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      Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome II

      LIVRE V

      CHAPITRE I

      COLONIES ANGLAISES.

      1690

      Objet de ce chapitre. – Les persécutions politiques et religieuses fondent et peuplent les colonies anglaises, qui deviennent en peu de temps très puissantes. – Caractère anglais dérivant de la fusion des races normande et saxonne. Institutions libres importées dans le Nouveau-Monde, fruit des progrès de l'époque. – La Virginie et la Nouvelle-Angleterre. – Colonie de Jamestown (1607). – Colonie de New-Plymouth et gouvernement qu'elle se donne (1620). – Immensité de l'émigration. – L'Angleterre s'en alarme. – La bonne politique prévaut dans ses conseils et elle laisse continuer l'émigration. – New-Plymouth passe entre les mains du roi par la dissolution de la compagnie-Commission des plantations établie; opposition qu'elle suscite dans les colonies; elle s'éteint sans rien faire. – Etablissement du Maryland (1632) et de plusieurs autres colonies. – Leurs diverses formes de gouvernement: gouvernemens à charte, gouvernemens royaux, gouvernemens de propriétaires. – Confédération de la Nouvelle-Angleterre. – Sa quasi-indépendance de la métropole. – Population et territoire des établissemens anglais en 1690. – Ils jouissent de la liberté du commerce. – Jalousie de l'Angleterre: actes du parlement impérial et notamment l'acte de navigation passés pour restreindre cette liberté. – Opposition générale des colonies; doctrines du Massachusetts à ce sujet. – M. Randolph envoyé par l'Angleterre pour faire exécuter ses lois de commerce; elle le nomme percepteur général des douanes. Négoce étendu que faisaient déjà les colons. – Les rapports et les calomnies de Randolph servent de prétextes pour révoquer les chartes de la Nouvelle-Angleterre. – Ressemblance de caractère entre Randolph et lord Sydenham. Révolution de 1690. – Gouvernement. – Lois. – Education. – Industrie. – Différence entre le colon d'alors et le colon d'aujourd'hui, le colon français et le colon anglais.

      Le Canada n'avait pas été actuellement en guerre avec les Anglais depuis le traité de St. – Germain-en-Laye en 1632. A cette époque reculée, où les colonies de l'Amérique septentrionale naissaient à peine, les combattans étaient tous des Européens, qui se disputaient des lambeaux du continent dû au génie de Colomb. Aucun d'eux n'avait pris les armes pour défendre le sol de sa vraie patrie; la terre qu'ils foulaient était encore à leurs yeux une terre étrangère. Mais en 1689 les choses avaient déjà changé. Il y avait alors des Canadiens, il y avait des Américains, il y avait une patrie, ce mot si magique pour le soldat. Et chose remarquable, les Européens laissèrent pour ainsi dire le champ libre à ces nouveaux hommes, qui essayèrent leur force et leur courage les uns contre les autres, et déployèrent dans la lutte cette même ardeur et cette haine nationale dont leurs mères-patries respectives donnaient le douloureux spectacle depuis des siècles dans l'ancien monde.

      Nous savons quel développement avait pris en 1689 le Canada en population, en industrie et en richesses. Pour bien apprécier les moyens relatifs des parties belligérantes, et les dangers de la guerre pour ce pays, il est nécessaire de posséder la même connaissance relativement aux colonies anglaises, qui forment aujourd'hui une des premières nations du monde.

      Après les tentatives infructueuses de colonisation dont il a été dit quelques mots dans une autre partie de cet ouvrage, l'Angleterre cessa de s'occuper de l'Amérique, qu'elle ne fréquenta plus que par ses pêcheurs et ses baleiniers. La France montra plus de persévérance, elle s'obstina dans son entreprise jusqu'à ce qu'elle eût réussi à s'établir en Acadie et en Canada d'une manière permanente.

Mais à peu près dans le temps où elle s'était assurée un pied solide dans le Nouveau-Monde, des guerres politiques et religieuses vinrent bouleverser l'Angleterre, et rejeter hors de son sein une population formée par les débris des partis vaincus, qui, tour à tour opprimés par le vainqueur, abandonnèrent leur patrie pour aller s'en créer une nouvelle ailleurs. Ils fondèrent la Virginie, New-Plymouth, le Massachusetts et bien d'autres provinces. La bigoterie et un zèle aveugle régnaient parmi toutes les sectes chrétiennes. Chacun niait à son voisin ce que tous les hommes avaient droit de posséder, la liberté de conscience. C'est à cela que l'on doit attribuer, sinon l'établissement, du moins l'état florissant de l'Amérique aujourd'hui 1. La cause première de cette émigration involontaire subsistant toujours, ces nouvelles colonies se peuplèrent rapidement et surpassèrent bientôt celles de la France.

