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de ces contrées, allaient partir pour conclure un traité définitif avec les cinq cantons; mais quand ils virent les Français, victorieux de leurs ennemis, arriver chargés de marchandises et en assez grand nombre pour les rassurer contre la vengeance des Iroquois, ils ne craignirent plus de rompre avec eux, et, charmés des présens que Perrot leur présenta et qu'il fit valoir avec une adresse admirable, ils s'attachèrent plus étroitement que jamais aux intérêts de la France. Bientôt après 110 canots, portant pour 100 mille écus de pelleteries, et conduits par plus de 300 Sauvages de toutes les tribus, partirent pour Montréal, où ils furent reçus aux acclamations de toute la ville. Ils y trouvèrent le gouverneur, lequel dut jouir en les voyant arriver du succès de sa politique, qui d'ennemis presque déclarés avait fait en si peu de temps de tous ces peuples des alliés fidèles. Ce revirement soudain ne s'était pas fait cependant sans opposition.

      Le génie de le Rat, qui avait travaillé avec une si perverse sagacité à rompre les négociations de M. Denonville, cherchait alors à engager les tribus dans une alliance avec les Iroquois en rendant celle avec les Français impossible. Il paraît que lui et sa nation étaient l'âme de toute cette vaste intrigue, derrière laquelle ils avaient l'art de se cacher, en se servant des Outaouais, dont la grossièreté naturelle permettait d'en faire de faciles instrumens. L'habile le Rat mit dans leur bouche ces paroles insolentes qu'ils répondirent lorsqu'on voulut les empêcher de renvoyer les prisonniers Tsonnonthouans: «Nous nous étions figurés, dirent-ils, que les Français étaient des guerriers, mais ils le sont beaucoup moins que les Iroquois. Nous ne sommes plus surpris, s'ils ont été longtemps sans rien entreprendre, c'est le sentiment de leur faiblesse qui les retenait. Après avoir vu avec quelle lâcheté ils se sont laissé massacrer dans l'ile de Montréal, il nous est évident que nous ne pouvons plus en attendre de recours. Leur protection nous est devenue non seulement inutile mais nuisible, par les engagemens où elle nous a entraînés mal à propos; leur alliance ne nous a pas fait moins de tort pour le commerce que pour la guerre; elle nous a privés de la traite avec les Anglais, beaucoup plus avantageuse qu'avec eux, et cela contre toutes les lois de protection qui consistent à maintenir la liberté du commerce. On laisse tomber sur nous tout le poids de la guerre, tandis que nos prétendus protecteurs, par une conduite pleine de duplicité, cherchent à se mettre à couvert, en mendiant la paix avec toutes sortes de bassesses, et préfèrent signer un traité honteux et souffrir les hauteurs d'un ennemi insolent, que de retourner au combat. En un mot, l'on nous prendrait plutôt pour les protecteurs des Français que pour un peuple qui en est protégé». Rien n'annonce mieux que ce discours dans quel discrédit M. Denonville avait laissé tomber notre influence chez ces peuples.

      Les cantons qui se croyaient au moment de former une grande confédération de toutes les nations indigènes, et de se venger peut-être de toutes les insultes des Européens, entrèrent en fureur lorsqu'ils virent leur projet chéri s'évanouir comme un beau rêve. Ils envoyèrent promettre des secours à la Nouvelle-York, pour venger le sac de Schenectady; ils se saisirent du chevalier d'Eau en mission chez les Onnontagués et brûlèrent deux personnes de sa suite, ils lâchèrent leurs guerriers sur la colonie; ils ne respiraient que la vengeance. Mais les partis qu'ils envoyèrent furent repoussés partout. Le pays, qui était depuis longtemps le théâtre d'irruptions sanglantes, s'était insensiblement couvert d'ouvrages palissadés et munis de canons, qui renfermaient ordinairement l'église et le manoir seigneurial de chaque village. A la première alarme, la population, hommes, femmes et enfans, courait s'y réfugier. C'étaient les scènes du moyen âge qui se répétaient en Amérique. Les annales canadiennes ont conservé le souvenir de plusieurs défenses héroïques de ces petits forts, où vinrent toujours se briser le courage barbare et indiscipliné des Indigènes. Deux des plus célèbres sont celles de madame de Verchères en 1690, et de sa fille deux ans après. Surprises l'une et l'autre pendant qu'elles étaient seules ou presque seules, elles n'eurent que le temps de fermer les portes du fort où elles se trouvaient, et déjà il était investi par une foule de Sauvages. Elles surent par leur présence d'esprit et par leur intrépidité en imposer aux assiégeans; elles tirèrent le canon, prirent les fusils et s'en servirent avec tant d'adresse en se multipliant, en se montrant sur différens points, que les barbares, croyant le fort défendu par plus de monde, avaient fini les deux fois par se retirer après l'avoir tenu bloqué pendant quelque temps. La fréquence du danger avait aguerri la population, les femmes, les enfans même comme les hommes. Dans un combat où un parti de Sauvages s'était retranché dans une maison, et se défendait avec désespoir, l'on vit des habitans s'avancer jusqu'auprès des fenêtres et en arracher par leur chevelure ceux qui s'y présentaient pour tirer.

