Скачать книгу

habile que lui. Le commandant canadien fit mettre sa troupe ventre à terre derrière deux grands arbres renversés pour essuyer le premier feu des ennemis, puis il les chargea ensuite avec tant d'ordre et de vigueur qu'ils furent rompus partout. Schuyler rallia ses soldats jusqu'à deux fois; mais après une heure et demie de combat, ils se débandèrent et la déroute fut complète. Ils laissèrent quantité de morts sur le champ de bataille. Leurs drapeaux et leur bagage devinrent les trophées du vainqueur. Le jeune et vaillant le Bert du Chêne se distingua à la tête des Canadiens et fut blessé mortellement Les Sauvages combattirent avec une égale bravoure. La perte des Français fut considérable; ils eurent six officiers de tués ou blessés à mort, ce qui fait voir l'acharnement du combat, pendant lequel on se battit longtemps à brûle-pourpoint.

      Les troupes de Varennes, qui étaient sur pied depuis trois jours, par des chemins affreux, sans pouvoir prendre de repos et manquant de vivres, étaient tellement épuisées de fatigue qu'elles ne purent poursuivre les fuyards.

      C'était pour rompre le traité que les Abénaquis venaient de conclure à Pemaquid avec les Anglais, que M. de Villieu en entraîna 250 à sa suite et tomba avec eux, en 1694, sur les établissemens de la rivière Oyster, dans le New-Hampshire, brûla quantité de maisons dont 5 étaient fortifiées et furent vaillamment défendues, et tua ou emmena en captivité un grand nombre d'hommes.

Mais ce genre d'hostilités, qui coûtait beaucoup de sang, ne pouvait avoir d'autre résultat que de plaire aux Sauvages, car ce n'est pas par des irruptions partielles, rapides et fugitives, que l'on devait espérer de faire des conquêtes importantes et qui pussent influer sur le sort de la guerre. Aussi M. de Pontchartrain écrivait-il à M. de Frontenac, que le roi bornait ses vues touchant la Nouvelle-France à ne s'y point laisser entamer. L'ancien monde était en effet le théâtre sur lequel la France, d'un côté, et la coalition européenne, de l'autre, se portaient de grands coups; sur lequel Condé et Luxembourg, pour la première, luttaient avec ses nombreux ennemis conduits par la tête froide de Guillaume III. Celui-ci n'avait guère de loisir non plus pour écouter ses colonies américaines, qui le sollicitaient toujours de leur donner une flotte pour faire une nouvelle tentative sur Québec. Le taciturne monarque, auquel la fameuse victoire de la Hogue avait donné un moment de répit, prêta enfin une oreille favorable à leur demande en 1693, et un immense armement fut organisé dans les ports de l'Angleterre pour s'emparer de la Martinique et du Canada. Quelque secret que fut ce projet, il en transpira quelque chose, et M. de Frontenac fut soucieux tout l'été, ne pouvant compter sur aucun secours de France. La flotte anglaise, commandée par le chevalier Francis Wheeler, devait, après avoir enlevé la Martinique, aller prendre des renforts à Boston et cingler vers Québec. Elle mit à la voile au commencement de l'hiver (1693) et prit le chemin des Antilles françaises. Heureusement, les troupes qu'elle portait essuyèrent une défaite à la Martinique, et furent obligées de se rembarquer avec perte de 900 hommes. Ce premier échec fut suivi de désastres beaucoup plus grands. Le chevalier Wheeler s'étant remis en route pour la Nouvelle-Angleterre, la fièvre jaune se déclara à bord de ses vaisseaux et y fit des ravages affreux. Lorsqu'il arriva à Boston, il avait perdu 1300 matelots sur 2000, et 1800 soldats sur 2500, qui lui restaient après sa défaite aux Antilles. L'épidémie se communiqua à la ville et y décima la population. L'on dut abandonner une entreprise commencée sous d'aussi funestes auspices. La flotte regagna l'Angleterre après avoir jeté en passant quelques boulets sur Plaisance 30. Ce dernier effort acheva d'épuiser les colonies, anglaises qui avaient fait des dépenses considérables pour lever des troupes; et de guerre lasse, elles supplièrent presque la métropole de leur faire avoir la paix 31. Le Canada échappa ainsi encore une fois à un danger réellement plus grand que celui de 90; car sans tous ces malheurs la supériorité numérique des assaillans aurait rendu toute résistance vaine. Néanmoins comme il avait été quelque temps caché, et qu'il n'apparut que dans le lointain, l'on n'éprouva pas de s'en voir délivré une joie aussi vive que de la retraite de l'amiral Phipps.

