Скачать книгу

s'assit sur sa couchette, incapable de prononcer un mot.

      Quant à Gontran, il s'élança vers Telingâ et, lui saisissant les mains:

      —Jour de Dieu! exclama-t-il, ce misérable est-il donc retombé sur le sol lunaire? ah! s'il en était ainsi...

      Ses yeux brillaient d'un éclat haineux et ses sourcils, violemment contractés, indiquaient assez les idées de vengeance qui hantaient sa cervelle.

      —Retombé!... mais c'est impossible!... mathématiquement, le boulet doit atteindre Vénus.

      Celui qui parlait ainsi n'était autre qu'Ossipoff: son affection pour sa fille et sa haine pour Sharp étaient moins fortes que son amour pour la science... il préférait voir son ennemi lui échapper, grâce au système de locomotion inventé par lui, plutôt que de s'être trompé dans ses calculs et dans ses combinaisons...

      Gontran n'avait point fait attention aux paroles du vieillard, car une autre pensée, pensée effrayante, celle-là, venait de lui traverser soudainement l'esprit.

      —Mais Séléna a dû se tuer dans la chute, exclama-t-il.

      Il avait prononcé ces mots en langage sélénite, s'adressant à Telingâ.

image

      Tout surpris, celui-ci demanda:

      —Quelle chute?

      —Ne venez-vous pas de dire que vous nous apportiez des nouvelles du misérable?

      —Parfaitement si.

      —Comment pourriez-vous en avoir s'il n'était point retombé sur la Lune?

      Telingâ hocha la tête.

      —En ce moment, répliqua-t-il, le Terrien franchit l'espace à toute vitesse, se dirigeant sur Tihy qu'il paraît vouloir atteindre... mais il en est encore loin et n'y arrivera pas avant que le jour soit venu dorer les hauts sommets du cirque de Wandoung.

      —C'est de l'observatoire que vous avez pu constater la marche du véhicule? demanda Gontran.

      —À quoi pensez-vous donc, mon cher ami! exclama le vieil Ossipoff... songez donc que voici cinq jours, c'est-à-dire cinq fois vingt-quatre heures que Sharp est parti... or, d'après nos calculs, il fait 75,000 kilomètres à l'heure... il doit donc, en ce moment, se trouver à deux millions trois cent mille lieues de la Lune... vous reconnaîtrez avec moi que nul instrument d'optique, quelle que soit sa puissance, ne peut permettre d'apercevoir, à une semblable distance, un corps d'aussi minime surface que notre wagon.

      Gontran courba la tête, convaincu qu'il venait de dire une sottise et regrettant, une fois de plus, d'avoir une langue si prompte.

      —Cependant, intervint Fricoulet, il faut bien que Sharp ait été aperçu quelque part, puisque Telingâ l'affirme.

      Ce disant, il se tournait vers le Sélénite qui répondit gravement:

      —En effet, la marche du Terrien à travers l'espace a été reconnue, mais non pas par nous, Lunariens.

      —Et par qui donc? exclama le jeune ingénieur.

      —Par les habitants de Tihy, la planète que vous nommez Vénus.

      Les trois voyageurs demeuraient bouche bée, les yeux écarquillés, n'en pouvant croire leurs oreilles.

      —Vous allez voir, murmura Gontran, qu'il existe entre la Lune et Vénus un service télégraphique optique.

      Fricoulet haussa les épaules.

      —Ton amour pour Séléna te fait perdre la tête, balbutia-t-il.

      Ossipoff lança à l'ingénieur un regard sévère.

      —M. de Flammermont est peut-être plus près de la vérité que vous ne le supposez, dit-il.

      Puis, au Lunarien:

      —Vous devez constater, ajouta-t-il, dans quelle stupéfaction nous ont jetés les paroles que vous venez de prononcer, expliquez-vous!

      —Il y a des siècles, répondit Telingâ, que nos astronomes remarquèrent, à la surface de Tihy, des points brillants, intermittents, paraissant changer de forme et d'intensité; ils jugèrent que c'étaient là des signaux destinés à mettre la planète en rapport avec les autres mondes, et tous leurs efforts, pendant de longues années, tendirent à nouer des relations avec notre brillante voisine. Ils y sont parvenus, grâce à des signaux convenus, que les foyers lumineux de Tihy comprennent et répètent.

image

      Ossipoff l'écoutait parler, en proie à l'ébahissement le plus profond, ne pouvant contenir sa curiosité, il interrompit le Lunarien:

      —Mais, dit-il, quels procédés employez-vous?

      —Il y a, à la surface de notre sol, un métal qui a la curieuse propriété de conduire l'électricité plus ou moins bien, suivant qu'il est éclairé par une lumière plus ou moins vive...

      —C'est le sélénium, s'écria Fricoulet.

      —Eh! n'interrompez donc pas, s'écria Ossipoff, surtout pour dire des choses que tout le monde connaît aussi bien que vous!

      Telingâ, impassible, continua:

      —Avec ce métal, nous avons construit un réflecteur immense, très brillant, au foyer duquel aboutissent les fils d'un générateur d'électricité et d'un appareil de transmission de la parole.

      —Mais c'est un téléphone! exclama Gontran.

      —Ou plutôt un photophone, ajouta Fricoulet.

      —Grâce à la lumière accumulée au foyer du réflecteur par une foule de petits miroirs dont tous les rayons convergent en ce même point, le son bondit jusqu'à l'appareil récepteur installé par les Vénusiens sur la plus haute montagne de leur globe; le rayon de lumière emporte, à travers l'espace, les vibrations du son et c'est notre voix même qui parvient à nos frères du ciel, tout comme la leur nous arrive.

      —C'est prodigieux... prodigieux, murmurait Ossipoff.

      Puis, après un moment:

      —Mais, quelle sorte de récepteur avez-vous? demanda-t-il.

      —Notre transmetteur même nous en tient lieu, transformant en oscillations sonores, les ondes lumineuses qui impressionnent le réflecteur. Comprenez-vous maintenant comment je puis vous apporter des nouvelles du Terrien? Dès la catastrophe, je suis parti pour Wandoung, et profitant des dernières lueurs solaires, je me suis mis en rapport avec Tihy qui m'a répondu ce que je vous ai dit.

      —Prodigieux, prodigieux, ne cessait de répéter à mi-voix le vieux savant.

      Le souvenir de Sharp et même de sa fille était loin de lui, son esprit était tout entier rempli de la pensée que deux mondes gravitant à douze millions de lieues l'un de l'autre pouvaient correspondre entre eux. Et il pensait avec humiliation à son globe natal, seul et isolé au milieu de l'espace sidéral.

      Il fut tiré de ses réflexions amères par une exclamation que lançait M. de Flammermont:

      —Une idée! fit-il... Cette lumière qui emporte la voix sur ses ailes, serait-elle assez puissante pour nous emporter nous aussi?

      Il s'était exprimé dans sa langue natale, en sorte que Telingâ ne pouvait comprendre la cause de la stupéfaction en laquelle Ossipoff et Fricoulet venaient de tomber subitement.

      Le vieillard fut le premier à reprendre son sang-froid:

      —Qu'entendez-vous par là? demanda-t-il.

      —Dame! répliqua le jeune comte sans se déconcerter, on envoie bien des dépêches jusque dans

Скачать книгу