      Le plus grand mal de cette petite guerre en 1690, c'est qu'une partie des terres ne put être ensemencée, circonstance qui augmenta pour l'année suivante, la disette qui régnait déjà dans le pays.

      L'on s'attendait en Canada que l'expédition contre New-York serait reprise, et que cette ville pourrait être attaquée par mer et par terre de bonne heure l'été suivant. Mais l'orage grossissait toujours en l'ancien monde contre Louis XIV, et l'accession de l'Angleterre à la coalition exigeant un nouveau déploiement de forces de la part de la France, elle se trouva hors d'état de faire d'armement pour l'Amérique. M. de Seignelay manda en conséquence à M. de Frontenac que le roi, étant trop occupé en Europe, ne pouvait lui envoyer de secours, et qu'il fallait abandonner pour le moment le projet d'invasion des colonies anglaises. Il recommandait en même temps au gouverneur d'employer le crédit qu'il s'était acquis sur l'esprit des Iroquois, pour faire une paix solide et honorable avec eux, et de tâcher surtout de réunir les habitans dans des bourgades faciles à défendre contre les Sauvages, chose beaucoup moins aisée à exécuter qu'il ne pensait, et qui en effet n'a jamais été même tentée sérieusement.

      M. de Frontenac avait trouvé les Français bien déchus dans l'opinion des tribus indiennes. Toutes les nations du nord et de l'ouest avaient été leurs amies sincères jusqu'au moment où les cantons leur avaient fait voir qu'elles auraient plus d'avantage à commercer avec les Anglais, qui vendaient leurs marchandises à meilleur marché et payaient les pelleteries plus cher, qu'avec le Canada. Cela avait causé un premier refroidissement. L'irruption heureuse des Iroquois dans l'île de Montréal, avait changé ce refroidissement en mépris. Plusieurs d'entre eux avaient été témoins du massacre de Lachine, et ils étaient rentrés chez eux avec la conviction que les Français allaient succomber sous les efforts de leurs ennemis. Ces peuples ressentirent un moment une secrète joie de se voir débarrassés d'un allié incommode, qui avait été plutôt leur maître que leur ami. Ils oubliaient déjà les services qu'ils en avaient reçus tant de fois, et les dangers qu'ils allaient courir, abandonnés seuls à l'ambition de leur implacable ennemi, quand la main puissante du comte de Frontenac reprit les rênes du gouvernement, et ramena tous ces peuples dans leur ancienne alliance.

      Il s'occupa, suivant les ordres de la cour, des négociations avec la confédération des cantons. Il n'eut pas besoin de les ouvrir; car tout en faisant la guerre à ces peuples, le Canada maintenait toujours, par le moyen des missionnaires, des relations diplomatiques avec quelques unes des tribus. Il était venu de France avec les chefs iroquois que son prédécesseur y avait envoyés chargés de fers. Il leur montra beaucoup d'égards, et conquit l'amitié et la confiance de Ouréouharé le principal d'entre eux. Sur le conseil de celui-ci, il en renvoya quatre dans les cantons avec l'ambassadeur iroquois qu'il avait trouvé à Montréal à son arrivée. Ils furent chargés par Ouréouharé d'assurer leurs compatriotes qu'ils retrouveraient dans le gouverneur ce qu'ils y avaient toujours vu autrefois, beaucoup de bienveillance et d'amour pour la justice.

      Les cantons tinrent un conseil solennel dans le mois de janvier (1690). Il y assista 80 chefs ou sachems. Les délibérations furent longues à cause de la négociation entamée avec les Outaouais et les autres Indiens occidentaux dont on a parlé tout à l'heure, et parce qu'ils avaient cru devoir aussi prier le gouvernement de la Nouvelle-York d'envoyer un député, ce qu'il avait fait, mais pour dissuader le conseil de consentir à aucune cessation d'armes avec les Français. M. de Frontenac s'étant douté que des intérêts hostiles étaient consultés, en éprouvait une mauvaise humeur qu'il ne cachait pas. Il était choqué surtout du délai qu'on mettait à discuter ses propositions. L'ambassadeur des cinq nations ne fut de retour que dans le mois de mars avec la réponse; et ayant eu la maladresse d'afficher

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