Скачать книгу

image

      —Allons, allons, dit-il en se frottant les mains d'un air satisfait, le voyage s'annonce bien... le baromètre ne marquant que 350 millimètres, n'en est pas moins au beau temps; l'hygromètre à cheveu indique une humidité très modérée et les papiers ozonométriques sont intacts.

      —Êtes-vous au moins certain de la route que nous suivons? demanda Farenheit.

      —J'ai soumis tous mes calculs à M. de Flammermont, répliqua le vieillard, et il les a reconnus exacts.

      L'Américain considéra d'un œil étrange le jeune homme qui gardait un sérieux imperturbable.

      —Au surplus, fit le comte, si vous doutez, vous n'avez qu'à consulter la boussole.

      M. Ossipoff se redressa et regarda tout surpris M. de Flammermont.

      —Allons, bon, pensa celui-ci, j'ai dû dire une bêtise.

      Il en fut convaincu en entendant Ossipoff prononcer, d'un ton un peu amer, les paroles suivantes:

      —Vous plaisantez, n'est-ce pas... vous savez bien que toutes les indications de la boussole ne se rapportent aucunement au milieu que nous habitons et que, si loin de toute attraction, la boussole ne nous est plus d'aucune utilité.

      Gontran, tout confus, se mordait les lèvres; mais, soudain, il eut une inspiration de génie et étendant la main vers les hublots à travers lesquels on apercevait les constellations brillantes qui étincelaient dans l'immensité sidérale:

      —Aussi bien, répondit-il d'une voix vibrante, voulais-je parler de ces étoiles qui, toutes, sont autant de boussoles célestes sur lesquelles nous pouvons régler notre marche.

image

      Un sourire entr'ouvrit les lèvres du vieux savant qui répliqua aussitôt:

      —Je vous demande pardon, mon cher enfant; je ne vous cacherai pas que, de votre part, une hérésie semblable m'étonnait.

      Cela dit, d'un ton tout affectueux, Ossipoff reprit ses occupations, tandis que Gontran s'en allait s'asseoir auprès de Fricoulet.

      —Je t'admire, mon ami, je t'admire sincèrement, murmura l'ingénieur... Dieu sait que je suis profondément hostile à ton mariage; mais je dois avouer que, si tu réussis enfin à épouser celle que tu aimes, eh bien! là, vrai, tu ne l'auras pas volé.

      —Il semble que l'amour décuple mon imagination, répliqua le jeune comte.

      Farenheit, en ce moment, s'approcha d'eux:

      —À quelle distance, croyez-vous que nous soyons maintenant de la Lune? demanda-t-il.

      —Peuh! répondit Fricoulet en consultant sa montre, sans rien vous affirmer d'exact, je puis cependant vous certifier que nous devons en être à une centaine de mille kilomètres.

      L'Américain ouvrit de grands yeux:

      —Cent mille kilomètres! répéta-t-il... mais vous venez de dire que nous en sommes partis seulement depuis une heure!...

      —Eh bien!... à raison de vingt-huit mille mètres par seconde,—qu'est-ce que cela fait?...

      —Cent mille quatre-vingts kilomètres par heure, répondit le Yankee qui, en sa qualité de commerçant, avait le calcul rapide.

      —Donc, quand je vous disais cent mille kilomètres, je n'étais pas bien loin de la vérité.

      —Mais cela nous fait une marche de cinq cent mille lieues par jour... ou du moins par vingt-quatre heures!

      —Rigoureusement exact, dit encore l'ingénieur qui jouissait de l'ébahissement de sir Jonathan.

      Et il ajouta:

      —Dans dix heures, nous atteindrons le point neutre, c'est-à-dire celui où les deux attractions de la Lune et de Vénus sont contiguës.

      L'Américain était rêveur; il se livrait mentalement à des tours de force d'arithmétique.

      —Mais, à ce compte-là, murmura-t-il, il ne nous faudrait, sur Terre, qu'une minute et demie pour traverser l'océan Atlantique.

      —Je n'ai point fait le calcul, riposta Fricoulet, mais, étant données les proportions, il doit être juste.

      Gontran poussa un soupir.

      —Qu'as-tu donc? demanda l'ingénieur.

      —J'ai que si nous avions eu à notre disposition un moyen de locomotion semblable, quand nous nous sommes élancés de la Terre, nous aurions atteint la Lune en trois heures.

      —Tu as raison... mais puisque c'est fait maintenant, qu'as-tu à regretter?...

      —Le temps perdu... qui ne se rattrape jamais, répondit gravement M. de Flammermont en élevant la voix de façon à être entendu d'Ossipoff.

      —Times is money, ajouta non moins gravement Farenheit.

      Tout à coup l'Américain poussa un léger cri de surprise.

image

      —Qu'est cela? demanda-t-il en étendant la main vers un coin de la chambrette... on dirait des scaphandres...

      —Vous ne vous trompez pas, répondit en souriant le jeune comte, ce sont bien des scaphandres.

      —Allons-nous donc avoir à voyager sous l'eau? demanda l'Américain.

      —Non... mais dans le vide.

      Aux regards surpris de son interlocuteur, Fricoulet vit que ses paroles n'avaient pour lui aucun sens.

      —En deux mots, vous allez comprendre, dit-il, que la force électrique qui nous pousse en avant doit être, d'après nos calculs, suffisante pour nous faire pénétrer dans la zone d'attraction vénusienne; mais là, elle s'arrête et l'appareil ne nous devient plus d'aucune utilité; au contraire, son poids ne peut que rendre notre chute plus rapide... c'est-à-dire plus dangereuse... comprenez-vous?

      L'Américain répondit affirmativement...

      —Alors, nous abandonnons la sphère qui nous supporte et nous continuons notre voyage dans cette logette, transformée en nacelle, c'est pourquoi nous avons emporté avec nous ces appareils imaginés autrefois par des sélénites aventureux... mais, tandis que les scaphandres servent à protéger le corps contre la pression de l'eau, ceux-ci le garantiront contre l'effet mortel de la disparition brusque de cette pression atmosphérique... voilà...

      —Très ingénieux, murmura l'Américain.

      Et étouffant de la main un bâillement formidable, il ajouta:

      —By God! il me semble que j'ai envie de dormir.

      —Parbleu! cela n'a rien d'étonnant, répondit Fricoulet avec un grand sérieux... voilà quinze jours que vous ne faites que cela; ce n'est pas en une heure que l'on perd ses mauvaises habitudes.

      —Alors, demanda Farenheit en l'interrogeant du regard, que me conseillez-vous?

      —De faire un bon somme pour commencer, ensuite, nous verrons...

      Sans doute ce conseil correspondait-il exactement à l'envie secrète de l'Américain, car, après avoir bredouillé un bonsoir inintelligible, il s'étendit tout de son long sur les coussins et ne tarda pas à remplir la logette d'un ronflement sonore...

      Cinq minutes après, Fricoulet dit à son tour:

      —Sir Jonathan est plein de bon sens... il est, en ce moment, plus de minuit à Paris; c'est l'heure à laquelle les honnêtes gens s'endorment.

Скачать книгу