Скачать книгу

étaient doubles. On comprend d’emblée l’intérêt, pour la Section, que revêtaient les systèmes de transmission et d’écoute ou la photographie. Il faut préciser que nombre de ces questions étaient nouvelles et qu’elles découlaient de récents progrès techniques. Leur utilisation à des fins militaires faisait l’objet d’études de la part des armées étrangères et il était intéressant pour l’Etat-major général de connaître les résultats qu’elles avaient obtenus et de les employer pour élaborer la doctrine de l’armée suisse.

      Les règlements internes donnent de bonnes indications sur les méthodes de travail employées et le genre de renseignements recherchés par l’Etat-major général.112 En 1874, ce dernier ne savait pas exactement quelles informations il devait collecter et il ne possédait pas de collection documentaire appropriée.113 Dans son programme de travail pour cette année-là, Siegfried écrivait qu’il faudrait définir précisément ce que les officiers suisses devaient connaître des armées étrangères. Il notait également que les études sur les armées allemande et française devaient être complétées et des travaux sur les armées autrichienne et italienne commencés. Il envisageait de charger de ces missions le capitaine William Favre, le colonel Ferdinand Lecomte, le colonel Am Rhyn et le colonel Merian. Le recours à un ancien officier de l’Etat-major général, le colonel Lecomte, montre bien la faiblesse des moyens à disposition de l’institution.

      Le Service de renseignements restait cantonné aux aspects strictement militaires. On ne voit pas trace d’intérêt pour les questions économiques, démographiques ou politiques non directement liées au domaine militaire. L’attention portait essentiellement sur les armées et la géographie militaire, avec une focalisation sur les quatre pays voisins. Des renseignements de tout genre étaient collectés sur les armées. Toutefois, l’accent était mis sur les questions organisationnelles et structurelles. Les différentes sections devaient en effet constamment mettre à jour les documents relatifs aux ordres de batailles, aux organigrammes et aux découpages des circonscriptions administratives des corps d’armée. Le commandement des troupes était un autre centre d’intérêt. L’Etat-major général tenait également à jour la liste des officiers supérieurs les plus en vue ainsi que celle des commandants de corps d’armée, avec diverses données personnelles.

      En ce qui concerne la géographie militaire, c’était avant tout sur les lignes de communication, routes et voies de chemin de fer, y compris les gares et leurs quais de débarquement, que l’intérêt était porté. Le développement des réseaux devait être suivi avec la plus grande attention et tout changement devait être répertorié. En rapport direct avec les possibilités de communications, l’Etat-major général cherchait aussi des renseignements sur les fortifications ainsi que sur les possibilités de logement et de soutien logistique des troupes dans certaines régions particulières.

      La méthode de travail employée consistait avant tout à analyser les possibilités de l’adversaire potentiel, plutôt que ses intentions.114 L’importance accordée à la géographie militaire, avec un accent mis sur l’étude des lignes de communication, les sources employées et les moyens à disposition pour obtenir des renseignements, sont en grande partie responsables de ces pratiques. L’Etat-major général se basait en effet sur des publications diverses, livres, actes législatifs ou périodiques, traitant des questions militaires et politiques. Il employait également les rapports des officiers envoyés ponctuellement à l’étranger, pour assister aux grandes manœuvres ou pour effectuer des reconnaissances spéciales.

      Ces sources présentaient un grand intérêt, mais aucune d’entre elles ne permettait d’obtenir des renseignements précis et continuels offrant la possibilité de saisir les intentions des principaux dirigeants politiques et militaires des pays voisins. Les méthodes employées pour pallier ces carences donnèrent peu de résultats. La prise en compte de déclarations publiques ou d’écrits de personnages de seconde importance contribua le plus souvent à fausser les analyses de l’Etat-major général. Quant à la méthode historique, son emploi ne fut pas des plus judicieux. Dans les études sur la menace française, par exemple, le souvenir des ambitions expansionnistes des périodes impériales plomba littéralement la réflexion de l’institution. Dans la deuxième partie de notre étude, nous en verrons quelques exemples, ainsi que les problèmes qui en découlèrent pour la planification de la mobilisation et de la concentration de l’armée.

      Les insuffisances du Service de renseignements étaient connues de l’Etat-major général et tant Pfyffer que Keller ont cherché à y remédier.115 Les difficultés pour parvenir à mettre sur pied un service véritablement efficace étaient nombreuses. La première résidait dans le manque de moyens à disposition. Outre l’aspect financier, c’était l’absence d’une structure permanente, organisée dès le temps de paix avec un personnel suffisant, qui était soulignée. Keller le regrettait d’autant qu’il considérait que le renseignement était un domaine de la défense plus difficile à organiser que les autres. De la faiblesse de la structure et de sa jeunesse découlaient des problèmes d’organisation, de méthodes et de possibilité de travail. L’Etat-major général mit du temps à se constituer une banque de données utilisable pour ses activités. L’archivage et le classement des documents selon des critères fonctionnels n’allaient pas de soi. Jusqu’en 1875, moment de la réorganisation de l’Etat-major général par Siegfried, les mémoires concernant la géographie militaire, réalisés dans le cadre de l’institution, étaient rangés dans l’ordre où ils avaient été écrits.116 A partir de cette date, les suivants ont été classés par secteurs géographiques. Par ailleurs, même les documents présentant la plus haute importance n’étaient pas systématiquement conservés. Ainsi, lorsqu’en 1895 Keller voulut se documenter sur le problème de la neutralisation de la Savoie, il ne retrouva pas les plans d’occupation élaborés par le général Herzog au cours de l’hiver 1870–1871 et il dut faire recopier le manuscrit qui se trouvait entre les mains de la famille de ce dernier.117

      Le deuxième problème était lié au faible développement des réseaux d’agents en Suisse et à l’étranger. A la fin du XIXe siècle, la Suisse ne possédait pas de véritable réseau diplomatique dont le personnel aurait pu être employé en tant qu’agents de renseignement.118 Elle n’entretenait qu’un nombre restreint de diplomates, consuls ou ministres, et ne disposait pas d’attachés militaires. Les renseignements fournis par ces personnes ne présentaient, le plus souvent, qu’un intérêt très limité au point de vue militaire même si, à certaines occasions, ils purent avoir une importance significative. Enfin, se posait un dernier problème, d’ordre culturel. La Suisse ne possédait aucune culture politique en matière de renseignements et ne comprenait pas les pratiques des services des grandes puissances, notamment le secret des activités. A l’instar de ce qui se passait dans le domaine de la diplomatie, peu de dirigeants suisses comprenaient que, pour être efficace, un service de renseignements helvétique devait être constitué selon les mêmes principes que ceux des grands Etats.

      Au début de l’année 1892, le Bureau d’état-major reçut la compétence d’organiser un Service de renseignements en Suisse, dans les régions frontière du pays.119 En raison du manque de moyens, on pensa à utiliser les services des employés de la Confédération en poste dans les régions limitrophes du pays: personnel de la poste et des douanes, gardes-frontière. Le système se mit en place dans les semaines suivantes; le territoire fut divisé en secteurs. Les premiers rapports arrivèrent au début du mois de mai de la même année.

      Si le Service a fourni un certain nombre de résultats, par ailleurs fort difficiles à estimer vraiment en raison de l’état de conservation des archives, il a aussi posé des problèmes. Les fonctionnaires devaient en effet remplir, en même temps, leur fonction d’employé de telle ou telle administration et remplir des missions pour le compte du Service de renseignements. En

Скачать книгу