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lorsque le bandeau tomba de ses yeux, et qu'il se vit en présence du gouverneur entouré des principaux personnages du pays, au milieu d'une salle remplie d'officiers, il présenta en tremblant sa sommation, dont les termes arrogans contrastaient singulièrement avec son air consterné, et révoltèrent tous les assistans, surtout M. de Varennes, qui ne put s'empêcher d'élever la voix dans l'assemblée et d'exprimer son indignation avec une franchise toute de soldat. L'amiral Phipps demandait en substance que le Canada et ses habitans se livrassent à sa discrétion, et qu'en bon chrétien il leur pardonnerait le passé. Le gouverneur, piqué du manque de convenances dans les paroles de cet amiral, répondit sur le même ton: «Je ne connais point, dit-il, le roi Guillaume, mais je sais que le prince d'Orange est un usurpateur, qui a violé les droits les plus sacrés du sang et de la religion en détrônant le roi son beau-père. Je ne connais pas d'autre souverain légitime que Jacques II. Quant aux conditions offertes par le chevalier Phipps, a-t-il pu croire que si j'étais disposé à les accepter, tant de braves gens y voulussent consentir, et me conseillassent de me fier à la parole d'un homme qui a violé la capitulation qu'il avait faite avec le gouverneur de l'Acadie.» Ces derniers mots qui, comme on l'a vu, étaient vrais, avaient quelque chose de dur pour l'amiral. Le hérault demanda sa réponse par écrit: «Allez, lui dit-il, je vais répondre à votre maître par la bouche de mes canons; qu'il apprenne que ce n'est pas de la sorte qu'on fait sommer un homme comme moi.»

      Les batteries de la basse-ville commencèrent le feu bientôt après et abattirent des premiers coups le pavillon du vaisseau de Phipps, que des Canadiens allèrent enlever à la nage et malgré un feu très vif dirigé sur eux de la flotte. Ce drapeau est resté suspendu à la voûte de la cathédrale de Québec jusqu'à l'incendie de cet édifice en 1759.

L'ennemi fut deux jours sans rien entreprendre, quoique son plan d'attaque eût été arrêté dès le matin de son arrivée. D'après ce plan les troupes devaient débarquer au nord de la rivière St. – Charles, et les chaloupes entrer dans cette rivière pour les traverser au sud, c'est à dire du côté de la ville, où elles leur porteraient ensuite leurs vivres, leur artillerie et tout leur matériel de guerre. Cette opération accomplie, la flotte devait s'approcher de la ville en détachant quelques uns de ses vaisseaux au-dessus de la place comme pour aller y débarquer un nouveau corps. Pendant cette feinte pour tromper sur le vrai point d'attaque, les troupes déjà débarquées sur la rivière St. – Charles graviraient les hauteurs de Québec, d'où elles feraient un signal, et au même instant 200 hommes s'élanceraient de la flotte sur la basse et la haute ville. On va voir comment l'ennemi exécuta ce hardi projet. Il y avait déjà deux jours qu'il était arrivé, et il n'avait rien fait encore. Le 18 enfin, il débarqua 1300 hommes sous les ordres du major Walley 25 sur la plage entre Beauport et la ville. Ils furent immédiatement attaqués par environ 300 Canadiens, qui, profitant habilement du terrain marécageux et boisé en cet endroit, leur firent essuyer une perte d'une soixantaine d'hommes; mais ils eurent à regretter de leur côté, entre autres M. de la Touche, fils du seigneur de Champlain, et le chevalier de Clermont, qui furent tués. M. Juchereau de St. – Denis, seigneur de Beauport, qui commandait le détachement, eut le bras casse. Le roi pour le récompenser de sa bonne conduite l'anoblit, lui et M. Hertel, qui se distingua aussi dans ce siège à la tête des milices des Trois-Rivières.

Note 25:(retour) Major Walley's Journal of the expedition against Canada in 1690, inséré au long dans l'Histoire du Canada de M. Smith.