Note 1:(retour) History of Massachusetts Bay.

      Ensuite, le génie commerçant de l'Angleterre, qui commençait à se déployer à la faveur de la liberté, favorisa l'accroissement de ces mêmes possessions lointaines. Ce fut un bonheur pour celles-ci que cette nouvelle direction donnée à l'esprit national; elles en profitèrent plus que leur mère-patrie elle-même.

La race saxonne, agreste et engourdie, observe un écrivain, aurait fait peu de bruit dans le tournoi des peuples, si des myriades de Normands, de Poitevins et d'autres Français de toutes les provinces, ne fussent venus la réveiller rudement à la suite de Guillaume-le-Conquérant. De cette époque et de la fusion graduelle des deux races, datent les progrès qui se sont manifestés successivement dans le génie, les institutions et la puissance de l'Angleterre. L'audace, l'activité et la rapacité normandes ont fécondé la vieille torpeur saxonne. Des excès de la tyrannie organisée par la conquête et des résistances féodales sont nées les alliances des intérêts lésés, et de ces alliances tout le système municipal et parlementaire de la Grande-Bretagne 2. Les colons américains importèrent avec eux, comme un dépôt sacré, ce système municipal et parlementaire, première cause de leurs succès futurs.

Note 2:(retour) Maillefer.

L'époque de l'établissement de l'Amérique septentrionale est remarquable par la révolution qui s'opérait dans les esprits chez toutes les nations et particulièrement en Angleterre, où le peuple, ne se contentant pas de vaines théories, réclamait la mise en pratique de ces grands principes sociaux, que la marche de la civilisation et les doctrines chrétiennes commençaient à développer aux yeux de la multitude. Ce peuple fut le premier qui posséda, dans son parlement, l'arme nécessaire pour lutter avec avantage contre le despotisme. Jacques I donnait le nom de rois 3 aux membres des Communes, à ceux même que Henri VIII avait traités de brutes, tant s'était accrue déjà leur puissance. Les principes de la liberté, les droits de l'homme, la nature et l'objet d'un gouvernement, étaient des questions qui occupaient tous les esprits, et qui se discutaient jusque dans le village le plus reculé du pays avec une extrême chaleur. Mais faute d'habitude on abusa, comme cela arrive toujours là où la liberté ne fait que de naître, de cette même liberté pour laquelle on combattait; et le vainqueur la refusa au vaincu, qui fut poursuivi, persécuté, proscrit. Les querelles de religion se mêlant à celles de la politique, fournirent de nouveaux alimens à l'incendie dans lequel disparurent les restes de l'Eglise de Rome et le trône. Les puritains prétendaient vouloir la liberté religieuse et la liberté politique, et cependant, durant leur domination sous Cromwell, ils se montrèrent plus exclusifs et plus persécuteurs que les royalistes qu'ils avaient renversés. Mais les principes survivent à ceux qui en abusent; et les nouvelles idées fructifièrent en Amérique, où les portèrent ces mêmes puritains déchus. La réaction qui eut lieu en Angleterre après la mort du Protecteur, les priva de toute autorité, et les livra à la vengeance d'un vainqueur irrité également contre les maximes religieuses et contre les maximes politiques qu'ils avaient invoquées indistinctement pour opérer la révolution qui avait amené Charles I à l'échafaud et l'établissement d'une république. Les plus zélés et les plus compromis durent alors chercher à se soustraire à un gouvernement auquel leurs idées ne pouvaient jamais leur permettre de se rallier, et ils émigrèrent sur les rives du Nouveau-Monde, emportant avec eux leurs principes et ces institutions libres dans lesquelles ils avaient converti des maximes générales en vérités pratiques. Le droit de représentation, l'institution précieuse du jury, le vote des subsides par le peuple, et plusieurs autres priviléges essentiels à la liberté du citoyen, furent des dogmes qu'ils y transplantèrent, qui servirent de base à leur organisation sociale, et qui ne cessèrent plus d'être regardés comme les droits les plus précieux de l'homme. Les monopoles, les ordres

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