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à son tour Gontran.

      —Pourquoi cela? n'avons-nous pas sur la terre des procédés de conservation de la viande par le froid? repartit M. Ossipoff.

      —Avec cette différence que les bœufs et les moutons conservés de la sorte, ne ressuscitent pas, tandis que sir Jonathan est ressuscité, lui.

      —Nous avons même oublié de vous demander comment vous alliez? fit Gontran.

      L'Américain s'étira violemment les bras, fit craquer ses jointures avec des bruits de pistolet, et répondit:

      —Mais cela ne va pas mal, je vous remercie; je sens seulement, par tout le corps, une grande courbature... c'est sans doute ce sommeil hivernal qui est cause de cela... mais un peu d'exercice va me rendre toute mon élasticité.

      Ce disant, il fit mine de se lever, un geste de Fricoulet l'arrêta:

      —Un peu d'exercice, répéta l'ingénieur; mais, où diable, voulez-vous en prendre? vous n'avez, pour vous livrer à cette promenade, que la cage dans laquelle nous nous trouvons, et vous avouerez que l'espace manque considérablement.

      Un désappointement profond se peignit sur le visage du Yankee.

      —By God! gronda-t-il, en effet, c'est peu.

      Puis, aussitôt, il ajouta d'un ton de stupeur:

      —Ah ça! où sommes-nous?

      —Dans notre nouveau véhicule, celui-là même que vous vous acharniez à détériorer, lorsque M. de Flammermont est intervenu, si heureusement pour vous et pour nous.

      Farenheit promenait autour de lui des regards peu satisfaits.

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      —Peuh! murmura-t-il avec une grimace, c'est moins confortable que l'autre wagon.

      —Que voulez-vous, répliqua Gontran, à la guerre comme à la guerre, nous devons même nous estimer fort heureux qu'un concours providentiel de circonstances nous ait mis à même de poursuivre notre voyage... autrement, je devais renoncer à l'espoir de retrouver jamais ma chère Séléna, et vous à celui de remettre la main sur votre ami Sharp.

      À ce nom, qui avait toujours eu la propriété de le mettre en fureur, l'Américain fit sur sa couche un bond formidable, les dents serrées, les poings fermés, les yeux étincelants.

      Mais il se produisit alors un singulier phénomène; projeté par sa force d'impulsion, il alla donner de la tête contre la paroi supérieure du projectile pour retomber sur les épaules d'Ossipoff, fort tranquillement occupé à rédiger ses notes de voyage.

      Surpris à l'improviste, le vieillard perdit l'équilibre, tenta de se rattraper à Gontran qu'il entraîna dans sa chute et tous les trois roulèrent sur le plancher, pendant que Fricoulet riait aux larmes.

      Ossipoff fut le premier qui se releva.

      —Qu'y a-t-il? grommela-t-il tout en bougonnant... quelle est cette commotion?

      L'ingénieur se tenait les côtes, incapable de prononcer une parole.

      Ce fut Gontran qui répondit en se frottant les genoux:

      —Parbleu! cette commotion a été produite par la chute d'un corps.

      —Un bolide! exclama M. Ossipoff.

      Farenheit, qui s'était relevé lui aussi, s'avança vers le vieillard:

      —J'était prêt à vous faire des excuses, gronda-t-il; mais du moment que vous vous servez, à mon égard, d'expressions aussi malsonnantes...

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      Pour le coup, l'hilarité de Fricoulet redoubla et il fut impossible à Gontran de conserver son sérieux plus longtemps.

      Farenheit et Ossipoff se regardaient dans le blanc des yeux, comme deux bouledogues prêts à s'entre-dévorer...

      —Mais, mon cher sir Jonathan, réussit à dire le jeune comte, le digne M. Ossipoff n'a aucunement eu l'intention de vous insulter.

      —Cependant... grommela l'Américain... bolide... bolide...

      —...Est le nom que l'on donne, en astronomie, à certains corps errants dans l'espace... or, vous conviendrez qu'en l'espèce, vous avez joué un peu ce rôle.

      Le visage du Yankee se rasséréna; il fit un pas encore et, tendant au vieillard sa main largement ouverte:

      —Touchez-là, monsieur Ossipoff, dit-il avec dignité, pour me prouver que vous ne m'en voulez pas de vous être tombé à califourchon sur les épaules.

      —Comme à saute-mouton, murmura Gontran.

      —J'accepte bien volontiers vos excuses, répondit le vieux savant en touchant la main de Farenheit... seulement, je vous serai très reconnaissant de m'expliquer dans quel but vous vous êtes livré à cette bruyante manifestation.

      —Je ne saurais vous le dire, et vous me voyez moi-même tout surpris de ce qui est arrivé.

      Fricoulet, qui avait fini par se rendre maître de son hilarité, expliqua alors que l'Américain avait fait un brusque mouvement, sans réfléchir que plus on s'éloignait de la lune, et plus on échappait aux lois de la pesanteur, déjà si faibles à la surface même du satellite.

      En entendant ces mots, l'Américain faillit témoigner sa stupéfaction par un bond non moins formidable que le premier; mais, instruit par l'expérience et se défiant de sa nature nerveuse, il se cramponna, des deux mains, aux coussins du divan et s'écria:

      —By God!... ai-je bien entendu?... ne venez-vous pas de dire «plus on s'éloigne de la lune»?

      —Vous avez parfaitement bien entendu, sir Jonathan.

      —Nous ne sommes plus sur la lune?

      —Voici bientôt une heure que nous l'avons quittée.

      L'effarement du digne Américain était comique à voir.

      Il se précipita à l'un des hublots et demeura quelques instants, immobile, le nez collé à la vitre épaisse, sondant l'immensité.

      Convaincu de la réalité, il se retourna.

      —Ah çà! fit-il, comment vous y êtes-vous pris pour quitter ce sol lunaire sur lequel nous semblions échoués à jamais?

      Ossipoff désigna Gontran et répondit:

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      —C'est encore à M. de Flammermont que nous sommes redevables de cette merveilleuse application des forces électriques.

      L'Américain secoua vigoureusement la main du jeune comte.

      —Au nom de ma haine, merci, fit-il d'une voix profonde; et je m'engage, si nous réussissons à mettre une seconde fois la main sur ce gredin de Sharp, à ne pas le laisser échapper... d'un seul coup, il paiera pour tous ses méfaits.

      —Pardon, répliqua Gontran dont le visage avait légèrement pâli, vous m'accorderez bien que, maintenant, ce Sharp m'appartient un peu... n'ai-je pas à venger ma fiancée, ma Séléna adorée?

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      Farenheit se tut un moment, puis répondit:

      —Ne nous disputons point encore à ce sujet; lorsque le gredin sera à notre disposition, il sera suffisamment temps d'agiter cette question.

      —Il y aura un moyen bien simple de la trancher, après l'avoir agitée, dit plaisamment Fricoulet; vous jouerez la peau de Sharp, aux dés ou

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