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de ce premier succès, ils entreprirent sur le champ une seconde expédition encore plus importante. Les ennemis avaient élevé une douzaine de petits forts pour protéger les établissemens qu'ils avaient dans leur voisinage; ils les attaquèrent brusquement, les surprirent, et renouvelèrent les horreurs dont Montréal venait d'être le théâtre. Ils les emportèrent tous les uns après les autres, et deux cents personnes périrent sous le glaive de ces barbares. Après ce sanglant exploit, qui répandit la terreur dans toute la Nouvelle-Angleterre, ils s'en retournèrent chargés de butin. Ces deux expéditions, entreprises coup sur coup, ôtèrent à celle-ci tout espoir de former une alliance avec les Abénaquis, et de les détacher des Français.

      L'exécution de la troisième partie du plan d'attaque des Français était laissée à la discrétion et au jugement de M. de Frontenac. On devait croire qu'il ne négligerait rien pour harasser l'ennemi et lui faire tout le mal possible, suivant les règles de la guerre; car les hommes ont aussi établi des lois pour s'entre-détruire.

      Ce qui avait fait le plus de tort aux Français dans l'estime des Sauvages, c'est leur inactivité, qu'ils prenaient pour de la crainte. Le gouverneur fit dire à M. de la Durantaye, commandant à Michilimackinac, qu'il allait porter la guerre dans les colonies anglaises, et qu'il eût à en prévenir les Outaouais et les Hurons, auxquels il devait faire comprendre que les affaires allaient changer, et que la France allait prendre une attitude digne d'elle.

Sans attendre la belle saison, il mit trois expéditions sur pied au milieu de l'hiver (1689-90) pour fondre par trois endroits à la fois sur le pays ennemi. La première, commandée par MM. d'Aillebout de Mantet et Lemoine de Ste. – Hélène et composée d'un peu plus de 200 Canadiens et Sauvages, fut lancée sur la Nouvelle-York. Plusieurs gentilshommes en faisaient partie, et entre autres M. Lemoine d'Iberville, celui-là même qui avait pris deux vaisseaux aux Anglais dans la baie d'Hudson l'année précédente, et M. LeBert du Chêne. Ces hardis chefs de bande formèrent le projet d'attaquer Albany; mais les Indiens, intimidés par l'audace de l'entreprise, refusèrent d'y aller. Il fut résolu alors de se rabattre sur Schenectady, situé à 17 milles d'Albany, et que les Français appelaient Corlar, du nom de son fondateur. L'on arriva le 8 février, dans la soirée, devant cette ville ou bourg dont l'enceinte en forme de carré long était percée de deux portes et renfermait 80 maisons. Les habitans, quoiqu'avertis plusieurs fois de se tenir sur leurs gardes, dormaient dans une fatale sécurité ne mettant pas même de sentinelles à leurs portes. Ils n'avaient pas voulu croire qu'il fût possible aux Canadiens, chargés de leurs vivres et de leurs armes, de faire plusieurs centaines de milles au travers des bois et des marais, au milieu des glaces et des neiges. Incrédulité qui leur coûta cher! Les Français ayant reconnu la place, y entrèrent sans bruit vers 11 heures du soir par une grosse tempête de neige, et investirent toutes les maisons. Ces hommes couverts de frimats et l'oeil ardent devaient paraître comme d'effrayans fantômes dans les rues désertes de Schenectady destiné à périr dans cette affreuse nuit. Les ordres se donnaient bas et la capotte du soldat, suivant la consigne, assourdissait le bruit des armes, lorsqu'à un signal donné chacun poussa un cri sauvage et s'élança dans les maisons, dont les portes furent brisées à coups de hache. Les malheureux habitans tout effrayés ne songèrent guère à se défendre. Il n'y eut qu'à une espèce de fort gardé par une petite garnison, et que d'Aillebout de Mantet avait attaqué lui-même, où l'on éprouva une vive résistance. L'on s'en empara enfin, et tout ce qu'il y avait dedans fut passé au fil de l'épée. La ville fut ensuite livrée au flammes. Deux maisons seulement furent épargnées, celle où l'on avait porté un officier canadien blessé, M. de Montigny, et celle du commandant de la place, le capitaine Sander, dont l'épouse avait autrefois généreusement recueilli quelques prisonniers français, et qui reçut dans cette circonstance le prix de sa noble conduite. Un grand nombre de personnes périrent dans ce massacre, fruit du système atroce de guerre qu'on avait adopté, et secondes représailles de celui de Lachine attribué aux instigations des Anglais. On accorda la vie à une soixantaine de vieillards, femmes et enfans, échappés à la première furie des assaillans, dont 27 furent emmenés en captivité 19. Le reste de la population se sauva dans la direction d'Albany, sans vêtemens, au milieu d'une neige épaisse qui tombait toujours poussée par un vent violent. Vingt-cinq de ces fugitifs perdirent des membres qu'ils s'étaient gelés.

