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dans le corps d’état-major général avec le grade de major. Il occupa successivement les postes d’adjudant du commandant de la 1ère Division et de chef d’état-major de la 6e Division. Il fut nommé colonel en 1871.

      En tant que chef de l’Etat-major général, von Sinner eut deux gros dossiers à gérer. Tout d’abord, il réussit à régler la question de l’organisation de l’Etat-major de l’armée, en chantier depuis 1874.65 Il parvint à faire accepter son projet qui fut officialisé par l’ordonnance du Conseil fédéral sur l’organisation de l’Etat-major de l’armée du 7 mai 1880. Dans ce domaine, il ne fit pas que finaliser le travail de son prédécesseur. Son rôle fut actif, car il apporta des changements significatifs au projet développé par ce dernier. Le second dossier concernait le vaste problème de la menace militaire française et celui de la fortification nationale qui lui était lié.66 Ces deux questions étaient de la plus haute importance pour la Suisse. On s’étonne donc du fait que von Sinner ne joua qu’un rôle secondaire dans le travail que fournit l’Etat-major général. Il proposa des idées, donna des lignes directrices, mais ce furent ses subordonnés, notamment le colonel Victor Burnier et, dans une moindre mesure, le lieutenant-colonel Keller qui jouèrent les premiers rôles. La manière dont fut gérée la question de la fortification nationale confirme ainsi pleinement l’opinion d’Arnold Linder, selon laquelle les subordonnés de von Sinner ont joui d’une grande liberté dans leur travail.

      Ce manque d’investissement de la part du chef de l’Etat-major général peut s’expliquer par le fait qu’il continua, après sa nomination, à assumer sa charge politique de président du Conseil de la bourgeoisie de Berne, ce qui n’explique cependant pas tout. Pfyffer, le successeur de von Sinner, continua à avoir une autre activité civile en dehors de sa fonction. Malgré cela, il s’investit davantage dans sa tâche. C’était plutôt la personnalité de von Sinner qui posait problème.67 Keller, dans son journal, écrit qu’il ne possédait pas les qualités requises pour occuper le poste. Il lui manquait une certaine confiance en soi, ainsi que les capacités à s’imposer vis-à-vis de l’extérieur. Soulignons toutefois, à la décharge de von Sinner, que le contexte dans lequel il a travaillé n’était pas des plus faciles. Sa position était précaire, car il n’était pas nommé à titre définitif. De plus, l’Etat-major général ne possédait pas une assise institutionnelle unanimement reconnue. Les procédures employées dans les études stratégiques de la fin des années 1870 et du début des années 1880 montrent que l’on continuait à travailler selon des principes antérieurs à 1874, qui accordaient un pouvoir important aux autres acteurs des institutions militaires.

      Le sentiment de Keller à propos de l’incapacité de von Sinner semble avoir été partagé par l’ensemble des membres de l’Etat-major général. Lui-même d’ailleurs ne paraît pas avoir été très à l’aise dans ses fonctions. Il offrit, à plusieurs reprises, mais sans succès, sa démission au chef du Département militaire fédéral, la première lettre datant déjà du 30 septembre 1880.68 Von Sinner quitta finalement son poste en automne 1881, après une courte carrière de moins de deux ans. Ce départ fut la conséquence d’une affaire politique qui eut lieu lors des élections bernoises au Conseil national de cette année-là. Au cours de la campagne, un des candidats, le colonel du génie Gottlieb Ott, fut violemment attaqué dans un article de la Berner Volkszeitung. L’auteur de l’article l’accusait d’être un spéculateur appartenant au clan mafieux du Grand Conseil et se moquait de la mission militaire qu’il avait effectuée en 1878–1879 sur les théâtres d’opération de la guerre russo-turque. Blessé dans son honneur et dans sa qualité d’officier, Ott ne reçut pas le soutien qu’il attendait de son camarade von Sinner. Un tribunal d’honneur fut mis en place par le conseiller fédéral Wilhelm Friedrich Hertenstein pour résoudre le litige entre les deux officiers, une procédure que prévoyait le Code pénal militaire. La décision du tribunal déçut von Sinner, ce qui le poussa à se retirer définitivement.

