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Bertrand, fils du comte de Toulouse, et les Génois avec lesquels il avait pris passage, s'attachant à ses intérêts, vinrent l'aider à fonder une grande puissance. Le vieux comte était mort sans avoir pu satisfaire sa dernière ambition. Il voulait enlever Tripoli aux ennemis, afin d'en faire le siège d'une principauté respectable. Il avait bâti en face de la ville un château nommé le Mont-Pèlerin; c'est de là qu'il menaçait la place et la tenait en un état continuel de siège ou de blocus. A sa mort, son neveu Jourdain le remplaça d'abord, et continua ses travaux; mais Bertrand vint revendiquer la succession de son père et jusqu'à ses prétentions sur la ville à conquérir. La flotte de Gênes était de soixante et dix galères, comme la précédente; Ansaldo et Hugues, petits-fils ou neveux de Guillaume Embriaco, la commandaient. Toutes ces forces furent à la disposition de Bertrand, qui lui-même conduisait des galères armées dans ses États. Une contestation violente s'éleva d'abord entre les deux cousins. Baudouin s'entremit d'un accord et d'un partage entre eux. Au milieu d'une réconciliation apparente, une querelle entre leurs suivants excita un moment de tumulte, et Jourdain y périt. Bertrand délivré d'un compétiteur, et en possession de toute la succession paternelle, ne pensa plus qu'à presser le siège de sa future capitale. Pendant les préparatifs nécessaires pour y faire concourir Baudouin par terre, et les Génois par mer, les deux Embriaco conduisirent la flotte contre Biblos (le grand Gibel6) et s'en emparèrent. Après cette courte expédition, ils retournèrent devant Tripoli.

      Les opérations furent conduites avec grande vigueur, l'appareil des machines génoises n'y fut pas épargné; enfin, les habitants connurent qu'ils ne pouvaient résister plus longtemps. On leur offrit une capitulation favorable, mais ils se méfiaient de la foi de ceux qui avaient saccagé Ptolémaïs, et ils ne voulaient se mettre qu'entre les mains du roi. Ils n'évitèrent pas la violence qu'ils redoutaient. Tandis qu'on réglait dans une conférence la capitulation, à la condition que chaque habitant emporterait de ses biens ce qu'il pourrait en charger sur soi, les Génois coururent sans ordre à la ville, y pénétrèrent et commencèrent le massacre. Tripoli tomba ainsi au pouvoir de Bertrand de Toulouse. Il s'efforça d'arrêter le pillage. Il devait ménager une ville si importante pour lui et si riche, où, dit-on, se trouvaient quatre mille ouvriers en lin, en soie, ou en laine. Suivant un autre récit, on ne maltraita pas les habitants. Ceux qui furent passés au fil de l'épée étaient des étrangers venus pour renforcer la garnison, qui s'étaient cachés en embuscade. Au reste, les écrivains arabes absolvent les Génois du sang versé; on ne fit, disent-ils, qu'user du droit cruel de la guerre.

      (1111) Les utiles auxiliaires du nouveau comte de Tripoli l'aidèrent à réunir à sa principauté Béryte et Sarepta. Ils reçurent le prix de tant de services par les établissements qu'ils formèrent dans ce nouvel État. Ces exploits furent les derniers auxquels ils prirent part pendant le règne de Baudouin. On ne les trouve nommés, ni à l'occasion d'un siège mis inutilement devant Tyr, ni à la prise de Sidon où l'assistance par mer fut prêtée par les Vénitiens et par les pèlerins de Norwége.

      (1118) Sous Baudouin II, qui succéda à son cousin Baudouin Ier, ce furent encore les Vénitiens qui procurèrent la conquête de Tyr (1118), et qui par cet exploit compensèrent la disgrâce dont le royaume était affligé. Le prince d'Antioche avait perdu la vie avec sept mille combattants dans une bataille (1123). Josselin, comte d'Edesse, était tombé aux mains des ennemis. Le roi lui-même, dans un combat malheureux, fut fait prisonnier. Sa captivité dura dix-huit mois, et quand il en sortit, sa rançon pensa ruiner le royaume.

      La conquête de Tyr fut d'un grand prix. La continuité des possessions chrétiennes, sur les bords de la mer, était désormais établie de Laodicée jusqu'aux frontières d'Égypte, avantage immense pour la sûreté du royaume et des navigateurs. Il ne resta plus aux ennemis, en Syrie, d'autre port qu'Ascalon, la position la plus méridionale de ce rivage.

