Скачать книгу

cependant assez détaillé, quoique avec beaucoup de variations, et il aborde de nombreux points.140 Il répartit notamment les tâches que devraient accomplir le Conseil fédéral, les chefs de service du Département militaire fédéral, les chefs d’armes et les autres instances concernées par la mise sur pied de l’armée. Siegfried subit l’influence des idées de deux officiers de l’Etat-major général: le major Alfred Züricher et le colonel Wilhelm Rüstow.141 Ce dernier avait quitté l’institution depuis 1875, mais il était un penseur militaire connu et il enseignait les sciences militaires à l’Ecole polytechnique de Zurich. De plus, il avait été le chef de la Section historique et statistique de l’Etat-major de l’armée au cours de la mobilisation de 1870–1871. De par cette fonction, il connaissait bien les archives concernant ces événements et il était particulièrement bien placé pour guider Siegfried dans son travail de documentation.

      Le système de mobilisation de Siegfried comprenait trois phases successives. Dans un premier temps, les hommes étaient mis sur pied, les corps de troupes rassemblés et équipés. Une fois ces activités achevées, les divisions étaient constituées de manière à pouvoir, ensuite, passer à la dernière phase, celle de la concentration de l’armée. Siegfried prévoyait des modalités de mobilisation différentes selon que l’armée ait été ou non mise de piquet auparavant.

      La philosophie du système imaginé par le chef du Bureau d’état-major était basée, pour les troupes d’infanterie, sur le principe de la décentralisation. Chaque corps de troupes de cette arme disposait d’une place de rassemblement, dans la région de provenance des soldats qui le composaient, où il était équipé. Cette manière de faire ne faisait que continuer une pratique ancestrale. Depuis le Moyen Age, les hommes composant les milices étaient en effet rassemblés sur leurs lieux de résidence. Cette procédure permettait de mettre sur pied rapidement les soldats mobilisés. Elle présentait par ailleurs deux autres avantages importants. Tout d’abord, elle permettait, par un choix approprié des lieux de rassemblement, de faire prendre d’emblée un dispositif tactique aux troupes. Ensuite, la décentralisation facilitait en partie la logistique. Il était à la fois plus facile de trouver des cantonnements et du ravitaillement pour les hommes et les chevaux.

      Siegfried était conscient du grand défaut de son système: la nécessité de déplacer le matériel de corps des troupes d’infanterie depuis les arsenaux cantonaux jusque sur les places de rassemblement de corps. Il préférait toutefois cet inconvénient à celui de la saturation des lieux de mobilisation dans un système centralisé. D’ailleurs, le principe de décentralisation ne s’appliquait qu’à l’infanterie. La mobilisation de l’artillerie se faisait de manière centralisée, les places de rassemblement de corps se situant à proximité des arsenaux. Quant aux autres armes et services, ils avaient des modalités de mobilisation particulières, qui prenaient en compte l’importance du matériel et le fait que ces troupes étaient essentiellement des troupes fédérales, composées d’hommes provenant de plusieurs cantons.

      A une époque où les armées étaient essentiellement hippomobiles, la question des chevaux retenait toute l’attention de Siegfried. Il consacrait plusieurs pages à la mise de piquet des chevaux. L’armée suisse ne pouvait entretenir en temps de paix le nombre de chevaux de selle, de bât et de trait nécessaires lors d’une mobilisation générale. Le seul moyen de disposer d’un aussi grand nombre d’animaux était de recourir à la réquisition des chevaux civils employés dans l’agriculture et l’économie du pays. Une telle opération ne pouvait toutefois pas s’improviser si l’armée voulait disposer à temps et en nombre suffisant des différentes catégories de chevaux. C’est pourquoi Siegfried pensait qu’un contrôle des chevaux devait être mis en place. Celui-ci devait se faire par l’armée, directement chez les propriétaires.

