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qui devait assurer l'existence de nos voyageurs.

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      —Alors, murmura Gontran en faisant la grimace, c'est cela qu'il nous faut absorber?

      —Il le prétend, du moins...

      —Mais si nous allions nous empoisonner.

      —Impossible... étant donné que tous les corps simples qui entrent là-dedans sont absolument inoffensifs.

      —En tout cas, rien que de voir cela, je sens l'appétit qui s'en va... pouah!... on dirait de la pâte de réglisse.

      Cependant, sans prêter attention aux répugnances de Gontran, Fricoulet avait débouché le récipient et ramené, au bout de son couteau, gros comme une noix de la composition qu'il avala, après l'avoir mastiqué longuement.

      M. de Flammermont fixait sur lui des regards tellement étranges qu'il ne put s'empêcher d'éclater de rire.

      —Eh bien? demanda Gontran.

      L'ingénieur fit claquer sa langue contre son palais.

      —Hum!... c'est un peu fade... voilà le seul reproche qu'on puisse lui adresser... tiens, goûte à ton tour...

      Et il tendit à son compagnon, qui l'avala avec force grimaces, une quantité de pâte égale à celle qu'il avait absorbée lui-même.

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      —Et tu crois, grommela Gontran, que cela suffira à nous empêcher de mourir de faim?

      —En théorie, cela doit suffire... en tout cas, il ne se passera pas longtemps avant que nous ne sachions à quoi nous en tenir.

      Pour la troisième fois, il prit au bout de son couteau un peu de la précieuse substance et, revenant vers Ossipoff, la lui introduisit dans la bouche, non sans avoir eu beaucoup de peine à lui desserrer les dents.

      Pendant ce temps, M. de Flammermont, silencieux et immobile à la même place, semblait étudier les effets produits sur son organisme par l'absorption de ce bizarre aliment.

      —C'est singulier, murmura-t-il enfin, le vide de ma tête paraît se remplir, mes idées semblent plus nettes, les tiraillements de mon estomac disparaissent... c'est fort singulier.

      Puis s'adressant à Fricoulet:

      —Est-ce que tu ressens la même chose?

      —Moi! je me trouve en ce moment dans le même état que si je sortais de table après un repas plantureux.

      —En effet!... mais ce va être bien monotone que de se nourrir de réglisse, fit Gontran d'un ton piteux.

      —Allons donc! exclama l'ingénieur; es-tu donc de ceux qui vivent pour manger!... moi, je mange pour vivre...

      Peu à peu, Ossipoff avait ouvert les yeux et insensiblement ses joues pâles s'étaient colorées.

      Il parut tout d'abord très surpris de se trouver ainsi couché.

      —Ai-je donc dormi? balbutia-t-il.

      —Non, mon cher monsieur Ossipoff, répliqua plaisamment Fricoulet, vous êtes mort de faim...

      Le vieillard passa la main sur son front.

      —Ah! oui, fit-il, je me rappelle...

      Puis, brusquement, sautant à bas de sa couchette, il serra l'un après l'autre les deux jeunes gens dans ses bras en s'écriant:

      —Sauvés! nous sommes sauvés!

      —Hum! grommela Gontran, pourvu que nous ne soyons pas le jouet d'une illusion!... je serais bien plus rassuré si j'avais absorbé une ou deux côtelettes... rien qu'au point de vue de l'œil...

      Ossipoff haussa les épaules.

      —Maintenant que nous avons notre existence assurée, fit-il, si nous examinions les moyens à employer pour nous lancer à la poursuite de Sharp.

      —Je propose, dit aussitôt M. de Flammermont, de nous rendre dans les montagnes de l'Éternelle lumière.

      —Pourquoi faire? grand Dieu! exclama l'ingénieur.

      —Y chercher l'obus de ce gredin et le badigeonner, comme nous avions fait du notre, de minerai radiothermique, afin de nous élancer, sans perdre de temps, à la poursuite du misérable.

      Fricoulet secoua la tête:

      —Mon pauvre ami, dit-il, avant de nous préoccuper du moyen que nous emploierons pour mettre la main sur ce monsieur, il serait plus logique d'examiner d'abord vers quel point il s'est enfui car, suivant la direction qu'il aura prise, nous pourrons...

      Ossipoff ne lui laissa pas achever sa phrase:

      —Eh! s'écria-t-il, Sharp n'a pu prendre qu'une route, celle que nous devions prendre nous-mêmes. Il file directement sur le soleil et dans une quinzaine de jours environ, il atteindra Vénus!

      L'ingénieur allongea ses lèvres dans une moue expressive:

      —Ce que vous dites là, mon cher monsieur, répliqua-t-il, pourrait paraître vraisemblable en toute autre circonstance; mais il faut tenir compte du peu de désir que doit avoir Sharp d'être rencontré par nous; or, il suppose assurément que vous, le père de Séléna, Gontran, son fiancé, et moi votre ami à tous deux, nous emploierons tous les moyens imaginables de lui arracher sa victime.

      Un gémissement profond, sorti de la poitrine de Flammermont, souligna les paroles de Fricoulet.

      Celui-ci étendit la main:

      —Laisse moi continuer, dit-il.

      Mais avant qu'il eût repris son raisonnement, le jeune comte s'écria:

      —Parbleu! tu as raison... tout ce que nous avons déjà fait doit lui donner une idée de ce que nous pouvons faire; quant à moi, si j'étais à sa place je filerais, sans m'arrêter, dans l'espace; je brûlerais Vénus.

      —Pour aller vous brûler dans le soleil, n'est-ce pas? dit à son tour Ossipoff.

      Le vieillard considéra d'un air apitoyé M. de Flammermont, et se penchant vers l'ingénieur, lui murmura à l'oreille:

      —Hein! Faut-il que son affection pour ma pauvre Séléna sort assez profonde pour lui faire perdre ainsi les plus élémentaires notions d'astronomie, car il est évident qu'en n'abordant pas sur Vénus...

      —Il faut pourtant prendre un parti, s'écria violemment M. de Flammermont.

      Et frappant du pied avec rage:

      —Oh! poursuivit-il, la science n'est donc qu'un vain mot!

      Et, en proie à un désespoir réel, il se prit la tête à deux mains et demeura silencieux, angoissé.

      En ce moment, l'écho apporta jusqu'à eux, assourdi d'abord, ensuite plus net, le bruit d'un pas lourd qui s'approchait de leur salle.

      —On vient vers nous, murmura Ossipoff, sans doute est-ce Telingâ!

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      Comme il achevait ces mots, une ombre gigantesque s'allongea sur le sol du souterrain; cette ombre était, effectivement, celle de leur guide.

      —Salut à vous, amis, dit-il de sa voix brève et métallique.

      —Salut, répliqua Ossipoff, comment se fait-il que nous te voyons debout, alors que tous tes compatriotes sont plongés dans le sommeil?

      —Je reviens de Wandoung et vous apporte des nouvelles.

      —Des nouvelles? répétèrent-ils tous trois, des nouvelles

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