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Aventures extraordinaires d'un savant russe: Le Soleil et les petites planètes. H. de Graffigny
Читать онлайн.Название Aventures extraordinaires d'un savant russe: Le Soleil et les petites planètes
Год выпуска 0
isbn 4064066084165
Автор произведения H. de Graffigny
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
—Et Farenheit! exclama-t-il.
Tout préoccupé de l'état d'Ossipoff et de la douleur de Gontran, Fricoulet avait totalement oublié l'Américain, dont le souvenir lui était, à l'instant, revenu brusquement.
—Je ne puis pourtant pas abandonner ainsi ce malheureux, dit-il.
Et, en dépit des observations de Telingâ, il revint à grandes enjambées vers l'endroit où était tombé sir Jonathan.
Atteint en pleine poitrine par les éclats meurtriers de la cartouche de Sharp, l'Américain gisait sur le sol, les membres raides, la face rigide et convulsée par la rage, les yeux vitreux et le poing encore crispé sur la crosse de son revolver, dans l'attitude où la mort l'avait saisi.
—Mais il vit! s'écria Fricoulet, trompé par cette apparence de mouvement.
Telingâ secoua la tête.
—Le froid s'est déjà emparé de lui, murmura-t-il; l'âme s'est envolée vers les sphères supérieures, et ce n'est plus que sa dépouille mortelle que nous avons sous les yeux.
—Je veux au moins lui donner une sépulture, insista l'ingénieur.
—Le sol est déjà congelé, répliqua le Sélénite, et vous vous épuiseriez en vain à le vouloir creuser... au surplus, ce serait une précaution inutile... le froid va dessécher ce corps, le momifier, et lorsque le soleil luira à nouveau, vous en pourrez faire ce que bon vous semblera.
Fricoulet jeta sur le cadavre de son compagnon un regard attristé et, suivi de Telingâ qui précipitait sa marche, il se mit à fuir devant l'ombre profonde qui, tombant des sommets, envahissait derrière lui le cirque lunaire, enveloppant d'un silence de mort ces roches titanesques, au pied desquelles, saisi par le froid épouvantable des espaces, le cadavre de Farenheit se congelait en grimaçant.
Arrivé dans la salle qui déjà, pendant quinze fois vingt-quatre heures, leur avait servi d'habitation, et où force leur était d'attendre le retour du soleil, Fricoulet étendit le vieillard sur la couche de Fédor Sharp.
Puis il fouilla dans l'une des nombreuses poches dont ses vêtements étaient munis, et en tira un petit bougeoir qu'il alluma; à la lueur vacillante de ce lumignon, la salle prit aussitôt un aspect sinistre et funèbre; des ombres monstrueuses s'accrochaient aux saillies des parois, faisant paraître plus petits encore les trois Terriens, rassemblés dans une encoignure.
—Fichtre! grommela Fricoulet, il ne fait pas gai ici!
Il secoua brusquement les épaules pour chasser le voile de tristesse qui menaçait de l'envelopper ainsi qu'un linceul; puis, s'approchant de M. de Flammermont qui s'était laissé tomber sur une couchette et demeurait immobile, la tête penchée sur la poitrine, les yeux fixés sur le sol, engourdi dans une torpeur désespérée, il lui posa la main sur l'épaule.
Le jeune comte tressaillit, releva la tête et regarda son ami, avec, sur la physionomie, la stupeur première de l'homme que l'on arrache brusquement au sommeil.
—Voyons! Gontran, dit l'ingénieur, voyons!... sois homme! que diable!... en vérité, j'ai honte de te voir abattu ainsi.
M. de Flammermont haussa les épaules dans un geste accablé et murmura ce seul mot d'une voix navrée:
—Séléna!
Pour le coup, Fricoulet s'impatienta et, frappant du pied:
—Eh! s'écria-t-il, quand tu demeureras là, immobile, inerte comme un cratère, à te désoler et à appeler Séléna!... crois-tu, par hasard, que c'est là ce qui te la rendra?
