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mais personne n'en fait mention; et le danger venant de loin, il est probable que les colonies maritimes prirent le moins de part qu'elles purent au fardeau de la défense publique. D'ailleurs la jalousie des trois peuples maritimes nuisait au concours des efforts qu'ils devaient à la cause générale. Le pieux Jacques de Vitry en exprime vivement le regret. Il reconnaît que ces colons, enfants dont les pères avaient acquis la couronne immortelle par leur courage et par leurs oeuvres pour le royaume du Christ, n'avaient pas dégénéré en Syrie comme les fils amollis de tant d'illustres croisés. Ils seraient, dit-il, encore redoutables aux Sarrasins, s'ils n'étaient bien plus livrés à leurs trafics, à leurs jalousies mercantiles, aux discordes que leur avidité sème entre eux, qu'occupés de la garde de la terre sainte. Ils effrayeraient l'ennemi autant que faisaient leurs ancêtres; ils le réjouissent par leurs dissensions et par les combats qu'ils se livrent. Ces dissensions en Syrie, se faisant sentir aux métropoles en Italie, y retenaient leurs forces divisées; attentives à envoyer, chaque année, des galères au-devant des flottes marchandes de leurs colonies, elles ne faisaient plus de grandes expéditions.

      Cependant ces colonies étaient une source abondante de richesses qui refluaient sans cesse vers l'Occident. Elles n'étaient pas seulement importantes par les concessions obtenues; leurs avantages ne se bornaient pas aux profits industriels sur le transport des pèlerins, sur les consommations de tous les habitants latins de la terre sainte; les trêves, les alliances même faites à plusieurs reprises avec les gouverneurs de Damas ou de l'Égypte, avec d'autres princes musulmans; le besoin, qui, plus pressant que la voix du fanatisme et de la haine, poussait Orientaux et chrétiens, malgré la guerre, à échanger entre eux les jouissances et les marchandises de l'Asie et de l'Europe, donnaient une activité extrême à ces relations lucratives. Le bénéfice en restait aux plus habiles, aux plus actifs, aux plus économes; telle fut la source longtemps inépuisable de la fortune de Gênes.

      CHAPITRE V.

       Agrandissements en Ligurie.

      (1115 à 1154) Tandis que les Génois formaient des établissements considérables en Syrie, que, pressé entre tant de résistances et de rivalités, ce peuple apprenait de la nécessité à donner à ses institutions une constitution forte et vraiment nationale, la métropole de ces colonies, sur laquelle refluaient les richesses du commerce lointain, la commune de Gênes, était restée dans sa simplicité primitive. Vingt ans (1112) après la prise de Césarée on eut pour la première fois des chanceliers, des archivistes, des greffiers ou notaires, enfin la forme d'un gouvernement régulier, substitué au simple lien d'une association maritime et mercantile.

      Cependant les affaires publiques s'étaient déjà compliquées. On se sentait riche en force; on éprouvait le besoin de franchir les murs étroits de la cité; on s'indignait de ne pouvoir soumettre de faibles voisins à la domination d'une république qui possédait des villes en Asie, en commun avec les rois et les princes. On avait des trésors pour acheter ce qui était à vendre; on était résolu d'enlever le reste par la force.

      (1115) Le butin de Césarée fournit la première monnaie qui fut battue à Gênes. Jusque-là celle de Pavie avait été seule connue. Les premiers essais que l'on fit furent sans doute exécutés grossièrement, car peu d'années après on fabriqua de nouvelles espèces, et ce ne fut qu'après un nouvel intervalle de vingt-cinq ans que le système monétaire fut fixé. Il conserva longtemps l'empreinte de l'empereur Conrad III, qui, survenu en Italie, autorisa par un diplôme la monnaie de Gênes, car la commune ne refusait pas d'être réputée ville impériale; mais c'était avec le soin de se soustraire, autant qu'il était possible, à toute dépendance réelle, et surtout à toute contribution.

      Peu à peu s'établissait l'ordre public. Le consulat cessait de dépendre des compagnies formées pour l'armement des galères de la croisade. Mais, à mesure, on voit la jalousie de la liberté prendre ses précautions contre la longue habitude du pouvoir. Les consuls n'eurent plus quatre ans d'exercice. Dans la dernière élection, où il est encore question de ce terme, il fut réellement réduit à deux ans, et on stipula que les consuls nommés se partageraient par moitié les quatre années, en se succédant les uns aux autres. Immédiatement après, le consulat fut purement annuel, et ce fut alors que la commune acquit une chancellerie1.

