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que ses agents n’avaient pas rempli leur mission première et mettait en garde contre les risques diplomatiques qui pouvaient découler de ces pratiques, en cas de capture en pays étranger.

      Le Service de renseignements de l’Etat-major général était conscient de ces difficultés. Il en tint compte lorsqu’il voulut étendre son réseau d’agents aux polices cantonales.120 Il insista sur le fait que les activités de renseignement ne devaient pas porter préjudice aux activités normales des services. De son côté, la Direction des douanes, principale administration concernée par la question, a pris des mesures pour faire face à la situation. En août 1902, elle a émis une instruction réglementant le service de renseignements des gardes-frontière.

      L’Etat-major général, qui ne disposait d’aucun service de contre-espionnage, chercha à combler cette lacune qui avait déjà été signalée par le major Strohl en 1891.121 L’Etat-major général savait que les pays voisins, particulièrement l’Allemagne, disposaient de réseaux d’agents composés de nationaux vivant sur le territoire helvétique. Il ne possédait en revanche aucune information précise sur ces personnes et cherchait à les surveiller. Sans moyens matériels ou humains suffisants, le Service de renseignements ne pouvait qu’exploiter certaines occasions particulières. Ainsi, Strohl souhaitait profiter du changement d’attaché militaire allemand en Suisse. Il voulait surveiller le nouveau diplomate, car il pensait que ce dernier ferait la tournée de ses agents, ce qui permettrait de les découvrir.

      En 1896, le Service de renseignements du Bureau d’état-major prit contact avec les polices cantonales, dans le but de bénéficier d’une collaboration de ces administrations en matière de contre-espionnage.122 L’Etat-major général voulait que les polices cantonales surveillent les personnes soupçonnées d’espionnage vivant en Suisse ainsi que les lâchers de pigeons voyageurs. Cette pratique était en effet interdite pour les pigeons étrangers depuis l’émission d’une circulaire par le Département militaire fédéral le 14 août 1890. Dans la zone frontière, les polices cantonales avaient aussi pour tâche de collecter des renseignements à l’étranger concernant les constructions en matière de voies de communication et de fortifications. Elles devaient encore signaler les mouvements de troupes repérés et donner des indications sur les personnes de confiance susceptibles de travailler en tant qu’agents de renseignement pour le compte de l’Etat-major général.

      La documentation archivistique ne permet pas d’évaluer le fonctionnement de ce Service qui employait des fonctionnaires fédéraux et des fonctionnaires cantonaux. Nous possédons cependant une appréciation faite par Keller dans son mémoire de 1901 sur le Service de renseignements.123 Il considérait que cette structure avait fonctionné de manière passable, d’autant qu’elle n’avait pas nécessité de dépenses. Elle avait tiré toute sa force de la collaboration entre employés de l’administration.

      L’absence d’un réseau d’agents de renseignement à l’étranger s’est fait sentir tout au long de la période étudiée. Dès 1886, au moment de la grave crise de l’affaire Boulanger, Pfyffer a signalé le problème au Département militaire fédéral et souligné la nécessité de disposer, en temps de guerre, d’agents à l’étranger, capables de fournir rapidement des informations d’ordre militaire.124 Ce service devait être organisé dès le temps de paix, en recrutant des Suisses vivant dans les pays voisins.

      Cette initiative de Pfyffer avait des ambitions limitées et elle ne visait pas la création d’un véritable service de renseignements. Tout d’abord, les réseaux d’agents se limitaient aux régions frontière de la Suisse. Ensuite, Pfyffer préconisait de se concentrer sur la collecte de renseignements spécifiques: mouvements et concentrations de troupes, état des stocks de matériel de guerre et d’approvisionnement, matériel ferroviaire. En outre, il ne prévoyait pas de voie de transmission précise pour l’acheminement des informations, se contentant de mentionner qu’il faudrait les faire transiter par un Etat tiers neutre, à l’instar des pratiques des agents allemands au cours de la guerre de 1870–1871, qui avaient fait passer leurs informations par Londres.

      La démarche de Pfyffer ne déboucha sur aucune réalisation concrète, même si le Conseil fédéral accorda un crédit de 1000 francs inscrit dans le poste «Imprévus» du budget.125 Dès lors, avant même sa nomination officielle à la tête du Bureau d’état-major, Keller dut reprendre la question d’une manière plus détaillée.126 Il proposa d’emblée de mandater rapidement un officier pour réaliser un projet. Ce fut le major Strohl qui reçut la mission. Il travailla sur les bases données par le chef de l’Etat-major général en ce qui concernait les agents et le genre d’informations à recueillir. Strohl remit deux rapports au cours du mois de février 1891.127 Le dernier, une fois mis au propre, fut transmis au chef du Département militaire fédéral. Comme Pfyffer et Keller, Strohl insistait sur la nécessité de constituer un réseau d’agents dès le temps de paix. En raison de l’absence de moyens financiers, il renonçait à recruter des espions qui auraient dû être rémunérés. Les seuls agents envisagés étaient donc le personnel diplomatique, les officiers envoyés en mission et des Suisses habitant à l’étranger ou y faisant des séjours de longue durée.

      Diverses modalités de recrutement ont été étudiées. Certaines d’entre elles montrent le peu d’expérience de l’Etat-major en la matière, ainsi qu’une certaine naïveté. Finalement, une solution restrictive, garantissant davantage la qualité des agents et, aussi, leur sécurité, fut retenue. Les nouveaux agents devaient être recrutés par l’intermédiaire d’officiers de l’Etat-major général ou de camarades ayant la confiance du Service de renseignements, peu de temps avant leur départ pour l’étranger. Conscient du temps qu’il faudrait pour constituer un véritable réseau dans chacun des pays voisins, Strohl insistait sur la nécessité de commencer immédiatement le recrutement. Selon lui, l’essentiel était de mettre rapidement en place les noyaux de structures permettant de développer ultérieurement les réseaux.

      Le Service devait être implanté dans les quatre pays voisins et structuré en districts. Pour l’Italie, l’Allemagne et l’Autriche, la structure était purement géographique. En ce qui concernait la France, elle correspondait aux circonscriptions des corps d’armée. Pour chaque district, Strohl préconisait de mettre en place un agent de liaison chargé de transmettre les ordres et les informations du Service de renseignements aux différents agents sur place, de les visiter régulièrement et de stimuler leur activité.

      Tableau 3: Structure en districts du Service de renseignements à l’étranger

      Le document de Strohl montre à quel point le Service de renseignements manquait de moyens et d’expérience en matière de techniques et de procédures de travail. L’Etat-major général ne disposait pas de procédés de cryptage adapté à la transmission des informations fournies par les agents. Ce fut le savoir-faire de la milice qui permit de trouver une solution. Strohl, travaillant dans une maison de commerce bâloise, reprit les procédures employées couramment par sa firme pour les transmissions par télégraphes. Les modalités d’acheminement des messages posèrent également des difficultés. Au début, on pensa utiliser comme boîtes aux lettres des maisons de commerce internationales ayant leur siège à Berne et dirigées par des officiers suisses. Finalement, ce moyen ne fut pas jugé suffisamment sûr. Strohl proposa de créer des adresses fictives et de mettre dans la confidence certains hauts fonctionnaires de la poste suisse, qui retransmettraient ensuite directement les courriers au Service de renseignements.

      La procédure de recrutement des agents était tout aussi symptomatique de l’inexpérience de l’Etat-major général. Le Service devait fonctionner avec l’aide des nationaux vivant à l’étranger. Un premier vivier de recrutement était constitué par les Suisses installés et travaillant pour de longues périodes dans les pays voisins. Un second

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