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virent Colbert peupler le Canada de soldats licenciés et élever des forts sur leurs frontières, ils s'alarmèrent et pressèrent l'Angleterre d'éloigner d'eux des voisins qui troublaient leur commerce, et menaçaient leur indépendance. Témoins de l'ambition et des conquêtes de Louis XIV, qui dictait des lois à l'Europe, ils tremblaient que quelque jour la puissance de ce monarque ou de ses successeurs, ne se fit sentir en Amérique comme dans l'ancien monde. Le Canada, organisé militairement, pouvait devenir un voisin incommode et dangereux. Ils voulurent donc détruire, dès son enfance, cet ennemi qui les menaçait déjà, qu'ils ont combattu tant de fois depuis, et qui, semble interroger aujourd'hui secrètement sa pensée, partagée entre des idées d'indépendance future et absolue et de fraternisation avec ceux qui cherchaient ainsi à les expulser à jamais du continent. Ils firent offrir à leur métropole des secours en hommes et en argent; et pour montrer leur bonne volonté, ils mirent immédiatement sur pied, en 1690, deux armées de deux mille hommes chacune pour envahir le Canada. Nous verrons bientôt de quel résultat fut accompagné le mouvement agresseur de ces colons déjà si ambitieux.

      On a dû remarquer déjà que le caractère de l'émigration d'autrefois et de l'émigration d'aujourd'hui n'est pas le même. L'ancien colon américain n'est point l'image de l'émigrant qui débarque de nos jours sur les rivages de l'Amérique. Le premier s'exilant pour ne point abandonner des principes religieux ou politiques pour la défense desquels il avait combattu, et qu'il chérissait toujours, conservait malgré sa défaite ce respect pour l'honneur, cette fierté républicaine qu'il avait contractée dans des luttes dont l'empire devait être le prix. Le second, au contraire, n'est point une victime politique, c'est le fruit surabondant d'une société trop pleine et corrompue, que les vicissitudes du commerce, la centralisation de la propriété et les vices d'une organisation sociale très compliquée, ont réduit à la dernière misère. Les préoccupations de son esprit sont tout entières concentrées dans la recherche des moyens de se procurer une nourriture qui lui manque sans cesse. Cet homme ne peut avoir ni la noblesse de sentiment, ni l'indépendance de caractère qui ont distingué les premiers colons de l'Amérique septentrionale. Accablé sous le poids de la misère, et insensible à tout ce qui n'est pas immédiatement lié à son existence matérielle, il lui faudra à coup sûr de longues années d'aisance pour atteindre au niveau des républicains du Massachusetts ou des gentilshommes catholiques du Maryland. Il est facile de concevoir, qu'avec de pareils élémens la politique d'une métropole a plus de chances de prolonger sa domination.

Si l'on compare à présent le colon français avec le colon anglais du 17e et du 18e siècle, l'on trouve encore là un grand contraste. Ce dernier était principalement dominé par l'amour de la liberté, du commerce et des richesses qu'il fournit 17. Il faisait avec plaisir tous les sacrifices pour s'assurer la possession de ces trois objets, vers lesquels tendaient toutes ses pensées. Aussi dès que les traitans de l'Acadie le molestèrent par leurs courses, ou que les Hollandais de la Nouvelle-York génèrent son extension, il dirigea tous ses efforts pour s'emparer de ces deux contrées. En Acadie, il n'y avait que quelques centaines d'habitans dispersés sur les bords de la mer; il lui fut par conséquent assez facile de conquérir cette province encore couverte de forêts. La Nouvelle-Belgique encore moins en état de se défendre, passa sous son joug sans faire de résistance. Le colon canadien resta seul dans la lice avec lui; et la lutte, commencée déjà depuis longtemps, devint alors plus vive, plus intéressante et mieux définie.

Note 17:(retour) Lord Brougham exagère singulièrement un fait lorsqu'il dit, «que ce colon bornait ses espérances de richesses aux inspirations du St. – Esprit, et son ambition au désir de posséder le ciel dans l'autre vie». L'histoire nous prouve qu'il avait autant d'horreur de l'esclavage politique et commercial que de l'esclavage religieux.