      Il existe un curieux monument de cette organisation municipale; c'est le modèle du serment que prêtaient les consuls, en prenant possession de leur charge, le jour de la Purification (2 février), et en jurant de la déposer à pareil jour de l'année suivante. La formule ajoute: La compagnie étant terminée, ce qui ferait croire que la compagnie, cette société, ce lien de la commune, était censée annuelle comme le consulat l'était devenu.

      Les consuls stipulent des précautions assez étranges pour rendre la compagnie obligatoire. Quiconque, invité par le consulat ou par le peuple à y adhérer, ne se présentera pas dans le délai de onze jours, n'y sera plus à temps pendant les trois années suivantes; on ne le nommera à aucun emploi public; il ne sera pas admis en justice, si ce n'est quand il sera défendeur. Il sera interdit à tout membre de la compagnie de servir ce réfractaire sur ses navires, ou de le défendre devant les tribunaux. Quand un étranger aura été accepté dans la compagnie, les consuls l'obligeront, sous serment, à une habitation non interrompue, pareille à celle des autres citoyens. Seulement, il suffira pour les comtes ou marquis, et pour les personnes domiciliées entre Chiavari et Porto-Venere, d'habiter dans la cité trois mois par an.

      Les consuls ne feront ni guerre, ni expédition, sans le consentement du parlement2. Le parlement réglera le salaire des ambassadeurs, et cette fixation précédera leur nomination. Le même consentement sera nécessaire à l'établissement des nouveaux impôts. On n'augmentera pas les droits sur la navigation à moins de nouvelles guerres. Le poids des charges publiques sera également réparti sur tous. Les consuls empêcheront l'importation des marchandises étrangères en concurrence avec celles du pays, les bois de construction et les munitions navales exceptés.

      Avant même ces stipulations politiques ou économiques, le serment des consuls, comme autrefois à Rome l'album du préteur, fixe le mode et les conditions sous lesquelles ils exerceront les fonctions judiciaires au civil et au criminel. Ils jurent, enfin, qu'ils opéreront pour l'utilité de l'évêché et commune de Gênes, et à l'honneur de la sainte mère Église3.

      On voit que les consuls étaient les juges des procès de leurs concitoyens; mais quand les affaires de l'État exigèrent plus de soin, la distribution de la justice, détachée de la direction de la république, fut déléguée à des magistrats électifs et temporaires qu'on appela consuls des plaids, pour les distinguer des consuls de la commune. Comme ceux-ci, ces juges étaient renouvelés tous les ans: leur nombre varia; mais, en général, il y en avait un pour chacune des compagnies entre lesquelles les citoyens étaient répartis et organisés par quartiers. Il est probable que ces compagnies nommaient les magistrats; mais on ne sait rien de certain sur la forme de l'élection. Quand, la population croissant, on eut beaucoup dépassé l'antique enceinte, il y eut quatre compagnies intérieures et quatre dans le bourg: ainsi fut appelée la partie nouvellement habitée, qui prolongea la ville le long de la mer vers le couchant. Dans chacune de ces deux grandes divisions, les juges des quatre compagnies qui les composaient, paraissent avoir formé un tribunal commun4.

      Ainsi la république fondait ses institutions. Mais si déjà l'on voit quelques signes de réserve et de défiance contre les abus du pouvoir confié aux magistrats, on ne remarque rien qui trouble la pure démocratie, lien de cette société. Les élections annuelles (car nous possédons en entier les fastes du consulat) amènent toujours de nouveaux noms. Peu d'individus y sont rappelés plusieurs fois dans cette première époque; quelques noms seulement reparaissent parmi les consuls des plaids. Bientôt, sans doute, les notables ou les meilleurs, comme on les désigne, tentèrent de concentrer la magistrature entre leurs mains, d'en faire le patrimoine de leurs races; enfin, d'établir une aristocratie de caste entre les familles riches et puissantes. Mais il fallut du temps pour que cette entreprise fût formée et avouée, et pour qu'elle réussît. Il restait trop à faire au dehors, et autour des murs même de la ville, pour s'abandonner aux dissensions internes.

      (1130) On a vu que dans un court intervalle, d'abord les Génois avaient intrigué

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