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qui l’amenait dans cette maison maudite, il se mit à errer çà et là, en proie à une fièvre gesticulante qui devint bientôt l’objet’ des commentaires des troupes d’enfants aux yeux brillants qui jouaient avec des noyaux d’olive dans la poussière de la rue.

      S’apercevant de la chose, et ne voulant pas donner plus longtemps à l’extrême jeunesse de Memphis le spectacle d’un homme mordu par les mille dents de l’inquiétude, il se rapprocha de la maison d’Akki, décidé à y pénétrer sans attendre la sortie de la visiteuse qui l’y avait précédé.

      A l’instant où il frappait de son index recourbé les ais de la porte, des exclamations de colère où se mêlaient des cris d’effroi et d’indignation, sortis d’une bouche de femme, éclatèrent dans l’intérieur de la maison.

      Le son de la voix féminine alla droit au cœur de Pahétar, il crut reconnaître la voix de Taéï, et, d’un coup d’épaule, sans réfléchir à la gravité de son action, il enfonça la porte du vieil Akki.

      Il ne s’était pas trompé.

      La femme qu’il vit, debout, frémissante de rage, le bras levé, en face du vieil Akki, c’était bien Taéï. Une lampe posée sur une table, au milieu de joyaux épars, éclairait la scène.

      Cette lumière lui permit de remarquer qu’un changement considérable s’était opéré dans la personne de l’usurier. Il n’avait plus sa magnifique chevelure rousse tressée en écailles de caïman. Cette chevelure,–une simple perruque, comme l’avait toujours vaguement soupçonné Pahétar,–gisait au pied de son maître, inerte. Akki se manifestait maintenant avec une tête absolument chauve ou rasée de près, laquelle était illustrée d’ecchymoses nombreuses.

      La croûte de quelques-unes de ces ecchymoses était tombée en même temps que la perruque, qui avait dû être arrachée violemment de son support naturel, et Pahétar, surpris à un point prodigieux, constata que les cicatrices roses laissées à nu par elles affectaient la forme des caractères du langage sacré. Il lut, entre autres, les mots:–Voleur et débauché.

      Il fit cette lecture étrange, tandis que Taéï, tremblante et prête à verser des larmes, se blotissait comme un jeune chat dans ses bras vigoureux.

      –Que venez-vous faire ici! cria le vieil Akki, sorti de la stupeur où l’avait plongé l’apparition de Pahétar suivant de trop près la chute de sa perruque.

      –Omon cœur, murmura Taéï à l’oreille de Pahétar, j’étais venue ici, comme ont déjà dû te le faire deviner les bijoux que tu me donnas jadis, et que tu vois étalés sur cette table, dans le but d’obtenir de ce monstre la somme qui t’est nécessaire pour être inhumé sans ignominie.

      –Et le monstre t’aura proposé un marché infâme, n’est-ce pas? demanda Pahétar.

      Taéï baissa la tête en rougissant.

      –Oui, je comprends tout maintenant, ô ma chère vie; aux paroles de ce misérable, tu as répondu par le mépris, alors il a osé porter la main sur toi, et c’est en luttant contre lui que ta main a arraché la chevelure d’emprunt sous laquelle il cache depuis si longtemps le crâne rasé et le front souillé d’un criminel pastophore.

      –Que veux-tu dire, Pahétar?

      –Je veux dire qu’à des signes certains je reconnais cet homme pour un prêtre voleur, usurier, prévaricateur et débauché, et que je puis le signaler aux juges, qui m’en remercieront, quand cela me fera plaisir! Cet homme est un prêtre de Thot du quartier du Mur-Blanc!

      Taéï, étonnée, regardait son amant avec des yeux plus grands encore que de coutume.

      Tandis que Pahétar parlait impétueusement de la sorte, le vieil Akki avait rajusté tant bien que mal sa perruque sur son crâne couturé. Aux derniers mots du jeune homme, sans réfléchir que cette seule action le dénonçait amplement, il tomba aux pieds des deux amoureux, joignant les poings, demandant grâce, offrant à celui qui tenait sa vie entre ses mains tout l’or dont il pourrait avoir besoin.