      L'acquisition de Tyr eut d'autres conséquences; elle mit en contact, avec des droits semblables, les Vénitiens, les Génois et les Pisans, tandis que la concorde entre ces deux derniers peuples était mal affermie. Ces rivalités furent fatales au maintien des chrétiens dans la terre sainte; pour en faire comprendre la cause et l'occasion, nous nous arrêterons sur le système d'établissements que les Génois avaient fondé les premiers et que l'admission des Vénitiens venait consolider.

      Les chevaliers français ou allemands, et les guerriers de la Pouille de race normande, prenaient ou bâtissaient des châteaux, les érigeaient en fief, chacun isolément et pour lui-même. Les Génois ni les Pisans n'avaient rien de pareil. Ils avaient des colonies nationales et marchandes. Il leur fallait moins d'honneurs, point de titres, mais autant d'indépendance, des privilèges solides, en un mot rien de chevaleresque et plus de profit. Les Vénitiens suivirent cet exemple, quoique la présence et la dignité de leur doge et de leurs nobles les fît toucher au rang des princes et des barons. Quoi qu'il en soit, parmi tant de comtes et de seigneurs on n'entend jamais parler d'aucun Génois. Nul d'entre eux ne rapporta dans son pays des titres féodaux de seigneurie; on ne les voit point compter parmi les chevaliers. Guillaume de Tyr appelle les Embriaco de nobles hommes; cet exemple est unique, et nous avons lieu de croire que lui-même il entend exprimer une considération et une importance individuelle plutôt qu'une noblesse proprement dite de rang et de race. Il est même fort remarquable qu'aucun autre nom propre génois ne se trouve dans les annalistes de la croisade. Pas un n'y semble distingué de la nation en général, à la différence de tant de personnages que les historiens nous font connaître individuellement parmi les guerriers des autres pays.

      Les décrets de Baudouin Ier, avant et après la prise de Césarée, sont les premiers modèles des privilèges donnés aux auxiliaires navigateurs, libres des engagements ordinaires des croisés. Ces concessions furent élargies par le traité fait à l'occasion du siège de Ptolémaïs. Celles qui furent accordées aux Vénitiens à la prise de Sidon et ensuite de Tyr sont sur le même plan. Le prince d'Antioche, le comte de Tripoli s'y conformèrent en traitant avec les Génois. Les seigneurs de moindre importance suivirent ces exemples à leur tour.

      Les privilèges qui constituaient ces sortes de colonies étaient d'abord le don d'une église, d'une enceinte pour y bâtir des magasins, telle qu'a été depuis, à Gênes, le local du Port-Franc. On eut ensuite la propriété d'une rue entière à Jérusalem, à Jaffa, à Accon. Là on était indépendant; et, comme porte le traité des Vénitiens, ces rues étaient possédées avec le même pouvoir que le roi tenait le reste de la ville. La colonie qui habitait ce quartier vivait sous ses propres lois, avec ses usages; et tout autre que ses membres, qui y prenait ou y conservait son domicile, était sujet au même régime. Le consul y était l'unique magistrat; lui seul traitait et répondait pour tous les siens envers le gouvernement local. Des mesures étaient prises pour qu'aucun Génois rebelle ou réfractaire ne pût désavouer l'autorité de son consul; et, au moyen de cette précaution jalouse, ce peuple, qui naguère dans ses traités faisait exclure des ports de la terre sainte ses voisins de Savone, faisait maintenant déclarer Génois, c'est-à-dire dépendant du consulat, tout ce qui habitait la Ligurie, de Vintimille à Porto-Venere.

      Un four banal, un bain public, sont accordés aux colons, et il leur est permis d'y admettre les autres habitants en concurrence des établissements privilégiés de même nature appartenant au roi et aux barons dans les autres quartiers de la ville.

      Il en est de même de l'usage des poids et des mesures, et des droits levés sous prétexte de ce service public; ou plutôt, il est stipulé que les colons ne connaîtront que leurs propres poids, soit entre eux, soit en vendant aux autres habitants; quand les Génois achètent hors de leur enceinte, alors seulement ils doivent recourir au poids ou à la mesure du roi, et en payer les droits.

      Les successions de leurs morts sont réglées suivant les lois de leur métropole. Le consul recueille les biens de ceux qui meurent sans héritiers présents. Si le consul était absent, le gouvernement local s'en rendrait fidèle dépositaire.

      Le consul exerce les fonctions judiciaires. Au criminel, le meurtre et le brigandage sont ordinairement seuls réservés à la justice du roi. Au civil, le consul juge entre ses concitoyens suivant leur loi. Pour mieux les protéger dans leurs rapports avec les gens du pays, il est également le juge des contestations où l'un de ses nationaux se

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