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LE PRÊTEUR SUR MOMIES

       Table des matières

      HISTOIRE RACONTÉE PAR M.D.

      Cette histoire,–je suis véritablement tout honteux d’avoir à vous l’avouer, Mesdames,– se passe, ou plutôt s’est passée dans la Basse-Égypte, il y a quelques années,–trois mille environ.

      J’avais pourtant résolu, pour suivre la mode régnante, et docile aux conseils éclairés d’une critique bienveillante que la poésie et l’ethnographie «embêtent» au suprême degré, de ne plus aller chercher mes sujets au Japon, ni dans aucun des autres pays qui ont l’impertinence d’être situés au delà des fortifications de Paris; J’aurais peut-être poussé jusqu’à Puteaux néanmoins. Concession innocente, en vérité! Dans cette intention, j’avais même écrit les cinq premières lignes d’un interminable roman sur les angoisses réellement trop peu observées jusqu’à présent de la vie d’un manicure pour dames; pauvre garçon qui porte sur son cœur un sachet de rognures d’ongles adorés, et j’avais déjà trouvé pour cette aimable étude psychologique un titre éminemment moderne et naturaliste: Monsieur Un Tel (de Puteaux), sa dame et leur demoiselle. Mais à la sixième ligne, j’ai bien senti que j’étais extraordinairement incapable d’être jamais autre chose qu’un vil écrivain tout à fait dépourvu d’un impitoyable scalpel, et je suis vite revenu, tout hérissé d’horreur, à mes chers petits moutons fantaisistes, nourris d’une herbe infiniment plus réelle qu’on ne croit, entre parenthèses, et décidé à continuer de cueillir çà et là des fleurs plus ou moins exotiques en évitant de décrire avec une exactitude sans bornes les brins et l’odeur du fumier où elles peuvent pousser.

      Donc, la courte histoire suivante se passe, comme j’ai eu l’honneur de vous en avertir, dans l’Heptanomide, à Mannower «la Bonne-Place», que nous appelons aujourd’hui tout uniment: Memphis.

      Bien que nourri des meilleurs auteurs, je vous épargne la description de cette antique cité consacrée à défunt dieu Ptah, et qui se nommait aussi, par suite, «–la Demeure de Ptah»–Hà-ka Ptah, d’où les Grecs ont tiré Égypte.

      C’était une ville énorme. Au treizième siècle de l’ère des chrétiens, il fallait encore une demi-journée de marche pour traverser son emplacement marqué par ses ruines.

      Mais assez d’une érudition facile, uniquement puisée aux excellentes sources que chacun peut consulter. Je renvoie les curieux aux traités spéciaux, ornés de planches, qui ont été écrits sur la matière. Ils sont égayés de cartes agréablement coloriées, où l’on voyage sans fatigue.

      Il s’agit ici d’un jeune homme orné d’une paire d’yeux brillants, d’une longueur et d’une noirceur tout à fait osiriennes, et dont la calasiris, qui était le vêtement national d’alors, ne faisait aucun pli sur son torse puissant. Le flâneur le plus distrait a pu remarquer, en effet, sur les peintures et les bas-reliefs collectionnés au Louvre, combien la race égyptienne, race aux jambes un peu grêles, avait les épaules amples et les pectoraux prononcés.

      Ce beau jeune homme, qui serait bien autrement intéressant, sans doute, s’il s’appelait Bertrand, et s’il demeurait rue du Four-Saint-Germain, au cinquième, habitait, à Memphis, le quartier sacerdotal du Mur-Blanc, et il se nommait Pahétar, je suis forcé de le dire.

      Ce Pahétar était amoureux, devait beaucoup, et n’avait pas, ou plutôt n’avait plus, de quoi s’offrir même une coupe de hacq, cette boisson rafraîchissante, faite avec de l’orge, qu’on pourrait qualifier de petite bière, si elle eût été parfumée avec du houblon. Pahétar buvait de l’eau du Nil.

      Comme la plupart des hommes, et même des dieux, ce Pahétar avait eu un père. Celui-ci, dûment embaumé et aromatisé, était depuis longtemps emprisonné, pour des séries de siècles, dans une gaîne de carton peinte et dorée, à l’époque où son fils menait une vie si peu agréable.

