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se mit à courir du côté d'où elle lui semblait être partie. Une seconde détonation éclata et il entendit siffler une balle à son oreille; alors, au hasard, il lâcha l'un sur l'autre les six coups de son revolver et jetant son arme devenue inutile il se précipita en avant. Soudain, dans l'ombre, des bras l'étreignirent, alors, ses doigts rencontrant une gorge, la serrèrent vigoureusement, et son adversaire inconnu chancela, l'entraînant dans sa chute.

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      —À moi! à moi! cria M. de Flammermont.

      En ce moment, Ossipoff arrivait suivi de Fricoulet qui, homme de précaution, s'était muni de baguettes de magnésium.

      Il en fit flamber une, et aussitôt, les ténèbres se dissipant, les nouveaux venus aperçurent Gontran formant une masse confuse avec son adversaire sur l'estomac duquel il se tenait accroupi.

      —Grand Dieu! s'écria le jeune homme en bondissant en arrière, grand Dieu! c'est Farenheit.

      —Farenheit! répétèrent à la fois Ossipoff et Fricoulet, en se penchant, muets de stupeur, sur le corps immobile à leurs pieds.

      C'était, en effet, l'Américain, maigre, décharné, desséché pour ainsi dire, dont le magnésium éclairait le masque livide et parcheminé.

      Le premier moment de stupéfaction passé, Ossipoff déclara qu'il importait de transporter au plus tôt le malheureux dans la chambrette, afin de lui donner les soins que réclamait son état.

      —Je ne l'ai pas tué, au moins? demandait Gontran. Je crains de l'avoir serré un peu fort.

      Sans répondre, Fricoulet jeta l'Américain sur son dos et aussi légèrement qu'une plume, le monta jusqu'à l'habitacle.

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      —Le pauvre diable meurt de faim, dit-il après l'avoir examiné, tâchons d'abord de lui faire absorber un peu de notre pâte nutritive.

      À grand peine on arriva à desserrer les dents de l'Américain et à lui introduire dans la bouche un peu d'aliments, puis on attendit anxieusement l'effet que cela allait produire.

      —Comment expliques-tu cette résurrection? demanda M. de Flammermont qui, même encore à ce moment, n'en pouvait croire ses yeux.

      —D'une manière fort simple: il faut établir d'abord que la cartouche de ce gredin de Sharp, au lieu de tuer sir Jonathan, n'avait fait que le blesser, lorsque fuyant devant la nuit, nous l'avons abandonné, croyant ne laisser derrière nous qu'un cadavre, le froid l'a saisi, or, tu sais que le froid conserve et que certains animaux, les anguilles, par exemple, ont la faculté de vivre, même après avoir été gelées; c'est probablement un phénomène identique qui s'est produit pour Farenheit.

      —Alors, fit en souriant Gontran, c'est le soleil qui l'aurait dégelé?

      —Comme tu le dis fort bien.

      —Mais comment expliquer sa conduite?

      —Ceci n'étant plus du domaine scientifique, je ne puis te donner des éclaircissements mais tu pourras le lui demander à lui-même.

      En ce moment, l'Américain commençait à s'agiter sur sa couche, ses lèvres se coloraient et, sur ses joues que les pommettes saillantes semblaient prêtes à crever, un peu de sang paraissait.

      Durant quelques secondes, ses mâchoires se choquèrent avec un bruit de castagnettes, dans un mouvement formidable de mastication; puis, sans ouvrir les yeux, il murmura d'une voix caverneuse:

      —Manger..., manger..., manger!

      Comme si Fricoulet eût prévu cette demande, il avait pris, du bout des doigts une forte boulette de pâte, et profitant d'un moment ou la bouche de l'Américain s'ouvrait toute grande, il l'y introduisit.

      L'effet fut, pour ainsi dire, instantané. Farenheit se dressa sur son séant, ses paupières se soulevèrent, les yeux se fixèrent successivement sur ceux qui l'entouraient, puis, leur tendant les mains:

      —By God! fit-il... ce n'est donc pas ce gredin de Sharp qui a construit le ballon métallique que je voulais détruire.

      Ossipoff ne put retenir un grondement.

      —Détruire! s'écria-t-il.

      —Que voulez-vous? en revenant à moi, dans ce désert épouvantable, je me suis traîné, comme j'ai pu, pendant quelques kilomètres, puis, tout à coup, j'ai aperçu tous ces préparatifs de départ... j'ai cru que c'était Sharp qui voulait encore m'échapper... la rage s'est emparée de moi et j'ai résolu de mourir, s'il le fallait, mais de mourir en me vengeant.

      —Alors c'est contre lui que vous croyiez tirer tout à l'heure? demanda Gontran.

      —Parfaitement, et heureusement que ma main tremblait.

      Il s'interrompit, et avec une lueur d'envie dans la prunelle:

      —Oh! dit-il, je mangerais volontiers un rosbeef arrosé d'un verre de Porto...

      Fricoulet et Gontran se regardèrent navrés:

      —Le seul moyen de contenter cette envie, dit enfin le jeune ingénieur, c'est de vous endormir en souhaitant que Morphée vous envoie un rêve gastronomique... car, pour nous, notre garde-manger se compose de ceci:

      Et il désigna la pâte fabriquée par Ossipoff.

      L'Américain fit la grimace, puis, cédant au conseil de Fricoulet, il se tourna sur le flanc et s'endormit.

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       Table des matières

      LE FEU À BORD

      Eh bien! monsieur Fricoulet, demanda Ossipoff d'un ton narquois, commencez-vous à être convaincu?

      —Je fais plus que de commencer, cher monsieur, je suis convaincu, absolument convaincu; cela ne m'empêche pas d'être stupéfait de la réussite...

      L'ingénieur se tourna vers M. de Flammermont.

      —Et toi, Gontran? interrogea-t-il.

      Le jeune comte haussa légèrement les épaules et répliqua d'un petit ton dégagé:

      —Oh! moi, tu sais bien que, pas un instant, je n'ai eu l'ombre d'un doute.

      —D'ailleurs, dit à son tour le vieillard, n'est-ce pas à lui qu'appartient l'ingénieuse idée, grâce à laquelle nous pouvons continuer notre voyage?... Il serait donc bien étonnant qu'il eût conçu des inquiétudes à ce sujet.

      Fricoulet dissimula, sous un plissement de paupières, la lueur joyeuse que ces mots venaient d'allumer dans ses yeux; mais il eut beaucoup de peine à ne pas éclater de rire, lorsque Gontran lui dit gravement:

      —Ce qui me donne une grande confiance en moi-même, c'est la persuasion en laquelle je suis que le mot «impossible» n'est pas français...

      Un grognement se fit entendre derrière eux; ils se retournèrent et virent Farenheit assis sur le bord du coussin qui lui servait de couchette.

      —Le mot «impossible» n'est pas américain non plus, fit-il d'un ton bourru.

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      Fricoulet sourit un peu et répondit:

      —Vous en êtes une preuve éclatante;

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