скачать книгу