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fit Ossipoff.

      En vain Fricoulet tira-t-il son ami par le pan de son vêtement pour lui recommander le silence, M. de Flammermont répliqua:

      —Puisque l'électricité est une force, j'imagine que si l'on pouvait accumuler toute celle contenue dans la lumière et l'utiliser à actionner un moteur, on aurait là un moyen infaillible de gagner Sharp de vitesse et de lui arracher Séléna.

      En entendant Gontran parler, l'ingénieur semblait être sur des charbons ardents; en vain il toussait d'une façon opiniâtre, en vain il roulait vers lui des regards terrifiés, ce fut peine inutile.

      —Le malheureux, pensa-t-il, il se perd en ce moment... ma parole! c'est à croire qu'il est devenu fou!

      —Eh! pas si fou que cela, répliqua avec un peu d'aigreur Gontran, aux oreilles duquel ces derniers mots étaient parvenus... car, si j'étais fou, il faudrait admettre que M. Ossipoff l'est devenu lui aussi!... Ne l'avons-nous pas entendu répéter plusieurs fois que la lumière, la chaleur, le son, ne sont autre chose que du mouvement et de la force?... Ah! si l'on pouvait utiliser toutes ces vibrations, toutes ces oscillations qui traversent l'éther et s'entrecroisent...

      Il se tut un moment et demanda avec ingénuité:

      —Et pourquoi ne les utiliserait-on pas?

      Ossipoff se rapprocha de lui, les yeux grands ouverts et brillant d'une flamme étrange; puis, tout à coup:

      —Ah! mon cher fils, s'écria-t-il en lui prenant les mains, vous n'avez point dit cela à la légère; je le pressens, je le devine, déjà un plan a germé dans votre tête.

      Le jeune comte voulut s'en défendre.

      —Tentez tout au moins quelque chose, insista le vieillard; songez que le sort de Séléna est entre vos mains; pour la rejoindre, il faut un miracle, et ce miracle, vous seul êtes capable de l'accomplir.

      Fricoulet se mordait les lèvres pour ne pas éclater de rire; ce fut bien pis encore lorsqu'il entendit son ami, parlant lentement comme s'il suivait les phases d'une idée éclosant laborieusement dans son cerveau, dire au vieillard:

      —On peut admettre, n'est-ce pas, que les atomes en mouvement dans le rayon lumineux que réfléchit le réflecteur, se dirigent en droite ligne avec une immense vitesse; qui empêche d'utiliser ces atomes pour la continuation de notre voyage?

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      L'ingénieur n'en put écouter davantage; il se pencha à l'oreille de Gontran:

      —Tu divagues, mon pauvre ami, chuchota-t-il.

      Mais il dut courber la tête sous le regard triomphant que lui lança M. de Flammermont, en entendant Telingâ déclarer qu'on avait déjà, de l'appareil de Wandoung, expédié à titre d'essai, dans un rayon lumineux, des objets légers.

      —Par exemple! s'écria-t-il en se croisant les bras, je serais fort aise d'avoir à ce sujet quelques explications. Quelle machine employez-vous?

      —Une simple sphère creuse, que l'on place au centre du grand réflecteur dont je vous ai parlé, répondit Telingâ; un son grave et continu actionne l'appareil transmetteur dont les pôles sont reliés à une puissante batterie électrique. Sous l'influence des vibrations qu'elle emmagasine, la sphère suspendue sur le réseau des oscillations électriques et lumineuses s'échappe avec une rapidité inouïe et vogue en ligne droite, jusqu'à ce que les vibrations se soient tellement affaiblies que la sphère ne soit plus animée d'aucun mouvement et s'arrête forcément. De même, si l'on supprime pendant cette course le son et le rayon lumineux, la sphère s'arrête également et retombe.

      —Eh bien! demanda victorieusement M. de Flammermont en s'adressant à Fricoulet, qu'as-tu a répondre à cela?

      —Rien, absolument rien, répliqua l'ingénieur, sinon que je me mets à ton entière disposition pour construire, d'après tes plans, une sphère semblable à celle dont parle Telingâ, mais de dimensions assez grandes pour nous contenir tous les trois.

      Il avait prononcé ces paroles avec un sérieux si magnifique que M. Ossipoff s'y laissa prendre et murmura à mi-voix:

      —À la bonne heure! voilà une modestie que j'aime, c'est grand dommage que ce garçon ne soit pas toujours ainsi.

      Pourtant, il fronça les sourcils en entendant l'ingénieur murmurer à voix basse:

      —Il faut certainement que le sol lunaire ait des propriétés spéciales et tout à fait différentes de celles que nous connaissons au sol terrestre, car, du diable, si de semblables combinaisons pourraient réussir sur notre planète natale!

      —Comment, monsieur Fricoulet, exclama Mickhaïl Ossipoff, c'est vous qui préjugez ainsi de l'avenir? mais les quelques notions scientifiques que vous possédez vous mettent à même, plus que le commun des mortels, d'apprécier à leur juste valeur les merveilleuses découvertes enfantées par le seul dix-neuvième siècle, et ces découvertes devraient vous faire présager les miracles que nous réservent les siècles futurs.

      Après cette petite admonestation, le vieux savant se tourna vers Telingâ:

      —Il serait urgent, lui dit-il, que tu nous donnes le plan de ce système dont tu viens de nous parler.

      Le Sélénite répliqua:

      —Si toi et tes compagnons m'aviez laissé achever ce que j'avais à vous dire, vous sauriez qu'il y a, à Maoulideck, enfouies dans les souterrains dépendant de l'observatoire, toutes les pièces d'un appareil construit autrefois par des sélénites audacieux qui se proposaient d'aller visiter Vénus.

      Ossipoff poussa un cri de joie:

      —Et cet appareil? dit-il.

      —Cet appareil n'a jamais servi... le gouvernement que nous avions alors ayant décidé qu'il était peu sage de compromettre le bonheur parfait dont jouissait alors notre planète, en établissant des relations avec un monde dont nous ne connaissions ni les mœurs ni l'état de civilisation.

      —Et tu penses, demanda le vieillard tout anxieux, tu penses que l'on pourrait mettre cet appareil à notre disposition?

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      Avant que Telingâ eût pu répondre, Gontran s'était avancé vers Fricoulet.

      —Hein! lui dit-il, tu te moquais de moi tout à l'heure, que penses-tu maintenant?

      —Aux innocents les mains pleines, grommela l'ingénieur.

      Il se tourna vers le Sélénite et demanda:

      —Mais si votre appareil est en tous points semblable à celui que vous nous avez décrit, le réflecteur doit avoir au moins un kilomètre de diamètre?

      —Et pourquoi cela?

      —Songez qu'il s'agit de faire parcourir au projectile une distance de douze millions de lieues...

      —Pardon, fit Ossipoff, de six millions seulement; puisque c'est à cette distance que se trouvent contiguës les zones d'attraction de la Lune et de Vénus.

      —Or, dit à son tour le Sélénite, les constructeurs de l'appareil ont jugé que pour faire parcourir à un projectile une distance aussi dérisoire, il suffisait d'un réflecteur mesurant cinquante mètres de haut sur deux cent cinquante mètres de large.

      L'ingénieur fit la moue:

      —C'est peu, murmura-t-il.

      Et s'adressant à Ossipoff:

      —Ne trouvez-vous pas?

      Le vieillard ne lui répondit pas; depuis quelques instants il était plongé dans une série de calculs prodigieux qui n'avaient pas couvert de chiffres, moins

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