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Histoire de la République de Gênes. Emile Vincens
Читать онлайн.Название Histoire de la République de Gênes
Год выпуска 0
isbn 4064066085735
Автор произведения Emile Vincens
Жанр Документальная литература
Издательство Bookwire
L'annaliste consul, qui se complaît dans les détails de l'entreprise qu'il avait commandée, passe si rapidement sur les conséquences qu'elle eut dans les deux années qui suivent, que nous pouvons soupçonner qu'à son retour on fut mécontent de lui, et qu'il le fut de la république. C'était le temps où la démocratie et une sorte d'aristocratie commençaient à lutter sourdement, et Caffaro paraît avoir été un des ardents fauteurs de la dernière. Le peu de succès de son consulat était une occasion favorable de le décrier. Être trompé par le More, avoir laissé fuir une riche proie, aura pu être un double sujet de reproche. L'expédition aura paru trop peu lucrative en proportion de la dépense. Il est certain du moins qu'on balançait à retourner à Almérie. Il fallut qu'Eugène III fît des efforts pour ranimer les courages contre les infidèles (1147); tout le crédit de l'archevêque de Gênes y fut employé. Il fallut aussi les sollicitations et les offres d'Alphonse VIII, roi de Castille et de Léon, vivement intéressé à enlever aux Mores les places maritimes de son voisinage. Des traités intervinrent, la guerre devait se faire par des efforts communs. Les Génois avaient soin de stipuler, suivant leur usage, que le tiers des conquêtes leur serait remis; Alphonse promettait des troupes, et, comme il disposait de peu de forces et qu'il comptait sur celles du comte de Barcelone, il se réservait de confier à celui-ci le commandement de son armée; mais si les Génois étaient mécontents de la coopération du comte, la faculté de se séparer leur était réservée.
Une fois l'impulsion donnée à Gênes, toutes les ressources furent prodiguées au nouvel armement. Il se composa de soixante-trois galères et de plus de cent soixante bâtiments de transport. On y monta en foule. On augmenta le nombre ordinaire des consuls de la république pour porter à la tête de l'expédition quatre d'entre eux, assistés de deux consuls des plaids. Entre les premiers était Hubert della Torre, le compagnon de Caffaro dans la campagne précédente. Guillaume, comte de Montpellier, prit part à l'expédition avec Raymond Bérenger, comte de Barcelone. Il paraîtrait que quelques Pisans s'y joignirent4. Quand la Catalogne et l'Aragon furent en mouvement, les historiens espagnols disent que cette guerre n'occupa pas moins de mille bâtiments, grands ou petits (1148). On attaqua Almérie par terre et par mer; mais la résistance fut longue. Alphonse était sans forces, l'argent manquait au comte de Barcelone, et les troupes commençaient à déserter. Les Mores tâchaient de détacher à prix d'argent les Castillans et les Catalans. Les alliés n'acceptèrent pas ces offres corruptrices; mais les consuls génois se méfièrent de l'effet de ces manoeuvres, et, pour le prévenir, ils brusquèrent l'assaut. La ville fut prise de vive force. La bannière de Gênes y fut arborée avec celles des deux comtes. Les Sarrasins, réfugiés dans un fort, se rachetèrent au prix de trente mille marabotins. Dix mille femmes ou enfants furent envoyés captifs à Gênes. Sur tout le butin on préleva cent cinquante mille marabotins, consacrés à l'extinction de la dette publique, estimée à dix-sept mille livres d'or. Le surplus fut réparti entre les galères et les vaisseaux.
Après la conquête, et dans Almérie même, les traités furent refaits; sans doute que les Génois avaient, su se prévaloir de l'infériorité des secours de leurs alliés pour faire mieux payer leur assistance. La possession d'Almérie et de ses dépendances fut remise à Othon Bonvillani au nom de la commune de Gênes, pour en jouir pendant trente ans.