Note 19:(retour) Plusieurs de ces détails m'ont été fournis par Dr. O'Callaghan auteur d'une Histoire de la Nouvelle-York sous la domination hollandaise, et qui les a puisés dans les archives du pays où s'est passé l'événement.

      La nouvelle de cette affreuse tragédie arriva dans la capitale de la province au point du jour. Elle y fut apportée par un homme qui n'avait eu que le temps de sauter sur son cheval, et qui avait eu un genoux fracassé par une balle en fuyant. Elle jetta la ville dans la plus grande consternation; l'on disait que les Français arrivaient et qu'ils étaient 1400, tant la peur avait déjà grossi leur nombre. L'on tira le canon d'alarmes, la ville fut mise en état de défense, et la milice appelée sous les armes jusqu'à une grande distance.

      Cette expédition fit une sensation extraordinaire parmi les tribus indiennes, et l'on n'en parle encore chez les anciens habitans de la Nouvelle-York qu'avec un sentiment de terreur. La retraite fut accompagnée de plusieurs accidens; l'on manqua de vivres, les hommes furent obligés de se disperser; plusieurs furent tués ou pris, et le reste atteignit Montréal épuisé de fatigues et de faim.

      La seconde bande, formée aux Trois-Rivières, n'était composée que de 52 Canadiens et Sauvages. M. Hertel, homme de tête et de résolution, la commandait. Après une marche de deux mois, il tomba à la fin de mars sur l'établissement de Salmon Falls (Sementels), formé au bord de la rivière Piscataqua, dans la Nouvelle-Angleterre, et défendue par une maison fortifiée et deux forts de pieux. Il fit attaquer sur le champ tous ces ouvrages à la fois et les emporta d'assaut. On y fit 54 prisonniers, 27 maisons furent brûlées, et 2000 pièces de bétail périrent dans les flammes.

      Les ennemis, s'étant ralliés, se présentèrent vers le soir au nombre de 200 pour attaquer Hertel. Il s'était mis en bataille sur le bord d'une petite rivière sur laquelle il y avait un pont étroit qu'il fallait passer pour l'atteindre. Les Anglais méprisant le petit nombre de ses soldats, s'y engagèrent avec une grande assurance. Lorsque Hertel jugea qu'ils s'étaient assez avancés, il les chargea l'épée à la main; dix huit ennemis tombèrent tués ou blessés du premier choc. Le reste tourna le dos et lui abandonna le champ de bataille. La Fresnière, son fils aîné fut blessé, Crevier son neveu fut tué. Après cette rencontre, il se retira sans plus être inquiété.

      Le troisième parti fut organisé à Québec. Le gouverneur avait voulu par ce partage exciter sans doute l'émulation et l'ardeur de ces bandes. M. de Portneuf, fils du baron de Bécancourt, le commandait. Il était composé de Canadiens, d'une compagnie de troupes tirée de l'Acadie et d'Abénaquis, et il fut aussi heureux que les autres. Il s'empara de Casco, bourg situé sur le bord de la mer à l'embouchure de la rivière Kénébec, et défendu par un fort monté de 8 canons, devant lequel il fallut ouvrir la tranchée. La garnison aurait fait une plus longue défense probablement sans une sortie dans laquelle périrent une partie de ses plus braves soldats. Les fortifications furent rasées, et les maisons réduites en cendre à deux lieues à la ronde.

      Ces bandes intrépides qui ne s'étaient pas contentées de ravager le plat pays comme le portaient leurs ordres; mais qui s'étaient attaquées aux places fortifiées même; ces soldats que n'arrêtaient ni la distance, ni la rigueur de l'hiver, ni les fatigues et les dangers de toute espèce, apprirent aux colonies anglaises qu'une direction énergique présidait aux opérations de leur ennemi, et, ce qui était bien plus important, firent rompre les négociations qui se continuaient entre les alliés du Canada et les Iroquois confédérés, pour former une ligue contre lui.

      Le comte de Frontenac, pour montrer aux Indiens occidentaux que ces victoires n'étaient pas vaines, et afin de les mettre aussi en état de se passer du commerce anglais, envoya dans le printemps suivant (1690) un grand convoi de marchandises à Michilimackinac pour la traite. En même temps, il fit offrir à ces Sauvages des présens par le célèbre voyageur Nicolas Perrot, pour lequel ces peuples continuaient toujours

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