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le moins du monde, mais il faut auparavant la distiller pour la débarrasser de son surplus d'oxygène.

      Seul, Ossipoff ne disait rien; les lèvres pincées, les yeux à demi-voilés sous les paupières abaissées, le menton dans la main, il paraissait plongé en une méditation profonde.

      —À quoi pensez-vous donc, monsieur Ossipoff? demanda Gontran.

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      —Je songe que nous avons de l'oxygène, de l'hydrogène et de l'azote... et qu'il ne nous reste plus à trouver que du carbone.

      —Du carbone! exclama le jeune comte! Qu'en feriez-vous donc, si vous en aviez?

      —Je le mettrais en présence, et dans certaines proportions, des corps que nous possédons déjà... et de cette combinaison naîtrait la substance destinée à nous servir de nourriture.

      Gontran, en entendant ces mots, eut un haut-le-corps prodigieux.

      —Ah! par exemple! murmura-t-il, si je m'attendais à celle-là!...

      Fricoulet lui poussa le coude, et se penchant vers lui:

      —Un vrai savant, chuchota-t-il, doit s'attendre à tout.

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      M. de Flammermont comprit cet avertissement et se promit de dissimuler, à l'avenir, des étonnements capables de donner à Ossipoff des soupçons sur la capacité scientifique de son futur gendre.

      Le vieillard cependant demeurait silencieux, les regards fixés sur ses fioles de réactifs et ses appareils.

      Soudain ses compagnons l'entendirent répéter plusieurs fois, comme se parlant à lui-même:

      —C'est cela, oui, c'est bien cela.

      Puis, il leur fit de la main, signe de s'approcher et leur dit:

      —Voici comment nous allons procéder: nous commencerons par extraire de suite, au moyen de cette pile, l'oxygène et l'hydrogène de l'eau; pour l'air, nous absorberons l'oxygène par le phosphore afin de recueillir l'azote pur; quant au carbone, nous le produirons sous forme de graphite. Puis par les procédés connus, nous produirons, d'une part, l'oxygène pur à l'état solide et, d'autre part, un composé nutritif qui, sous un petit volume, possédera des qualités extraordinaires d'assimilation, cela fait nous serons assurés de nos poumons, et de nos estomacs.

      Puis, se tournant vers M. de Flammermont:

      —Quand nous serons arrivés à ce résultat, je ferai appel à toute votre intelligence, mon cher enfant, pour nous procurer un nouveau moyen de locomotion qui nous permette de nous lancer à la poursuite de Sharp.

      Sans doute, en ce moment, la vision de sa douce fiancée passa-t-elle devant les yeux du jeune homme, car il s'écria d'une voix vibrante:

      —Comptez sur moi, monsieur Ossipoff, et s'il ne dépend que de ma bonne volonté, nous rejoindrons ce coquin, fût-il dans le soleil.

      Une grande émotion s'empara du vieillard qui attira le jeune comte sur sa poitrine et l'y tint longtemps serré étroitement.

      Fricoulet, pendant ce temps-là, examinait minutieusement l'état du garde-manger, c'est-à-dire le contenu de la boîte, que la prévoyance de Séléna avait fait laisser à la disposition de Sharp.

      —Mes amis, dit-il, je crois qu'il importe de nous mettre sans tarder à l'ouvrage, car nous avons devant nous pour quatre jours de nourriture, tout au plus: trente-trois biscuits, cinq boîtes de conserves d'une demi-livre chacune... et c'est tout!

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      —Plus une tablette de chocolat que j'avais emportée dans ma poche pour grignoter pendant le congrès, ajouta Gontran, je la mets dans la communauté.

      Ce disant, il sortit le précieux comestible et le remit à Fricoulet qui, de lui-même, s'adjugea les fonctions d'économe de la petite colonie.

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       Table des matières

      OÙ, POUR LA SECONDE FOIS, GONTRAN A UNE IDÉE LUMINEUSE

      Alcide!

      —Gontran!

      —Je n'en puis plus.

      —Allons, un peu de courage encore!

      —Eh! du courage, j'en ai... mais c'est mon estomac qui n'en a pas... depuis trente heures que je ne lui ai pas fourni sa ration quotidienne, il regimbe et réclame ses droits.

      Le jeune comte avait prononcé ces mots d'une voix faible qui impressionna vivement Fricoulet.

      L'ingénieur, qui s'occupait à liquéfier et à solidifier, au moyen d'une pompe à compression, de l'azote et de l'oxygène, abandonna aussitôt sa besogne et accourut auprès de M. de Flammermont.

      —Eh quoi! fit-il en essayant de plaisanter, tu n'es pas capable de te passer de manger pendant plus de deux jours... sais-tu bien que tu fais un déplorable explorateur!

      Gontran hocha la tête.

      —Oh! dit-il, je donnerais un de mes membres pour être attablé devant une côtelette au cresson ou un beefsteak aux pommes...

      —Toujours ta marotte, répliqua l'ingénieur en souriant.

      —Oui, et si cela continue, cette marotte va se transformer en folie... je le sens, ma tête devient vide, mes idées se brouillent et, en même temps...

      Il porta les mains à sa poitrine dans un geste douloureux.

      —Oh! que je souffre! soupira-t-il.

      —Et rien à te mettre sous la dent, mon pauvre vieux, dit affectueusement Fricoulet... Oh! si les choses avaient marché comme l'espérait Ossipoff... mais tu as été témoin, toi-même, des difficultés qu'il a rencontrées... deux fois déjà, il a recommencé l'opération... de là le retard... mais maintenant il prétend être certain du succès.

      Gontran hocha la tête.

      —Si son succès tarde à venir, il arrivera trop tard, grommela-t-il.

      Comme il achevait ces mots, le vieillard, dont on apercevait la silhouette courbée sur des cornues, à l'extrémité de la salle, poussa une exclamation de triomphe:

      —Gontran! Fricoulet! appela-t-il.

      Les deux jeunes gens accoururent et arrivèrent assez à temps pour recevoir, entre leurs bras, Mickhaïl Ossipoff, terrassé, lui aussi, par la faim et qui, avec une énergie indomptable, avait lutté cependant jusqu'au moment de la victoire.

      Avec des efforts inouïs, il étendit la main vers un récipient au fond duquel s'apercevait une matière noirâtre d'aspect gélatineux.

      —Là, réussit-il à balbutier; mangez... vite... vite...

      Sa tête se renversa en arrière et il demeura sans mouvement, comme évanoui.

      Gontran et Fricoulet se regardaient terrifiés:

      —Mort! exclama le jeune comte, il est mort.

      —Non! répliqua l'ingénieur, mais il ne s'en faut guère... aide-moi à le transporter sur sa couchette, ensuite nous aviserons à ce qu'il convient de faire.

      Quand

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