      Il reposait, debout, le long du mur, suivant l’usage, dans la chambre sépulcrale que la famille avait fait bâtir dans l’immense nécropole située à une lieue (ouest) de Memphis, et les inscriptions dont son sarcophage était comme tatoué, rappelaient, entre autres choses, que «Autef, noble chef, avait été chargé, en son vivant, de l’approvisionnement de la table des grands dignitaires, de l’alimentation aux jours des panégyries, et de la distribution des étoffes.»

      Pahétar, fils de Autef, avait galamment dévoré jusqu’au dernier petit lingot d’or de son héritage, en compagnie de joueuses de harpes aux hanches étroites, beautés aussi âpres sur le chapitre des transactions du commerce d’amour que le sont, avec d’autres hanches et sous un autre costume, les joueuses de chien-vert et de lansquenet de nos jours de progrès.

      Abandonné des amis qu’il avait comblés de repas délicieux, avec cadeaux au dessert, pendant ses jours d’opulence, fui par les dames de plaisir, il était réduit pour vivre, et pour deux autres motifs que nous révèlerons bientôt, à utiliser les talents qu’il avait acquis en fréquentant l’atelier des meilleurs artistes de la ville.

      S’étant fait graveur, scribe lapidaire, sigilliste, il passait des semaines et des mois à une hauteur considérable, le long d’un mur de temple ou de palais, suspendu à une corde de palmier, comme un badigeonneur moderne, occupé tout le jour à graver des inscriptions louangeuses à la mémoire d’un Pharaon quelconque, et appartenant à une dynastie dont je passerai prudemment sous silence le numéro d’ordre.

      On lui doit, par exemple, des «bulletins de victoire» de ce genre:

      –«J’en tuai un sur deux. Je construisis un mur devant les grandes portes de la ville; je fis écorcher les chefs de la révolte et je couvris ce mur avec leurs peaux. Quelques-uns furent murés vifs dans la maçonnerie. Je fis assembler les têtes en forme de couronnes et les cadavres transpercés en forme de guirlandes.»

      Chaque fois que revenait sous son ciseau le nom du Pharaon qui s’était si abominablement conduit à la guerre, le pauvre Pahétar était bien obligé de lui ajouter les trois initiales dues à la majesté royale: V.S.F. (vie, santé, force), mais il le faisait en soupirant; car il était bon, quoique patriote, et il n’aimait pas cette façon de traiter des ennemis vaincus.

      Un nom qu’il aurait volontiers fait suivre des initiales V.S.F., c’était celui de Taéï, ravissante jeune créature qui pensait gracieusement à lui, et souvent, dans le quartier du Mur-Blanc, et qu’il adorait; mais Taéï, gardée par des parents avares comme un joyau précieux qu’elle était, ne devait appartenir à Pahétar qu’en échange d’une somme considérable versée ès mains du père et de la mère de Taéï.

      Taéï était l’un des deux motifs, le second, quoique cela puisse paraître étrange, pour lesquels Pahétar restait pendu comme une araignée au bout de son fil contre les murs des temples ou des palais, buvant de l’eau claire et ne mangeant que les graines grillées de ce fruit aquatique en forme de pomme d’arrosoir, si fréquemment peint ou sculpté par les Égyptiens, qui est le fruit du nymphœa nelumbo, le lotus à fleur rose.

      Ce qu’il épargnait sur sa nourriture, il le gardait pour grossir un mystérieux pécule.

      Pahétar inscrivait donc, soit dans le basalte, soit dans le granit, soit dans le gypse, au grand dommage de ses mains effilées, les louanges des vainqueurs les plus impitoyables ou des dieux les plus incompréhensibles.

      Mais comme c’était un fantaisiste,–ce qui explique suffisamment la tendresse impardonnable que j’éprouve pour lui–et comme il ne gravait pas pour son plaisir les paragraphes de l’effroyable moniteur officiel des Pharaons, il s’amusait–pour se distraire–à inciser la pierre, en des endroits où le chef des travaux ne pouvait guère s’aventurer, de façon que les hiéroglyphes pussent être lus par des ignorants ou par

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