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publique sur Randolph; il devint si odieux que l'on perdait sa popularité seulement à correspondre avec lui 14. Emprisonné par le peuple dans l'insurrection qui éclata à Boston en 1689, à la suite de la nouvelle du débarquement de Guillaume III en Angleterre, ce malheureux reconnut lui-même, dans une lettre qu'il écrivit à un des gouverneurs des Iles, le mal qu'il avait fait aux colons et la haine qu'ils lui portaient. «Ce pays est pauvre, écrivait-il, l'observation rigoureuse des lois de commerce a pesé grièvement sur les habitans; tout le blâme retombe sur moi; sur moi qui le premier ai attaqué leur charte, et la leur ai fait perdre, sur moi qui ai continué leur servitude par l'exercice de mon office de percepteur des douanes».

Note 14:(retour) «His (M. Dudley) correspondency, écrivait M. Danforth, with that wicked man, M. Randolph, for the overturning the government, has made him the object of the people's displeasure».

      Le despotisme ainsi établi et organisé fut rempli de troubles et de confusion, et ne put durer que jusqu'en 1691. L'opposition toujours de plus en plus violente des habitans força Guillaume et Marie de leur octroyer un gouvernement plus libéral. Toute la Nouvelle-Angleterre fut réunie en une seule province avec l'Acadie nouvellement conquise, et reçut une constitution représentative, qui exista jusqu'à la révolution; mais dont les pauvres Acadiens, soumis à toute sorte de servages, furent exclus au moins dans la pratique.

Malgré leur dépendance de la mère-patrie, les colons anglais de l'Amérique avaient été jusque-là l'un des peuples les plus libres de la terre, et ils possédaient tous les élémens nécessaires pour devenir une grande nation. Ils avaient entre leurs mains les moyens de se former aux habitudes d'une société indépendante et à la science d'un gouvernement électif et populaire. Dès son origine, la Nouvelle-Angleterre s'était faite un code de lois, appelé «The Body of liberties,» qui fut observé jusqu'à ce que les besoins nécessitèrent de le modifier ou de l'augmenter. Le nom seul de ce code indique déjà par lui-même quels étaient les sentimens du peuple. Les dispositions de la partie criminelle, tirées de la Bible et modelées sur les lois pénales des Hébreux, démontrent jusqu'où les puritains avaient poussé le fanatisme biblique 15. C'est dans le vieux code du Connecticut, un des Etats qui ont le mieux gardé les maximes et les moeurs originaires, que ce caractère est le plus prononcé. Ces lois dites les lois bleues (blue laws), punissent de mort l'enfant qui a maudit ou frappé ses pareils; elles donnent droit de vie et de mort aux pères sur le fils adulte coupable d'opiniâtreté et de rébellion (stubborn and rebellious son); elles défendent le mensonge et le jurement profane sous peine de l'amende, du pilori et du fouet, chaque récidive entraînant une forte aggravation de peine. L'usage du tabac est interdit; un baiser donné ou reçu entre jeunes gens de différent sexe leur coûte une admonestation publique et une amende; les ivrognes sont fouettés; il n'est pas permis de courir le dimanche, ni de se promener dans son jardin, ni de voyager, ni de cuire son dîner, ni de faire les lits, balayer la maison, se faire tondre ou raser, ni d'embrasser sa femme, ni à la mère d'embrasser son enfant! Il est également interdit de fêter Noël ou les saints, de faire des pâtés de hachis (mince pies), de danser ou de jouer d'autres instrumens que le tambour, la trompette ou la guimbarde. Personne ne doit fournir le vivre ou le couvert à un quaker ou à d'autres hérétiques. Celui qui se fera quaker sera banni, et s'il revient, puni de mort. (Les quakers refusaient de tirer sur les Indiens.) «La plupart des articles de ce code sont fondés sur des versets de l'Exode, du Lévitique et du Deutéronome. L'horreur des puritains de la Nouvelle-Angleterre contre le catholicisme les aveuglait au point que ces radicaux intraitables, à force de remonter aux dogmes primitifs, reculaient jusqu'au judaïsme. Non-seulement leurs codes, mais leurs idées, leur langage, leurs noms étaient hébreux. Il semblait que leur rigidité craignît de s'amollir au contact de la mansuétude évangélique.»

Note 15:(retour) Aussi la rédaction du code est accompagnée de renvois au texte de l'écriture. Voici quelques articles pris au hasard.