      La vie à la fois insouciante et agitée, soumise et indépendante du Canadien, avait une teinte plus chevaleresque, plus poétique si l'on peut parler ainsi, que celle de ses voisins. Catholique ardent, il n'avait pas été jeté en Amérique par les persécutions, il ne demandait pas une liberté contre laquelle peut-être il eût combattu, c'était un aventurier inquiet, qui cherchait une vie nouvelle, ou un vétéran bruni par le soleil de la Hongrie, qui avait vu fuir le croissant devant lui sur le Raab, et pris part aux victoires des Turenne et des Condé. La gloire militaire était son idole, et, fier de marcher sous les ordres de son seigneur, il le suivait partout, et risquait sa vie avec joie pour mériter son estime et sa considération. C'est ce qui faisait dire à un ancien militaire: Je ne suis pas surpris si les Canadiens ont tant de valeur, puisque la plupart descendent d'officiers et de soldats qui sortaient d'un des plus beaux régimens de France.

      L'éducation que les seigneurs et le peuple recevaient des mains du clergé presque seul instituteur en Canada, n'était point de nature à éteindre cet esprit qui plaisait au gouvernement, et qui était nécessaire jusqu'à un certain point au clergé lui-même, pour protéger plus efficacement les missions catholiques, lesquelles redoutaient pardessus tout la puissance et les principes protestans de leurs voisins. Ainsi le gouvernement et le clergé avaient intérêt à ce que le Canadien fût un guerrier. A mesure que la population augmentait en Canada, la milice avec ce système devait y devenir de plus en plus redoutable. C'était en effet presqu'une colonie militaire: dans les recensemens l'on comptait les armes, comme dans les rôles d'armée. Tout le monde en avait (voir App. A).

      Tels étaient nos ancêtres; et comme l'émigration française a toujours été peu considérable, ce système était peut-être ce qu'il y avait de mieux, dans les circonstances, pour luter contre la force croissante des colonies anglaises. Pendant près d'un siècle leur vaste puissance vint se briser contre cette milice aguerrie, qui ne succomba, en 1760, que sous le nombre, après une lutte acharnée de six ans, et avoir honoré sa chute par de grandes et nombreuses victoires. C'est à elle que le Canada doit de ne pas faire partie aujourd'hui de l'Union américaine; et elle sera probablement la cause première quoiqu'éloignée de l'indépendance de ce pays s'il cessait d'appartenir à l'Angleterre, en ce qu'elle l'a empêché de devenir complètement américain de moeurs, de langue et d'institutions.

      CHAPITRE II.

      LE SIÈGE DE QUÉBEC.

      1609-1696

      Ligne d'Angsbourg formée contre Louis XIV. – L'Angleterre s'y joint en 1689, et la guerre, recommencée entre elle et la France, est portée dans leurs colonies. – Disproportion de forces de ces dernières. – Plan d'hostilités des Français. – Projet de conquête de la Nouvelle-York; il est abandonné après un commencement d'exécution. – Triste état du Canada et l'Acadie. – Vigueur du gouvernement de M. de Frontenac. – Premières hostilités: M. d'Iberville enlève 2 vaisseaux anglais dans la baie d'Hudson. – Prise de Pemaquid par les Abénaquis. – Sac de Schenectady. – Destruction de Salmon Falls (Sementels). – Le fort Casco est pris et rasé. – Les Indiens occidentaux, prêts à se détacher de la France, renouvellent leur alliance avec elle au premier bruit de ses succès. – Irruptions des cantons, qui refusent de faire la paix. – Patience et courage des Canadiens. – Les Anglais projetent la conquête de la Nouvelle-France. – Etat de l'Acadie depuis 1667. – L'Amiral Phipps prend Port-Royal; il assiège Québec (1690) et est repoussé. – Retraite du général Winthrop qui s'était avancé jusqu'au lac St. – Sacrement (George) pour attaquer le Canada par l'Ouest, tandis que l'Amiral Phipps l'attaquerait par l'Est. – Désastre de la flotte de ce dernier. – Humiliation des colonies anglaises. – Misère profonde dans les colonies des deux nations. – Les Iroquois et les Abénaquis continuent leurs déprédations. – Le major Schuyler surprend le camp de la Prairie de la Magdeleine (1691) et est défait par M. de Varennes. – Nouveau projet pour la conquête de Québec formé par l'Angleterre. – La défaite des troupes de l'expédition à la Martinique et ensuite la fièvre jaune qui les décime sur la flotte de l'amiral Wheeler, font manquer l'entreprise. – Expéditions françaises dans les cantons (1693 et 1696); les bourgades des Onnontagués et des Onneyouths sont incendiées. – Les Miâmis font aussi essuyer de grandes pertes aux Iroquois. – Le Canada plus tranquille, après avoir repoussé partout ses ennemis se prépare à aller porter à son tour la guerre chez eux. – L'état comparativement

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