—Me la rendre! murmura Gontran; hélas!... elle est perdue!... perdue à jamais...
Et, après un moment, il poursuivit avec amertume:
—Ah! pourquoi ce gredin ne m'a-t-il pas tué comme Farenheit? au moins, c'en serait fini de la souffrance.
Fricoulet leva les bras au ciel.
—Voilà! exclama-t-il, du parfait égoïsme ou je ne m'y connais pas!... eh bien! et nous! est-ce que nous ne comptons pas un peu aussi dans ton affection!... moi, particulièrement, est-ce que je n'ai pas un peu droit à ce que tu ne fasses pas si bon marché de ton existence?
Il se tut et reprit:
—Car, ce bonheur dont la perte te désespère, est-ce que jamais tu aurais pu même le toucher du bout du doigt, si je ne t'avais fait la courte échelle pour te permettre d'y atteindre?...
—Où veux-tu en venir? demanda M. de Flammermont.
—À ceci, tout simplement: c'est qu'il pouvait arriver, pour ton amour et tes intentions matrimoniales, quelque chose de plus fâcheux que l'enlèvement de Mlle Séléna.
Le jeune comte fixait sur son ami des yeux que l'ahurissement agrandissait.
—Je comprends de moins en moins, balbutia-t-il.
—Il faut que la douleur t'obscurcisse les idées. Comment! ce que je te dis ne te paraît pas lucide, lumineux? Admets cependant qu'au lieu d'enlever ta fiancée, ce coquin de Sharp soit parti tout seul.
À cette supposition, Gontran poussa un soupir navrant.
—Hélas! dit-il.
—Seulement, poursuivit l'ingénieur, admets aussi qu'au lieu de tuer, avant son départ, ce pauvre sir Farenheit, ce soit moi que Sharp ait abattu.
Il se tut, puis se croisant les bras:
—Crois-tu que Séléna n'aurait pas été, alors, bien plus perdue pour toi qu'elle ne l'est actuellement? ah! mon pauvre ami! c'est pour le coup que le brave M. Ossipoff se fût aperçu de la nullité scientifique de son futur gendre.
—Eh! riposta M. de Flammermont, que m'importe maintenant l'opinion de M. Ossipoff? je n'avais consenti à jouer cette comédie que par amour pour sa fille... mon bonheur est perdu à jamais...
L'ingénieur l'interrompit d'un geste bref.
—Perdu, dit-il, et pourquoi cela?
Gontran, comme mû par un ressort, se redressa.
—Que signifie? balbutia-t-il d'une voix tremblante.
—Que je considère ton bonheur comme compromis, mais non perdu.
Le comte lui saisit les mains.
—Parle, fit-il avec angoisse, aurais-tu quelque espoir... quelque projet?...
—De l'espoir! non; mais, en tout cas, je n'ai aucune désespérance: je suis furieux, j'enrage, j'étranglerais Sharp avec une jouissance infinie; mais, en ce qui concerne Mlle Ossipoff, si j'étais à ta place, je ne me désolerais qu'après avoir retrouvé son cadavre.
—Le retrouver, murmura Gontran, penses-tu que cela soit possible?
—Eh! riposta l'ingénieur avec un haussement d'épaules plein de fatuité, peut-il y avoir quelque chose d'impossible à des hommes comme nous?
Et, tout heureux de voir Gontran sorti de la torpeur première dans laquelle l'avait plongé la disparition de sa fiancée, il s'écria:
—Allons! sursum corda[1]!... Que ce malheur, loin de nous abattre, nous mette, au contraire, le diable au corps pour nous faire sortir triomphants de la lutte gigantesque que nous avons entamée contre l'Infini.
Un gémissement retentit derrière l'ingénieur et la voix douloureuse d'Ossipoff se fit entendre:
—Hélas! il ne s'agit pas, pour nous, de lutter contre l'Infini,