      Tous les magistrats seront choisis:

      L'Imprimerie, cette arme si redoutable à la tyrannie et aux abus, fut introduite à Cambridge dans le Massachusetts peu de temps après sa fondation (1638). Le premier ouvrage qui sortit de la presse américaine, fut «The Freeman's Call» un an après. Bientôt régna cette liberté de la pensée, cette indépendance de l'esprit qui est le partage d'une nation libre et avancée dans la civilisation, et qu'on retrouve rarement dans une colonie, même de nos jours. Dans ces petites sociétés naissantes, il est bien permis aux partis d'avoir une polémique violente, factieuse quelquefois sur des points particuliers; mais qu'un homme se lève avec les armes de la raison pour défendre des principes qui sont d'une application générale, s'ils affectent le gouvernement, les hommes en autorité, soit militaire, civile ou religieuse, s'ils sont en opposition avec leurs intérêts, leur ambition, leurs vues, il n'aura pas d'écho, le peuple si turbulent dans ses colères, sera paralysé par une influence mystérieuse, par mille petits liens, qui des lieux occultes où trônent ces pouvoirs vraiment redoutables, s'étendent partout autour de lui, enchaînent ses pas, et lui montrent leur puissance et son néant. Tel homme n'oserait combattre un de ces pouvoirs sans s'être du moins assuré l'appui de l'autre, pour le protéger en cas de revers. Le peuple de la Nouvelle-Angleterre est celui de toute l'Amérique qui s'est affranchi le premier de cet esprit de dépendance qui tient au sentiment qu'on a contracté de sa faiblesse, ou plutôt c'est parce qu'il ne l'avait pas, qu'il se trouvait rejeté sur les rives du Nouveau-Monde. Aussi ce peuple est-il le premier qui ait produit des hommes célèbres dans les lettres et dans les sciences: témoin, Franklin.

L'éducation si nécessaire aux peuples libres est un des premiers objets qui occupèrent l'attention des colons anglais; ils savaient qu'elle était la principale sauve-garde de leurs franchises. Ce fut la Nouvelle-Angleterre qui commença et qui établit le système d'éducation primaire le plus populaire. Elle posa pour principe que l'éducation du peuple doit être à la charge commune et obligatoire, acte qui annonce déjà des vues profondes et en avant de l'époque. Des écoles furent ouvertes dans toutes les paroisses, sous la direction de comités élus par le peuple, qui votait les contributions nécessaires pour cet important objet. Afin, disaient ses législateurs, que les lumières de nos pères ne soient pas ensevelies avec eux dans leurs tombeaux, nous décrétons, à peine d'amende, que tout arrondissement de 50 feux établira une école publique où l'on enseignera à lire et à écrire; et que toute ville de cent feux établira une école de grammaire dont le maître pourra préparer les enfans pour l'université. Cette loi qui se propagea dans les autres colonies, existe encore en substance dans le Massachusetts, qui s'en enorgueillit à juste titre 16. Il est résulté de là que l'éducation est plus universellement répandue parmi le peuple des Etats-Unis, que parmi aucune autre nation du monde. En s'occupant de l'éducation primaire, l'on n'oublia pas les hautes études. Le célèbre collége de Harvard fut fondé dès 1638. Cet exemple fut suivi bientôt après par les autres provinces, excepté la Virginie où, sous ce rapport, l'on fit d'abord moins de progrès. Aussi le chevalier Berkeley s'en glorifia-t-il dans cette réponse singulière qu'il donna dans le cours d'un interrogatoire qu'on lui faisait subir: «Dieu merci, dit-il, il n'y a dans la colonie, ni écoles libres, ni imprimerie; et j'espère que nous n'en aurons pas d'ici à trois siècles; car les connaissances ont légué au monde la rébellion, l'hérésie et toutes les sectes; et l'imprimerie les a répandues, comme elle a propagé les libelles contre le meilleur des gouvernemens», finissant ainsi le panégyrique de l'ignorance par la peinture des inconvéniens qui résultent des lumières pour l'autorité.

Note 16:(retour) Story: Commentaries on the Constitution of the United States.

      Dans le tableau rapide qui précède, nous avons assisté à la naissance, suivi les progrès des colonies anglaises jusqu'à la fin du 17e. siècle, et esquissé les formes de leur société et les principes qui la dirigeaient. S'expatriant pour fuir la tyrannie et les persécutions, leurs habitans ne soupiraient qu'après la liberté; ils ne craignaient rien tant que de retomber

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