      La question de la succession de von Sinner ne fut pas réglée immédiatement. Le malaise ressenti par Keller à propos des possibilités de remplacement du chef de l’Etat-major général était réel, comme semble le montrer les multiples refus qui accueillirent ses lettres de démission.69 L’intérim fut assuré par le colonel EMG Victor Burnier, de Lausanne.70 Ce dernier était entré à l’Etat-major général en 1875, avec le grade de lieutenant-colonel. Enseignant l’étude du terrain dans les écoles centrales, il fut tout naturellement la cheville ouvrière du groupe de rédaction de l’Etat-major général qui publia un Manuel sur le sujet en 1876. Il joua par ailleurs un rôle déterminant dans les travaux relatifs à la fortification nationale en relation avec la menace française.

      Burnier ne resta que quelques mois à la tête de l’Etat-major général.71 Son état de santé empêcha le chef du Département militaire fédéral de le proposer comme chef de l’institution. Ce fut Pfyffer qui fut nommé à cette fonction en mars 1882. Burnier approuva ce choix. Dans une lettre du 7 mars, il répondit au chef du DMF: «C’est avec la plus vive satisfaction que je verrai monsieur le Colonel Pfyffer à la tête du corps d’état-major; je ferai tout ce qui dépendra de moi pour lui faciliter sa tâche et mon nouveau chef pourra compter sur mon concours fidèle et dévoué.»

      Le problème de la direction de l’Etat-major général ne fut pas immédiatement résolu avec la nomination de Pfyffer le 10 mars 1882. En effet, cette désignation n’était que provisoire. Elle ne devint définitive que trois ans plus tard. Pfyffer n’occupa donc cette fonction avec une sécurité institutionnelle que durant cinq ans, entre 1885 et le 12 janvier 1890, date de sa mort. Par ailleurs, il exerça durant toute sa carrière à la tête de l’institution d’autres activités, et non des moindres. D’une part, il continua à assurer le commandement de la 8e Division qu’il dirigeait depuis 1877. La question fut cependant posée de savoir s’il pouvait cumuler les deux fonctions. Il ne semble pas que l’opposition à cette pratique ait été très grande, de tels cumuls n’étant pas rares à cette époque. Pfyffer continua aussi à s’occuper de la direction de l’hôtel de luxe familial, le Schweizerhof de Lucerne, où il avait sa résidence. L’ensemble de ces activités représentait une charge de travail considérable. Arnold Linder souligne que cela explique le manque de qualité du travail de Pfyffer, qui était en effet entaché de problèmes administratifs et souffrait de retards. Dans un tel contexte, on comprend également mieux les fautes de détail des travaux de Pfyffer.

      Pfyffer est né en 1834 au château d’Altishofen. Après des études à l’Ecole polytechnique de Munich, il entra, en 1852, à l’âge de 18 ans, au service de Naples dans le régiment lucernois Moor. Lieutenant en 1860, capitaine l’année suivante, il participa à la campagne du Volturne et de Gaëte où il servit sous les ordres du capitaine Heinrich Wieland, qui devint commandant de la 8e Division (1890–1891), puis du IVe Corps d’armée (1891–1894). Après la dissolution des régiments suisses de Naples, Pfyffer revint en Suisse en 1861. Il devint entrepreneur, puis gérant de l’hôtel familial. Il poursuivit également sa carrière militaire. Il fut nommé major en 1865 et lieutenant-colonel en 1870. Dès 1861, il intégra le corps d’état-major et, l’année suivante, il suivit l’Ecole d’état-major de Thoune. Durant la guerre francoallemande, il fut l’adjudant du chef de l’Etat-major de l’armée, le colonel Paravicini. Pfyffer fut nommé colonel en 1875 et il commanda durant deux ans la 8e Brigade d’infanterie. En 1887, il devint commandant de la 8e Division, fonction qu’il occupa jusqu’à sa mort en 1890.

      Durant la période où Pfyffer fut à sa tête, l’Etat-major général connut un important renforcement de sa position au sein des institutions militaires suisses. Ce renforcement est dû à divers facteurs qui tiennent en grande partie à la personnalité de Pfyffer. Tout d’abord, ce dernier possédait une capacité éminente à nouer des contacts, dans les milieux politiques autant que militaires. Pfyffer fut particulièrement apprécié par les collaborateurs

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