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du 18 novembre 1884. Une autre amélioration de l’ère Pfyffer en matière de mobilisation et de concentration, outre la réalisation de plans de concentration, fut l’organisation du service des étapes, du service territorial et de l’exploitation des chemins de fer qui fut, elle aussi, codifiée dans une ordonnance en mars 1887.

      Arnold Keller est né en octobre 1841 à Lenzbourg dans le canton d’Argovie. Il étudia le droit à Heidelberg, Zurich et Berlin et obtint son brevet d’avocat en 1866. Il exerça cette profession une année environ, avant de devenir greffier, au Tribunal criminel, puis au Tribunal cantonal. Keller effectua la majeure partie de sa carrière militaire en tant qu’officier d’état-major. Lieutenant d’artillerie en 1865, il entra à l’état-major de cette arme dès 1871, au moment où il fut promu capitaine. Après la suppression de cette institution en 1874, il fut nommé à l’Etat-major général qu’il ne quittera plus jusqu’en 1905.

      L’arrivée de Keller à la tête de l’Etat-major général représenta à la fois une continuité et une rupture par rapport à l’ère Pfyffer. Une continuité dans le sens où Keller appartenait à l’institution depuis une quinzaine d’année, qu’il y avait occupé le très important poste de chef de la Section tactique du Bureau d’état-major depuis son entrée en 1876 et qu’il avait été le remplaçant de Pfyffer. Dès lors, il était au courant du fonctionnement de l’Etat-major général et d’une partie des activités et des intentions de son chef. Par ailleurs, Keller, par ses activités, avait déjà réussi à marquer de son empreinte l’institution, ses méthodes de travail et ses réalisations. Il avait en effet été chargé de dispenser, à de nombreuses reprises, des cours portant sur la tactique ou le service d’état-major dans les différentes écoles EMG et il avait pris une part importante dans l’organisation des voyages d’état-major. Ce faisant, il avait formé beaucoup d’officiers qui le connaissaient. Enfin, Keller fut également, en tant que chef de la Section tactique, le principal artisan de la mise au point des travaux relatifs à la mobilisation et à la concentration de l’armée, et ce tant sous le commandement de Siegfried que sous celui de Pfyffer. Pour toutes ces raisons, nous pouvons dire qu’il y eut une continuité dans nombre de domaines entre l’ère Pfyffer et l’ère Keller. Comme nous l’avons vu, certaines innovations de la première période ne furent pérennisées que pendant la seconde.

      La nomination de Keller marqua toutefois aussi une rupture, qui est sans aucun doute un aspect plus important que la continuité. Le nouveau chef de l’Etat-major général avait une personnalité complètement différente de celle de Pfyffer. Comme l’écrit Arnold Linder, tout opposait les deux hommes, le caractère, l’origine, la religion, la formation civile et le parcours militaire, le tempérament, les méthodes de travail. Si Keller était un militaire compétent88 et un homme de culture, aimant les arts, l’histoire et la littérature, il ne possédait ni le charisme, ni l’entregent de Pfyffer. En raison de l’intensité de ses activités et de sa personnalité, Keller était un solitaire et il n’entretenait pas un important réseau relationnel. Peu ouvert aux autres, il n’obtint pas la confiance qu’avait eue son prédécesseur, ni auprès du chef du Département politique et de ses collaborateurs, ni auprès des politiciens, des diplomates et des militaires français.89 Ainsi, Numa Droz considérait, une fois Pfyffer disparu, qu’il n’y avait plus personne de «discret et de compétent» à l’Etat-major général.90 Par ailleurs, Keller avait une haute idée de lui-même et de ses capacités, et son attitude envers les autres avait fréquemment une teinte méprisante, ce qui ne contribuait pas à le faire apprécier.91

