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effet, reconnaît le consul d'une population étrangère parmi les magistrats territoriaux, fut le premier fondement de l'institution que nous nommons encore le consulat. Ce que l'on avait exigé dans le royaume de Jérusalem fut demandé dans les pays musulmans ou chrétiens, où l'on alla négocier par mer. L'empereur grec l'admit; et c'est ce qui a fait les établissements de Péra. On peut dire qu'il en subsiste encore une ombre, car les conventions de la terre sainte ont servi de tradition et de précédent aux capitulations des Français en Turquie; elles vivent encore en partie dans notre régime et dans nos privilèges des échelles du Levant. Enfin, ces principes, généralisés, modifiés par le temps et par la jalousie des puissances qui admettent des consuls étrangers, adoptés par tous les peuples chrétiens avec plus ou moins de leurs conséquences, ont été si purement conservés par les Génois, leurs premiers auteurs, qu'encore en 1797 la juridiction du consulat de France à Gênes entre Français, ou entre Français défendeur et Génois demandeur, était exactement celle que les traités dont nous parlons donnèrent, il y a sept cents ans, aux consuls de Gênes en Syrie. Le consul français était magistrat génois de première instance pour les affaires civiles où l'un de ses nationaux était intimé.

      Les concessions du tiers des droits royaux et des revenus d'une ville sont des faveurs spéciales indépendantes de ces privilèges généraux constitutifs des établissements. Les Génois obtinrent ce don à Césarée, à Arsur, à Ptolémaïs, les Vénitiens à Tyr: dons immenses si les donataires prenaient une si grosse portion de la recette, sans participer aux charges publiques qu'elle avait été destinée à couvrir. Entre autres droits, il en était levé sur les navires qui portaient ou emportaient les pèlerins, et nous avons vu mentionner des chargements de cinq cents personnes. On nous parle d'arrivées et de retours par centaines de mille. Cet impôt devait être de haute importance; dans le traité fait avec les Vénitiens, en leur accordant à Ptolémaïs la franchise de tout péage, on en excepte le droit sur l'arrivée et le départ des navires chargés de passagers; ils n'en sont affranchis que pour les deux tiers. De même, à Tripoli, les Génois, libres de tout autre impôt, restent soumis à celui qui est perçu sur ce transport; ou plutôt le gouvernement se réserve de l'exiger des pèlerins eux-mêmes.

      Les Génois obtinrent aussi comme récompense de leurs services, dans Antioche et dans les autres villes de cette principauté, rue et magasin, juridiction et franchise de commerce; enfin le tiers des revenus de Laodicée. Le comte Bertrand de Tripoli leur donne de même le tiers de sa capitale. Il leur reconnaît en outre la propriété de Gibel et du château du connétable Roger. Gibel est le Byblos des anciens, entre Tripoli et Béryte. C'est la ville que les Génois tenus avec Bertrand de Toulouse prirent pendant les préparatifs du siège de Tripoli, et cependant nous voyons que ce même Bertrand leur en fait don. Il est probable que, simples colons dans les villes voisines, n'ayant point par eux-mêmes de grande principauté, ils crurent rendre leur possession plus respectable à d'avides voisins, en la tenant du comte de Tripoli. D'ailleurs il avait servi d'auxiliaire à la conquête en attaquant la ville du côté de terre, et peut-être la propriété aurait-elle fait naître quelques prétentions opposées. Quoi qu'il en soit, cette donation de ce qui semblait leur appartenir déjà est confondue avec de simples libéralités; il est même remarquable que ce n'est pas à la commune de Gênes que ce présent est fait, c'est à l'église de Saint-Laurent de Gênes7.

      Il existe une autre singularité. Quelques années auparavant, le vieux Raymond, père de Bertrand, avait donné la moitié de la même ville de Gibel à l'abbaye Saint-Victor de Marseille8; mais les historiens du Languedoc qui nous l'apprennent, remarquent que cette libéralité, quoique écrite de la manière la plus absolue, n'était qu'éventuelle, car à cette époque, et à sa mort, il n'était pas plus maître de Gibel que de Tripoli. Peut-être, cependant, que dans quelque expédition passagère dont la trace ne s'est pas même conservée, il avait momentanément occupé la première de ces villes, et s'en était cru maître assez paisible pour en faire don. Aussi cette première donation fut-elle sans effet.

