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de l'argent par le trésor 27. Ainsi le Canada avec ses 11,000 habitans avait non seulement repoussé l'invasion, mais encore épuisé les ressources financières de provinces infiniment plus riches et 20 fois plus populeuses que lui.

Note 27:(retour) Hutchinson.

La saison des grandes opérations était passée, et les parties belligérantes se trouvaient replacées au même point où elles étaient au début de la campagne. L'Acadie était retombée d'elle-même sous ses anciens maîtres, et les envahisseurs du Canada avaient été repoussés, ou étaient partout en pleine retraite. Ou plutôt la situation des provinces des deux nations était bien moins favorables, car elles étaient toutes en proie à une disette extrême. En Canada l'on fut obligé de disperser les troupes chez les habitans les plus aisés pour leur nourriture. L'argent avait disparu; il fallut que le gouvernement émît une nouvelle monnaie de carte; les denrées et les marchandises n'avaient plus de prix, les munitions de guerre manquaient, et l'intendant était obligé de faire fondre les gouttières des maisons et les poids de plomb pour en faire des balles. L'on avait perdu un grand nombre d'hommes, soldats et miliciens 28. Dans la Nouvelle-Angleterre le commerce était presqu'anéanti, les côtes étaient infestées de corsaires. Les seuls armateurs de St. – Malo avaient pris 16 navires de Boston avec 250,000 francs; les campagnes étaient en friches, et les habitans s'étaient réfugiés dans les villes pour échapper au fer des Indiens et trouver de quoi subsister. Dans l'hiver les Abénaquis y dévastèrent plus de cinquante lieues de pays, et détruisirent la petite ville de York de fond en comble. Tel était en Amérique le fruit d'une guerre occasionnée par la haine de Guillaume III qui jalousait Louis XIV.

Note 28:(retour) Documens de Paris. Cette perte s'élevait à 2000 hommes en 1691.

      Cependant les Iroquois ayant vu le Canada près de succomber, avaient cherché à se retirer de la lutte, car ils prétendaient tenir la balance entre les peuples avec lesquels ils étaient en rapport, et surtout entre les Français et les Anglais. Voici comment raisonnaient ces barbares qui semblaient avoir étudié au foyer de la politique des vieux cabinets de l'ancien monde. «Placés, disaient-ils, entre deux peuples européens chacun assez fort pour nous exterminer, également intéressés à notre destruction lorsqu'ils n'auront plus besoin de notre secours, que nous reste-t-il à faire, sinon d'empêcher qu'aucun ne l'emporte sur l'autre? Alors ils seront forcés de briguer notre alliance ou même d'acheter notre neutralité». Ils envoyèrent donc demander la paix à M. de Frontenac, qui crût que c'était un stratagème des Anglais pour lui donner le change sur quelque projet qu'ils méditaient. Il chargea M. de Callières de faire traîner la négociation en longueur, et invita les Outaouais à continuer leurs hostilités contre les cantons, qui alors reprirent les armes. En même temps le gouverneur écrivait à M. de Pontchartrain, qui venait de remplacer M. de Seignelay dans le ministère de la marine, que la conquête de New-York serait la sûreté du Canada, et désarmerait les cantons, et qu'en se rendant maître absolu de la pêche de Terreneuve, ce qui pourrait se faire en envoyant tous les ans trois ou quatre frégates croiser depuis le Cap de Sable jusqu'au nord de l'île de Terreneuve, on assurerait pour le royaume un commerce de plus de 20 millions, et plus avantageux que ne le serait la conquête des Indes. «Je ne sais, disait-il dans une autre lettre, je ne sais si ceux qui vous ont précédé ont fait attention à l'importance qu'il y a de se rendre maître de toutes les pêches, et à l'avantage qu'elles apporteraient au commerce du royaume; mais rien ne saurait rendre votre ministère plus illustre, que d'engager le roi à entreprendre cette conquête. Je la crois plus importante, répétait-il, que ne le serait celle de toutes les Indes, dont les mines s'épuisent, au lieu que celles-ci sont intarissables.» Sentant l'importance de ce commerce, M. de Frontenac y revenait souvent comme Talon. Ces deux hommes supérieurs avaient découvert que les colonies anglo-américaines ne faisaient tant d'efforts pour s'emparer de la Nouvelle-France qu'afin de rester maîtresses des pêches, et que l'Angleterre les appuyait par ce que cette industrie était la base la plus solide de sa marine. L'on vit pendant cette guerre les marchands de Boston payer aux Français de l'Acadie une taxe pour avoir la permission de pêcher sur les côtes de cette péninsule.