      Pahétar réfléchit longuement.

      Pendant qu’il réfléchissait, la jolie tête de Taéï reposait sur la solide épaule de son amant. Elle regardait d’un œil sévère le misérable Akki, ou plutôt Patkesch l’imposteur et le voleur, toujours prosterné devant eux.

      Ayant réfléchi, Pahétar reprit la parole. Il dit:

      –Patkesch, promets-moi d’abord de faire tous tes efforts pour sortir de la mauvaise voie, de réparer par des privations et des aumônes le scandale de ta vie secrète, et je consens à te livrer au seul tribunal de ta conscience.

      L’usurier sacerdotal le promit en invoquant les dieux les plus redoutés.

      –Ensuite, poursuivit Pahétar, après m’avoir rendu, acquittée, la cédule que j’ai signée et scellée, touchant le prêt sur la momie vénérée de mon illustre père Autef, le noble chef, tu remettras entre mes mains un papyrus que tu vas écrire sur l’heure, en le signant de ton nom d’Akki et de ton nom de Patkesch, par lequel tu déclareras reconnaître avoir détourné de la voie du bien un cynocéphale adorateur du soleil, et corrompu ses instincts au point d’en faire un voleur. Ce papyrus me répondra de la sincérité de ta conversion. Je ne l’exhiberai que situ retombes dans le mal.

      –J’écrirai cette déclaration, murmura l’usurier, et je te bénirai, jeune homme, jusqu’à la fin de mes jours.

      –Ensuite, continua le jeune homme, tu me prêteras sur l’heure, et pour cinq années, la somme dont j’ai besoin pour épouser Taéï, une myriade de sekels d’argent.

      –Accordé, seigneur, accordé avec joie, soupira l’usurier, et puisse ta vénérable épouse garder à mon sujet le silence que tu me promets de ton côté.

      –Elle le gardera. Relève-toi et écris.

      Le sinistre drôle, heureux d’en être quitte à si bon marché, et jurant très sincèrement qu’il renonçait pour toujours à ses existences criminelles, se mit à rédiger la quittance du prêt sur momie et la déclaration exigée.

      Le calame, mouillé de noir de fumée délayé dans une eau gommeuse, avec lequel il traçait, en caractères démotiques, les écrits réclamés par Pahétar, tremblait entre les doigts du vieillard. Il frissonnait en songeant à la mort cruelle à laquelle il venait d’échapper, grâce à la magnanimité des amants enlacés de l’autre côté de la table où il s’était assis.

      Ceux-ci, que la solution subite et inespérée des cruels problèmes qui torturaient leur esprit depuis si longtemps, remplissait d’une joie profonde, grave et attendrie, suivaient d’un regard humide la main pâle du vieux pastophore courant sur l’écorce blanche du roseau du Delta.

      Les écrits dressés, le prêtre de Thot les remit à Pahétar, auquel il donna ensuite un billet pour aller toucher la somme qu’il avait réclamée, chez un certain marchand étranger qu’il lui désigna dans l’Ankhataouï.

      En échange de ce dernier don, Pahétar força le vieillard à accepter de lui une reconnaissance de l’argent qui lui était avancé pour cinq ans.

      Ensuite, les deux amants sortirent de la maison de l’usurier, qui tomba de nouveau à genoux, cette fois derrière eux, et baisa le bas de leurs vêtements.

      Sans daigner se retourner, ils s’éloignèrent rapidement de l’antre puant du misérable pastophore de Thot, aspirant avec délices l’air rafraîchi de la nuit naissante.

      Et Pahétar, souriant à Taéï, songeait, plein de contrition, qu’il avait été bien coupable de soupçonner un instant, dans sa douleur, que le dieu Thot, à la tête d’ibis, pouvait cesser une seconde de protéger les Arts et les Lettres!

      On raconte que, plus tard, dans la maison des deux époux, maison fleurie et joyeuse,

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