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jeune ingénieur ne put retenir un mouvement de surprise.

      —Comment, fit-il, vous aussi, vous vous laissez abattre?

      Puis tout à coup se redressant, il s'écria d'une voix vibrante, enthousiasmé par la difficulté même des obstacles qu'il s'agissait de vaincre:

      —Eh bien! puisque vous son père, vous son fiancé, vous l'abandonnez, c'est moi qui irai au secours de Mlle Séléna.

      Gontran saisit la main de son ami et la serra énergiquement.

      —Dispose de moi, Fricoulet, prononça-t-il d'une voix ferme; ce que tu me diras de faire, je le ferai; partout où tu iras, j'irai, car en vérité, j'ai honte de mon abattement et de ma désespérance!

      —Mais, insensés que vous êtes, exclama le vieillard, ne songez-vous donc pas qu'en s'emparant de notre obus, ce misérable nous a ravi, non pas seulement le moyen de quitter le sol lunaire, mais encore le moyen d'y pouvoir subsister?

      Gontran devint tout pâle.

      —Que voulez-vous dire? balbutia-t-il.

      —Que nous n'avons plus qu'à mourir de faim; il ne nous reste plus ni vivres, ni eau, ni air...

      —Allons donc! riposta M. de Flammermont, les Sélénites trouvent bien moyen de vivre.

      —Parce que les aliments dont ils font usage contiennent les principes nutritifs nécessaires à leur organisme.

      —Mais qui vous prouve que notre estomac ne s'accommoderait pas, lui aussi...?

      Le vieillard lui coupa la parole, d'un geste désespéré.

      —Eh! dit-il, croyez-vous que j'aie attendu jusqu'à aujourd'hui pour m'en assurer?... L'analyse chimique m'a démontré que nous ne saurions nous plier à l'alimentation lunarienne.

      Ces paroles furent accueillies par un gémissement et un cri de rage, le premier poussé par Gontran, le second échappé des lèvres de Fricoulet.

      Les trois hommes se regardèrent pendant quelques instants, silencieux et atterrés.

      La situation était en effet terrible: lutter contre l'impossible était encore à la hauteur de leur audace, mais lutter contre la faim...

      Ce fut l'ingénieur qui reprit le premier la parole.

      —Mourir de faim! exclama-t-il, avoir fait plus de quatre-vingt-dix mille lieues pour venir mourir de faim sur la lune! En vérité, ce serait stupide, et si les bons astronomes terriens apprenaient jamais cela, ils en éclateraient de rire devant leurs télescopes.

      Et il se mit à arpenter furieusement la salle de long en large.

      —Stupide tant que tu voudras, riposta M. de Flammermont, la réalité n'en est pas moins là qui nous montre un garde-manger absolument vide.

      —Il nous reste, il est vrai, la ressource de danser devant, reprit l'ingénieur; mais encore qu'hygiénique, je ne sache pas que la danse ait été jamais considérée comme un exercice réconfortant.

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      Puis, après un moment:

      —Voyons, nous sommes ici trois auxquels, cela est indéniable, aucun des secrets de la science moderne n'est inconnu, et nous ne trouverions pas le moyen de nous sustenter dans le monde que nous avons atteint!... cela est absolument invraisemblable.

      Gontran hocha la tête.

      —Tu en parles à ton aise, fit-il; inventer un système de locomotion qui vous fasse franchir des millions de lieues à cheval sur un rayon lumineux ou dans un courant électrique! parcourir l'immensité planétaire! visiter le soleil et les étoiles! ce n'est rien... mais inventer un gigot ou un beefsteak sans avoir sous la main la matière première, c'est à dire un mouton ou un bœuf! cela, je le déclare au-dessus de mes forces.

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      Fricoulet claqua ses doigts avec impatience.

      —Ma parole! exclama-t-il, tu me ferais croire que tu es aussi bourgeois que tous les bourgeois qui s'empressent aux tables des bouillons Duval ou des restaurants à trente-deux sous du Palais-Royal. Comment, tu en es encore à croire que le gigot et la côtelette sont indispensables à l'existence de l'homme?

      Il agita désespérément ses bras dans l'espace et s'écria:

      —Que diront les gens du xxe siècle, quand ils liront qu'à l'époque éclairée que nous prétendons être, on croyait encore à des machines semblables.

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      Ce disant, il s'était tourné vers Ossipoff comme pour lui demander son approbation.

      Mais le vieillard n'avait pas entendu un seul mot de ce qui venait de se dire entre les deux amis.

      Accroupi sur sa couchette, il paraissait fort occupé à noircir une page blanche de son carnet, avec force chiffres et dessins.

      Enfin il releva la tête et s'écria:

      —Sharp n'atteindra pas Vénus avant vingt-cinq jours... c'est dans un mois seulement que la planète arrivera en conjonction avec le Soleil et à sa plus grande proximité de la Terre, dont elle ne sera plus séparée que par douze millions de lieues à peine.

      —Une futilité, murmura amèrement le jeune comte, ce n'est vraiment pas la peine d'en parler.

      —Avez-vous tenu compte, dans vos calculs, demanda Fricoulet, du poids moins considérable que transporte l'obus?

      —Parfaitement, et j'ai trouvé que la durée du voyage se trouve diminuée de quatre jours, dix-huit heures, quatorze minutes, trente secondes, par suite de la suppression des deux cent quatre-vingt-cinq kilos que nous représentons tous les quatre.

      —Cependant le poids de Sharp doit être défalqué de cet allégement.

      Ossipoff inclina la tête.

      —J'y ai pensé: Sharp pesant quatre-vingts kilos, ces quatre-vingts kilos retranchés de deux cent quatre-vingt-cinq donnent, pour l'allégement de l'obus, un poids de deux cent cinq kilos, lesquels représentent, effectivement, une augmentation de vitesse qui se traduit par quatre jours...

      —Dix-huit heures, quatorze minutes, trente secondes de moindre durée dans le voyage, ajouta Gontran.

      —C'est bien cela.

      —Et à quoi tendent ces calculs? demanda railleusement le jeune comte.

      —À ceci tout simplement, répondit Fricoulet qui coupa sans façon la parole au vieillard: qu'il nous faut trouver un moyen de locomotion assez rapide, pour que dans vingt-cinq jours nous arrivions, nous aussi, sur Vénus, afin de happer ce coquin de Sharp et de délivrer Mlle Séléna.

      Ossipoff tendit silencieusement la main au jeune ingénieur et la serra avec énergie.

      Gontran demanda:

      —En vérité, mon pauvre ami, ne te berces-tu pas là de vaines espérances?

      —Eh! exclama Fricoulet; je te répète qu'à nous trois, nous arriverons à vaincre les difficultés les plus insurmontables... du reste, moi j'ai pris comme devise, cette parole vieille comme le monde, mais qui a toujours réussi à ceux qui ont eu foi en elle: «Aide-toi, le ciel t'aidera.»

      Puis, frappant sur l'épaule de son ami:

      —Quant à toi, cette défiance de toi-même provient d'un excès de modestie... l'amour de la science t'a déjà fait accomplir des miracles... tu ne me feras pas croire que Mlle Séléna ne soit pas capable de te faire faire des choses plus surprenantes encore...

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