      Une fois résolue la question des compétences, le Bureau d’état-major put commencer les travaux de réalisation des plans de mobilisation selon les directives de Siegfried. Celui-ci avait préparé un programme de travail, comprenant la liste des documents à réaliser, pour le cours d’état-major qui devait avoir lieu en février et mars 1878. En tant que chef de la Section tactique, Arnold Keller reçut la mission de s’acquitter de cette tâche. Il s’agissait d’une activité totalement nouvelle pour lui, car il n’avait jamais eu à s’occuper de telles questions. Il fut obligé d’innover, car il ne pouvait s’inspirer ni des organisations de mobilisation des pays étrangers, ni de celles, antérieures, des cantons. Les premières étant tenues secrètes, peu d’informations étaient disponibles. Quant aux anciens systèmes de mobilisation de la Confédération, différents d’un canton à l’autre, leur degré d’élaboration était très variable. D’autre part, les changements de l’organisation militaire découlant de la loi de 1874 étaient tels que ces systèmes ne pouvaient guère servir de modèle ou être repris tels quels. Keller se documenta donc en employant la méthode historique. Il se mit à étudier avec soin les différentes mobilisations de l’armée suisse qui avaient eu lieu depuis 1805. Sa tâche fut toutefois facilitée par l’existence de divers documents de l’Administration. Il disposa tout d’abord d’un système de contrôle unifié des unités. Ensuite, il put s’appuyer sur un bon matériel cartographique. Enfin, il avait à disposition le dernier recensement des chevaux, tout récent.

      

      Illustration 5: Wilhelm Friedrich Hertenstein, chef du Département militaire fédéral (1879–1888). Bibliothèque nationale.

      Dans la réalisation de sa tâche, l’Etat-major général n’était pas le seul acteur. Siegfried dut collaborer avec les autorités militaires des différents cantons, les chefs d’arme et de service de l’administration militaire fédérale et, enfin, avec les différentes sociétés de chemin de fer, institutions avec lesquelles il entretint une correspondance qui commença en 1874 déjà.142 Siegfried devait tenir compte de leurs opinions, de leurs propositions et des moyens dont elles disposaient. Keller passa l’année 1878 à harmoniser les différentes positions. En novembre, il put rédiger une instruction sur la mise sur pied de l’armée, qu’il continua à travailler au cours de l’année 1879.

      D’autres documents, comme les formulaires de mise sur pied pour les troupes, les instructions pour les officiers, les employés des arsenaux et les commissions d’évaluation des chevaux, étaient également prêts. Les secteurs de mobilisation des unités et des corps de troupes, les bases logistiques devant garantir l’équipement et le soutien des formations, ainsi que les premiers déplacements de ces dernières en vue de constituer les unités tactiques, les opérations de concentration et de surveillance de la frontière furent définies. Les autres acteurs de la mobilisation pouvaient ainsi, de leur côté, se mettre au travail et réaliser leurs propres préparatifs.

      En 1879, les plans de mobilisation étaient presque terminés et ils allaient bientôt pouvoir être évalués par le Conseil fédéral. Ils ne le furent cependant jamais, car deux événements empêchèrent la poursuite de la procédure. Tout d’abord, Siegfried mourut au mois de décembre. Sa succession fut, comme nous l’avons vu, difficile et une période de plusieurs années d’instabilité fragilisa la position du chef de l’Etat-major général.143 L’autre événement fut l’arrivée de Hertenstein à la tête du Département militaire fédéral.144 Elu le 21 mars 1879 au Conseil fédéral, il succéda à Johann Scherrer décédé à la fin de l’année précédente. Hertenstein était totalement opposé au principe de la décentralisation de la mise sur pied des troupes qui sous-tendait le plan de mobilisation développé par l’Etat-major général. En dépit de l’avancement des travaux et des coûts financiers qu’impliquait la mise en place d’un nouveau plan – les tableaux et les instructions en allemand et en français étaient déjà imprimés –, le chef du Département militaire fédéral fit reprendre le projet depuis le début.

      Au début

Скачать книгу