      Tandis que les Abénaquis ravageaient la Nouvelle-Angleterre, les Iroquois au nombre de mille guerriers établissaient leur camp à l'embouchure de la rivière des Outaouais, et delà se répandaient dans le haut de la colonie. Leurs bandes étaient beaucoup plus faciles à vaincre qu'à atteindre, car la nouvelle de leur apparition arrivait souvent avec celle de leur fuite. On organisa des corps volans pour les surveiller et prévenir les surprises. Cette petite guerre où les habitans rivalisèrent de zèle, de patience et de courage avec les troupes, toute fatiguante qu'elle fut, ne causait pas autant de dérangement dans les habitudes qu'elle le ferait aujourd'hui, parce que l'on était accoutumé à cette existence mobile et pleine d'excitation, et que l'on aimait presque cette lutte de guérillas, où la valeur personnelle avait de nombreuses occasions de se distinguer.

      Comme on l'a dit, la contre partie de ces scènes de sang et de dévastation se jouait dans la Nouvelle-Angleterre, où les Abénaquis étaient pour les Français, ce que les cinq cantons étaient en Canada pour les Anglais. La politique des deux gouvernemens coloniaux consistait à travailler à se détacher réciproquement chacun ses alliés pour s'en faire des amis. Il serait oisif aujourd'hui d'entrer dans le détail des négociations conduites simultanément par les deux nations avec les tribus sauvages pour parvenir à ce but. Les Indiens embarrassés prêtaient souvent une oreille également attentive aux deux partis, et leur donnaient les mêmes espérances. Il reste une masse prodigieuse de documens relatifs à toutes ces transactions qui continuaient toujours en temps de guerre comme en temps de paix; mais qui devenaient plus actives lorsqu'on avait les armes à la main. Les Français cherchaient à s'attacher les cantons, les Anglais, les Abénaquis, et toute l'adresse de la diplomatie était mise en jeu par la nation rivale pour faire échouer ces efforts de conciliation. L'on appuyait de part et d'autre ses raisons de riches présens, et pour satisfaire l'humeur guerrière des Sauvages, l'on adoptait leur cruel système de guerre, qui faisait des colonies un vaste théâtre de brigandages et de ruines. L'on donnait en Canada 10 écus pour un Iroquois tué et 20 pour un Iroquois prisonnier. Cette différence de prime qui fait honneur à l'humanité du gouvernement français fut établie afin d'engager les Sauvages alliés à ne point massacrer leurs prisonniers comme c'était l'usage chez les barbares. Dans les colonies anglaises l'on suivait la même pratique, excepté qu'il n'y avait point de prime pour les prisonniers. Un soldat recevait dix louis pour la chevelure d'un Indien, un milicien volontaire vingt louis, et s'il faisait la chasse dans les bois à ce Sauvage comme à une bête féroce, et qu'il en apportât la chevelure, il recevait cinquante louis (Bancroft).

C'était pour encourager les Iroquois à faire des déprédations en Canada, et empêcher toute alliance avec lui, que le major Schuyler de la Nouvelle-York se mit, en 1691, à la tête d'un corps de troupes et d'Indiens pour faire une pointe sur Montréal 29. Cet officier, qui joignait une grande activité à beaucoup de bravoure, surprit, dans la nuit du 10 août, le camp de 700 à 800 hommes que le gouverneur avait fait assembler sous le fort de la Prairie de la Magdeleine, à la première nouvelle de la marche des ennemis. Se glissant le long de la hauteur sur laquelle était le fort à trente pas du fleuve, Schuyler pénétra jusque dans le quartier des milices, sur la gauche, qu'il trouva dégarni et s'y logea. L'alarme fut aussitôt répandue; M. de Saint-Cyrque, qui commandait en l'absence de M. de Callières, malade, marcha sur le champ à lui. Schuyler opposa une vive résistance; mais lorsqu'il se vit sur le point d'avoir toutes les troupes françaises sur les bras, il opéra sa retraite vers la rivière Richelieu en bon ordre et avec peu de perte.

Note 29:(retour) Un document intitulé «A modest and true relation etc.» dans la collection des documens de Londres de M. Brodhead, n'en porte le nombre qu'à 266 dont 146 Sauvages, et dit qu'on ne perdit que 37 hommes dans l'expédition. Mais ce rapport est évidemment inexact.

      A deux lieues de là, il se trouva tout à coup en face de M. de Varennes que M. de Frontenac avait envoyé pour protéger Chambly avec un détachement d'habitans

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