      Arnold Linder pense aussi que Keller n’était, en fin de compte, pas totalement préparé à une prise de commandement aussi rapide et soudaine. Le nouveau chef de l’Etat-major général n’avait, en effet, que peu d’expérience en matière de conduite des troupes. Issu de l’artillerie, il était entré à l’état-major de cette arme en 1871 à l’âge de trente ans et avec le grade de capitaine et, cinq ans plus tard, il passa directement à l’Etat-major général pour ne le quitter qu’en 1905. Au moment de sa nomination, Keller n’avait ainsi jamais commandé de corps de troupes important ou de grande unité. Sa carrière militaire l’avait donc tenu à l’écart des troupes et il était peu connu en dehors de l’Etat-major général. Il avait certes eu divers contacts avec ces dernières, en tant que chef du parti ennemi, membre de la direction d’exercice, arbitre ou chef de la Section historique lors des manœuvres de divisions, mais ces expériences ne remplaçaient pas un commandement effectif.92 Ce ne fut donc que plusieurs années après sa nomination à la tête de l’Etat-major général qu’il acquit une certaine expérience du commandement. Il commanda ad interim la 5e Division entre 1895 et 1898 et dirigea les manœuvres du IIe Corps d’armée en 1897 en tant que remplaçant de son chef, le commandant de corps Berlinger.93 De plus, Pfyffer n’avait pas informé Keller de certaines de ses activités. Celui-ci n’était pas au courant des discussions en cours avec la France à propos d’une éventuelle coordination de la concentration des troupes des deux pays, destinée à faire plus efficacement face à un adversaire commun.94

      Les doutes que l’on peut avoir sur les capacités et la préparation de Keller ne sont pas de simples doutes développés rétrospectivement par l’historien. A l’époque, la nomination de Keller ne se passa pas sans problème. Le chef du Département militaire fédéral, Walter Hauser, ne pensa à Keller qu’en second lieu, après le refus du divisionnaire Bleuler. Il contacta, en effet, tout d’abord ce dernier qui était l’ancien instructeur en chef de l’artillerie, le commandant de la 6e Division depuis 1883 et qui allait devenir celui du IIIe Corps d’armée en 1891. Si le choix de Keller reçut un accueil positif de la part de certains, notamment le brigadier Ulrich Meister, commandant de la 11e Brigade d’infanterie, et la Neue Zürcher Zeitung, il rencontra une forte opposition, non seulement dans les milieux diplomatiques français et suisses, mais aussi chez les militaires. Comme le souligne Arnold Linder, le manque de prestige de Keller fut clairement démontré par le fait que, sur les 46 officiers inscrits pour suivre les écoles EMG en 1890, seuls 14 entrèrent effectivement en service.

      Keller devint chef de l’Etat-major général à un moment particulièrement délicat, en ce qui concernait tant la défense du pays que la situation politique internationale. L’armée suisse souffrait en effet encore de grosses lacunes matérielles du fait des restrictions financières, d’insuffisances en matière d’organisation et d’instruction des troupes. De plus, le début des années 1890 était marqué par une rupture profonde, non seulement en Europe, mais aussi en Suisse. En Allemagne, la mise à l’écart du chancelier Bismarck entraîna le pays vers une politique extérieure nouvelle, axée sur l’alliance étroite avec l’Autriche-Hongrie, une prise de distance de plus en plus grande par rapport à la Russie et une ambition d’expansion au niveau mondial. A ce changement vint s’ajouter la désignation d’un nouveau chef à la tête du Grand Etat-major. En 1891, Alfred von Waldersee fut remplacé par Alfred von Schlieffen. La période fut également marquée par la fin de l’isolement stratégique de la France et la signature de l’alliance avec la Russie. Par ailleurs, la guerre commerciale franco-suisse à propos des tarifs douaniers brisa le rapprochement qui s’était opéré entre les deux pays au cours des crises internationales de la seconde moitié des années 1880.

      En Suisse également, d’importants changements eurent lieu. A la fin de 1892, Numa Droz quitta le Conseil fédéral après avoir été à la tête du Département des affaires étrangères durant six années.95 Son départ ne fut pas simplement celui d’un grand homme habile en politique extérieure. Une fois Droz parti, son «système» fut remis en cause et l’ancienne pratique, selon laquelle le président de la Confédération prenait le Département des affaires étrangères, fut à nouveau adoptée quelques années plus tard. En politique extérieure suisse, la période fut également marquée par la remise en cause de la conception traditionnelle de la neutralité.96 Suite à l’affaire Wohlgemuth, diverses personnes des milieux politiques

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