      (1109) Celle de Bertrand, faite aux Génois, leur accorde aussi des exemptions d'impôts dans sa terre, à eux, à tous les Liguriens de Nice à Porto-Venere, et à tout Lombard qu'ils se seraient associé9. Les historiens ont regardé ce titre comme le fondement des établissements génois et lombards dans tout le Languedoc: cette opinion peut être admise, à en juger sur les faits ultérieurs. On pourrait demander cependant, si plutôt ce n'est pas à sa terre du royaume de Jérusalem que se rapportait la concession de Bertrand.

      Guillaume de Tyr, en racontant la prise de Byblos, dit qu'Hugues Embriaco, l'un des neveux de Guillaume, la garda un certain temps, sous une redevance qu'il payait au trésor de Gênes. Un autre Hugues, petit- fils de celui-ci, en était encore gouverneur au moment où l'archevêque écrivait. C'était probablement à l'église Saint-Laurent, et non au fisc, que profitait la redevance, distinction qui peut facilement avoir échappé à l'écrivain tyrien.

      Plus tard, l'autre Gibel (le petit Gibel), première conquête des Génois, fut cédé par la commune de Gênes à un autre Embriaco, pour vingt-neuf ans, au prix de deux cent soixante besants par an, au profit du trésor, et de dix besants pour l'ornement de l'autel de Saint-Laurent10. Ce que la commune possédait dans les territoires d'Accon et d'Antioche est également affermé à un autre membre de la même famille, Nicolas Embriaco, au prix de cinquante besants pour la première propriété, et de quatre- vingts pour la seconde. Il s'agit, sans doute, des immeubles dont la république était propriétaire. On ne dit point que les droits à percevoir, ni surtout les revenus du port d'Accon, fussent compris dans ce marché. Au reste, toutes ces valeurs avaient déjà baissé de prix. La principauté d'Antioche avait été envahie plusieurs fois, et Noureddin, menaçant les villes maritimes, s'était montré jusque sur le rivage.

      Les écrivains génois postérieurs, interprétant les mêmes textes du XIIe siècle que nous avons sous les yeux, disent que ces concessions pour 29 ans furent données aux Embriaco en fief. Ils ont appliqué ici des expressions qui, pour Gênes, n'ont commencé que dans un autre âge, et qui même n'y ont jamais eu la signification qu'elles ont ailleurs. Quoique, par ces conventions, on ait probablement voulu favoriser et récompenser une famille qui avait si heureusement guidé les entreprises génoises en Syrie, on ne trouve rien qui y donne une couleur féodale. On n'y voit qu'un bail à ferme; et il semble que le terme de vingt-neuf ans suffit pour écarter l'idée d'une constitution de fief telle que les peuples guerriers l'entendaient alors. On trouve seulement que les barons de la terre sainte, avant fait de la ville d'Accon une vicomté, les actes du royaume qualifiaient du titre de vicomtes d'Accon les consuls de Gênes en Syrie, représentants de leur commune dans cette copropriété. Une lettre apostolique de 1155 enjoignait au roi, aux princes et aux barons de Jérusalem de faire jouir les Génois des droits qui leur appartiennent; parmi ces droits, on compte la vicomté d'Accon.

      Il est curieux de voir autour de Jérusalem la monarchie, l'aristocratie militaire et nobiliaire et trois républiques, créant de toute part, et chacune à son image, des institutions si opposées. Quelque flexible que fût le système féodal qui, en n'exigeant que l'hommage, laissait les membres de l'État à leur indépendance, un tel mélange de démocratie, de consulats indépendants, de châtellenies et de principautés; ces hommes étrangers les uns aux autres, ces émules différents de langue, d'habitudes, d'intérêts, admis au partage de droits communs, tous en usant aux dépens du gouvernement royal, tout cela ne pouvait se trouver ailleurs. Nulle autre part tant d'éléments discordants et tant de hasard n'avaient fondé et constitué un royaume. On s'aperçut plus d'une fois de ce défaut d'ensemble, quand il fallut réunir les efforts de tous les membres pour la défense commune. Tandis que les derrières et les extrémités étaient en proie aux attaques de l'ennemi, la partie baignée par la mer eut d'assez longues années de sécurité, depuis que la possession continue du rivage eut été assurée par la conquête de Tyr. Aussi l'histoire, qui compte sept flottes envoyées par les Génois à la première croisade, ne signale plus désormais de nouveaux efforts de leur part. On ne parle pas davantage de nouvelles expéditions tentées par leurs émules. Venise, Pise et Gênes ne voyaient plus d'acquisition à faire où la nature de leurs forces leur permît de faire acheter leur assistance. Par ce motif, ou sous ce prétexte, ils se bornaient à garder les rivages. Dans le mouvement de leur commerce,

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