La flotte se rendit ensuite à Barcelone. On y tint parlement. Le terme de l'autorité des consuls arrivait; on y fit un nouveau consulat pour l'année. Deux des magistrats sortant de charge, della Torre et Doria, retournèrent à Gênes sur deux galères chargées de l'argent réservé au trésor de la république. Le reste hiverna en Catalogne pour entreprendre le siège de Tortose à la nouvelle saison. Les machines des Génois, leurs approches à travers tous les obstacles, déterminèrent la capitulation; après une vaine attente de secours la place fut rendue. Le comte de Barcelone, qui en prit possession, en remit un tiers au comte de Montpellier et un tiers aux Génois. On trouve aussi qu'il fit don à l'église de Gênes d'une île sur l'Ebre, voisine de Tortose. Plus tard les Génois lui rétrocédèrent leurs droits sur la copropriété de la ville.
Ces brillantes expéditions rendirent le nom de Gênes imposant pour tous les peuples qui habitent les deux bords de la mer Méditerranée (1149). Les princes mores voisins étaient obligés de rechercher, d'acheter même l'amitié de ces nouvelles colonies. Sur la côte de Valence qu'infestaient les corsaires, il suffit à Hubert Spinola de montrer cinq galères, et les Mores, tirant à terre leurs bâtiments, demandèrent à traiter de la paix. Boabdil Mahomet, roi de Valence5, reconnaît pour ambassadeur Guillaume Lusio6, qu'il appelle un des principaux citoyens de Gênes. Il fait une paix de dix ans avec les consuls, les magistrats et tous les sages marchands de la république. Par amour pour elle, il donne aux Génois, dans Valence et à Denia, des quartiers pour leurs magasins, où nul autre qu'eux ne pourra habiter. Ils auront libre commerce et totale exemption d'impôt; mais les étrangers qui viendraient négocier avec eux payeront au roi ses droits ordinaires. Par une singulière concession, dans toutes les terres du royaume de Valence, les Génois jouirent gratuitement d'un bain par semaine. Enfin, pour prix de ces faveurs, ceux d'Almérie et de Tortose promettent de ne pas offenser les sujets du roi; celui-ci donne à la république dix mille marabotins; il prend un an de terme pour en payer la moitié. Du surplus, Lusio a reçu et emporte avec lui deux mille marabotins, tant en or qu'en étoffes de soie; les trois mille restants seront soldés dans deux mois.
La terreur était grande devant ces navigateurs victorieux. Un de leurs navires marchands, qui revenait d'Alexandrie, rencontrant les galères d'un prince sarrasin, avait refusé de se faire reconnaître. De provocation en provocation, il s'ensuivit un combat que le marchand ne pouvait soutenir. Il fut conduit en Sardaigne. Mais à peine les Mores eurent reconnu que leur prise était génoise qu'ils s'alarmèrent des suites de leur victoire, et restituèrent le navire et la cargaison sans y toucher. Le juge ou seigneur de Cagliari, allié des Génois, médiateur dans cette circonstance, renvoya le bâtiment à ses propres frais. Si, malgré ces soins, la restitution ne compensa pas le dommage, c'est, dit le pieux annaliste, qu'ainsi peut-être Dieu châtie ses enfants pour les détourner de se livrer au commerce avec les infidèles.
CHAPITRE VII.
Progrès, tendance au gouvernement aristocratique. Noblesse.
La navigation des Génois au couchant n'arrêtait pas le cours de celle du levant. Ils faisaient un trafic considérable dans les ports de l'empire grec. Déjà leur assistance était briguée dans les fréquentes révolutions de ce pays. L'empereur Manuel Comnène ne dédaigna pas de leur envoyer son patriarche Démétrius, pour traiter d'une alliance avec la république. Manuel se méfiait de l'empereur d'Occident Frédéric Barberousse, et encore plus des entreprises des princes normands des Deux-Siciles. Les croisades mettaient son empire en contact avec ces conquérants, et leurs fréquents passages le menaçaient jusque dans Constantinople. Ses successeurs en éprouvèrent bientôt le danger. Pour lui, il cherchait des amis et des créatures en Italie1. A Gênes, il envoyait des