      Cependant l'amiral Phipps sans attendre que le major Walley se fût emparé des hauteurs qu'il avait charge d'occuper avec ses forces, vint se ranger en bataille devant la ville pour la bombarder, et il commença un feu très vif. Nos batteries ripostèrent avec ardeur et beaucoup de précision. La canonnade dura ainsi jusqu'à la nuit avec la même vigueur de part et d'autre. Ce combat dans le magnifique bassin de Québec présentait un spectacle grandiose. Les détonations retentissaient de montagne en montagne, d'un côté jusqu'à la cime des Alléghanys, et de l'autre jusqu'à celle des Laurentides, tandis que des nuages de fumée où étincelaient des feux, roulaient sur les flots et le long des flancs escarpés de Québec hérissés de canons. La canonnade recommença le lendemain matin, mais l'on s'aperçut bientôt que le feu des vaisseaux diminuait. A midi, en effet, il avait cessé entièrement. La flotte était fort maltraitée, surtout le vaisseau amiral qui était percé à l'eau en plusieurs endroits, avait toutes ses manoeuvres coupées, et son grand mât presque rompu. Dans cet état Phipps, n'ayant fait aucune impression sur la ville, donna l'ordre de la retraite, et les vaisseaux défilèrent vers l'île d'Orléans. Les troupes, qui de Beauport avaient eu l'oeil sur eux sans comprendre leur attaque précipitée, aperçurent ce mouvement rétrograde avec douleur, et de ce moment elles perdirent tout espoir de prendre Québec. Néanmoins, ayant reçu cinq pièces de campagne dans la nuit, elles se mirent de nouveau en mouvement le 20, protégées par une avant-garde à leur tête et des éclaireurs sur leurs flancs, pour forcer le passage de là rivière St. – Charles. Mais après avoir côtoyé quelque temps cette rivière, elles rencontrèrent MM. de Longueuil et de Ste. – Hélène à la tête de 200 volontaires qui avaient chargé leurs fusils de trois balles et qui, leur barrant le chemin, les arrêtèrent d'abord tout court, puis les forcèrent ensuite de se réfugier dans un petit bois. Pendant l'engagement M. de Frontenac s'était avancé en personne à la tête de 3 bataillons et les avait rangés en bataille devant la rivière St. – Charles, dans le dessein de la traverser si les volontaires étaient forcés de reculer. M. de Ste. – Hélène reçut dans ce combat une blessure mortelle. C'était un des hommes les plus spirituels et les plus aimables, et l'un des officiers les plus intrépides, qu'eût ce pays. Sa mort causa un regret universel chez les Canadiens. Il était frère de M. d'Iberville.

      Le jour suivant les ennemis firent un troisième effort, qui n'eut pas plus de succès que les deux premiers. Ces échecs répétés devant quelques petits détachemens de milices achevèrent de les démoraliser, d'autant plus que pour atteindre la ville ils avaient toujours une rivière à passer, le gros des Français à combattre, et qu'ils ne pouvaient plus compter sur la flotte pour appuyer leur mouvement. En conséquence il fut décidé dans un conseil de guerre de se rembarquer; ce qui fut effectué avec une si grande précipitation, au milieu d'une nuit orageuse et très obscure, que l'artillerie fut abandonnée sur le rivage quoiqu'il n'y eut pas de poursuite.

      Ainsi à la fin d'octobre, le Canada se trouva délivré de deux armées puissantes, dont l'une avait été dissipée par les maladies et l'autre par le courage des habitans, qui avaient fait, dit une dépêche, tout ce qu'on pouvait attendre de bons soldats, et qui méritèrent par conséquent toutes les louanges que leur donna leur gouverneur. La levée du siége de Québec fit assez de sensation en France, au milieu même des victoires éclatantes qu'elle remportait sur l'Europe, pour que le roi en perpétuât le souvenir par une médaille. Le comte de Frontenac donna, comme trophée, deux des canons abandonnés par l'ennemi à un habitant nommé Carré, qui, par l'habileté de ses manoeuvres à la tête de quelques Canadiens, avait conquis l'admiration générale.

Dans sa retraite dans le bas du fleuve, la flotte ennemie fut assaillie par des vents tempestueux; un vaisseau fut jeté à la côte sur l'île d'Anticosti, où la plus grande partie de l'équipage périt de faim et de froid, plusieurs sombrèrent en mer et se perdirent corps et bien; d'autres enfin furent chassés jusque dans les Antilles. Le reste atteignit Boston avec peine. Plus de 1000 hommes périrent par les maladies, par le feu et par les naufrages dans cette expédition qui coûta au-delà de £40,000 26 à la Nouvelle-Angleterre.

Note 26:(retour) The British Empire in America.

Les colonies anglaises avaient regardé le Canada comme une conquête assurée. Le retour des débris de leur flotte, après avoir subi une défaite, les remplit d'étonnement et d'humiliation. Elles s'étaient vantées d'avance de leurs succès; elles avaient compté sur les dépouilles des vaincus pour payer les frais de la guerre, et elles n'avaient pas pourvu à la solde des troupes, qui, revenues de l'expédition, furent sur le point de se mutiner, parce qu'on n'avait pas de quoi les satisfaire. L'on se hâta de mettre un impôt; mais les soldats ne voulurent pas attendre qu'il fût rentré. Pour sortir

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