Note 30:(retour) American annals.

Note 31:(retour) Lettre du gouverneur Fletcher: London documents, de la collection de M. Brodhead à la Secrétairerie d'état, Albany. Nous ne citerons désormais ces documens que sous le nom de Documens de Londres.

La Fiance attendit pour prendre sa revanche jusqu'en 1696. A cette époque le ministère résolut de faire sauter Pemaquid, sur la suggestion de M. de Villebon, et de chasser les Anglais de tous les postes qu'ils occupaient dans l'île de Terreneuve et à la baie d'Hudson. Le comte de Frontenac proposait depuis longtemps 32 de prendre Boston que l'on brûlerait, et New-York que l'on garderait, parce que ce dernier poste seul serait utile au Canada. Par cette conquête l'on se trouverait maître de toutes les pêches; mais la politique européenne fit taire la politique coloniale, qui fut toujours regardée par la France comme secondaire, parce que son théâtre à elle est l'ancien monde, dont elle est le pivot, parce que sa force à elle réside dans ses soldats de terre. L'on s'en tint au premier projet, dont l'exécution fut confiée au courage de M. d'Iberville. L'on verra dans le chapitre suivant comment il s'en acquitta. En même temps la cour envoya de nouveaux ordres à M. de Frontenac d'abattre à tout prix l'orgueilleuse confédération iroquoise, qui continuait toujours les hostilités malgré les dures leçons qu'elle avait reçues deux ou trois ans auparavant (1693).

Note 32:(retour) Documens de Paris 1691.

      Huit cents de leurs guerriers ayant fait mine d'entrer en Canada, le gouverneur avait cru qu'il était temps de châtier ces barbares indomptables contre lesquels on avait envoyé une expédition inutile de 300 hommes, dans l'hiver précédent (1692), commandée par M. de Louvigny. Six cents hommes eurent ordre de tomber au milieu de l'hiver sur le canton des Anniers, le plus acharné contre les Français. Ils partirent de Montréal à la fin de janvier. Les trois bourgades de cette belliqueuse tribu furent détruites, et l'on fit 250 prisonniers. Néanmoins ces Sauvages reparurent encore dans la colonie le printemps suivant, et quelques unes de leurs bandes vinrent même éprouver une défaite dans l'île de Montréal. Ils commençaient cependant à se lasser, eux aussi, de la guerre. Les Miâmis leur avaient déjà tué plusieurs centaines de guerriers, et ils venaient encore de les battre complètement sur les bords du lac Huron. Le gouverneur profita de cet épuisement pour frapper un dernier coup et obéir aux instructions du roi. Comme mesure préliminaire, il ordonna de relever le fort de Frontenac; ce qui fut exécuté malgré les représentations de la Nouvelle-York, dont le gouverneur, M. Fletcher, fit en même temps des présens considérables aux Iroquois pour attaquer et raser ce fort s'il était possible. L'importance que les ennemis mettaient à cette position, justifie le désir de M. de Frontenac de s'y maintenir, malgré l'opinion de bien des gens dans la colonie et en France, entre autres de l'intendant, M. de Champigny, et même du roi dont les ordres contraires arrivèrent trop tard pour êtee exécutés.

Cependant la lutte en Europe épuisait les ressources de la France. Le ministère, tout en enjoignant de presser les Iroquois avec vigueur, recommandait l'économie, disant qu'il n'y avait pas d'apparence que le roi pût supporter longtemps la dépense à laquelle la guerre du Canada l'engageait, dépense qui s'éleva en 1692, seulement pour la solde de 1300 hommes avec les officiers, à 218 mille francs (Documens de Paris); et qu'il voulait que les colons vécussent dans l'étendue de leurs établissemens, c'est-à-dire en d'autres termes, que tous les postes dits des pays d'en haut fussent évacués. L'on sait que les cantons étaient excités aux hostilités par les Anglais, parce que ces derniers voulaient s'emparer au moins de tout le commerce de l'Ouest s'ils ne pouvaient pas conquérir la Nouvelle-France. Par le plus étrange des raisonnement, la cour allait abandonner justement les contrées dont l'Angleterre convoitait le plus ardemment la possession, et évacuer tous les postes du Mississipi et des lacs, auxquels les marchands canadiens attachaient tant d'importance, qu'ils avaient avancé des fonds au commencement de la guerre pour leur entretien 33. Le comte de Frontenac montra dans cette occasion cette fermeté de caractère dont il avait déjà plus d'une fois donné des preuves. Convaincu du danger d'une démarche aussi inconsidérée, il prit sur lui

Скачать книгу